Des dirigeants de la pseudo-gauche espagnole saluent le gouvernement néo-fasciste italien

Quelques semaines seulement après que Sahra Wagenknecht du Parti de gauche allemand a lancé le mouvement #Aufstehen sur une plate-forme xénophobe et anti-immigrés, des associés importants du secrétaire général du parti Podemos Pablo Iglesias ont soutenu le gouvernement d’extrême droite de l’Italie. Ceci survient au moment où il est rapporté que des sections de Podemos se préparent à construire un mouvement de type Aufstehen.

Les staliniens de longue date, Héctor Illueca, Manuel Monereo et Julio Anguita, ont publié un article intitulé « Le fascisme en Italie ? Le Décret Dignité » sur le site pro-Podemos Cuarto Poder.

L’article Illueca-Monereo-Anguita a été largement couvert par les médias sociaux et les journaux bourgeois espagnols. Dans ce document, ils approuvent le gouvernement de coalition italien de la Ligue du Nord néo-fasciste de Matteo Salvini avec le Mouvement Cinq étoiles dirigé par Luigi Di Maio, le gouvernement le plus à droite de l’Italie depuis le renversement de Mussolini à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

L’article applaudit sans ambiguïté le « Décret Dignité » récent des néofascistes, le saluant comme un « tournant dans la politique sociale mise en place en Italie depuis l’éruption du

néo-libéralisme ». Le décret réduit la durée maximale des contrats temporaires de trois ans à deux ans, mais augmente les indemnités payées aux employés en cas de licenciement abusif. L’article salue comme courageuses les sanctions de ce décret contre les sociétés qui délocalisent ou qui licencient après avoir reçu des aides d’État parce que cela remet supposément en question la « construction néolibérale du marché européen ».

Les auteurs de Podemos saluent également les dispositions du Décret Dignité qui interdisent la publicité pour les jeux d’argent. Ils écrivent : « En procédant de la sorte, le gouvernement italien assume la défense des classes populaires contre les groupes de pression puissants et influents ».

La conclusion des auteurs est que : « Le gouvernement italien semble être le seul qui a pris note de l’importante Résolution du Parlement européen […] contre la précarité de l’emploi » dans lequel « les États membres nous ont instamment invités à éradiquer la précarité de l’emploi et à promouvoir l’emploi de qualité, la sécurité de l’emploi et des emplois bien rémunérés […] Qu’on le veuille ou non, le Décret Dignité est un effort remarquable pour défendre le peuple italien contre les seigneurs des finances et de la délocalisation. En politique, vous devez discuter des faits et des faits. Les procès d’intention sont typiques des inquisiteurs et des esprits pauvres qui manquent d’arguments rationnels. Le fascisme en Italie ? Décret Dignité. »

L’approbation par les principaux associés d’Iglesias d’un gouvernement d’extrême droite supervisant l’austérité et l’intervention militaire en Libye expose la faillite politique de Podemos. Elle se tait également sur la campagne de terreur menée par Salvini contre les migrants, y compris la fermeture des ports contre les réfugiés en fuite et les attaques contre la population rom. C’est parce que Podemos se base lui-même sur un programme populiste-nationaliste, et des sections importantes au sein de ce parti envisagent de suivre la voie tracée par Wagenknecht et d’évoluer vers une alliance étroite avec les forces de droite et d’extrême droite.

Les auteurs de l’article sont des politiciens de haut rang étroitement liés à Iglesias, ce qui souligne que leur initiative reflète des développements plus larges dans les cercles staliniens et universitaires espagnols. Monereo est un député d’Unidos Podemos au Parlement espagnol, il était membre du Parti communiste d’Espagne et a été cofondateur de la coalition Izquierda Unida (UI, Gauche unie) dirigée par les staliniens et de Podemos. Il est largement considéré comme le mentor politique de Pablo Iglesias.

Julio Anguita González fut le maire de Córdoba pour le Parti communiste de 1979 à 1986, coordinateur de la Gauche Unie entre 1989 et 1999, et secrétaire général du Parti communiste d’Espagne (PCE) de 1988 à 1998. Iglesias a tenté de le convaincre à plusieurs reprises de se présenter aux élections en tant que candidat de Podemos.

Illueca, un inspecteur du travail et de la sécurité sociale de la province de Castellón et associé d’Iglesias, est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont un cette année intitulé « l’Espagne : Un projet de libération ». Il travaille actuellement avec Unidos Podemos à la rédaction d’un nouveau code du travail.

Le tournant vers le nationalisme économique de couches à l’intérieur de Podemos reflète la profonde crise sociale et économique du capitalisme mondial et la réaction des couches aisées de la classe moyenne au sein de la direction de Podemos à la vague croissante de grèves en Espagne et à l’échelle internationale. Les couches autour de Podemos se tournent vers un agenda économique nationaliste et militariste, qui prend sa forme la plus éhontée dans l’élection de Trump et de Salvini. De plus, ils sont de plus en plus terrifiés par les implications d’une activité de grève croissante en Espagne et à l’échelle internationale.

Selon la Confédération espagnole des organisations d’employeurs, principal groupe de pression économique, les grèves déclenchées entre janvier et août ont entraîné une perte de 9,5 millions d’heures de travail, soit une augmentation de près de 50 % par rapport à 2017 où 633 936 travailleurs avaient participé à des grèves.

Le nombre total de travailleurs participant aux grèves a augmenté de 217 % par rapport à l’année précédente. Les principaux secteurs comprennent les transports (Ryanair, aéroports, taxis, Deliveroo, métro), le commerce de détail (Amazon, H & M), les services postaux, les soins de santé publics, les services sociaux et bien d’autres.

La vague croissante de luttes ouvrières en Espagne et à travers l’Europe a terrorisé les cercles staliniens autour d’Iglesias. Ils ont joué un rôle central dans la négociation en 1978 avec le régime espagnol fasciste de Franco de la transition vers le régime parlementaire : le dirigeant du parti communiste Santiago Carrillo a contribué personnellement à la rédaction de la Constitution de 1978. Lors d’un entretien médiatique en 2012, Iglesias a lui-même salué Carrillo. Un homme qui a supervisé le meurtre de trotskystes et de travailleurs de gauche pendant la Guerre civile espagnole qui a fini avec les fascistes au pouvoir.

Maintenant, ils cherchent désespérément à bloquer l’émergence d’un mouvement politique dans la classe ouvrière qui défie le capitalisme européen sur un programme socialiste, c’est-à-dire trotskyste. Il est largement admis dans la classe politique espagnole qu’au sein de Podemos des cercles dirigeants suivent Wagenknecht et préparent des alliances explicites avec des groupes de droite et même d’extrême droite.

Selon Monereo lui-même, dans un entretien accordé à Cuarto Poder samedi dernier, ils ont pour objectif de construire une « association au service de la Troisième République ». Ce mouvement visant à remplacer la monarchie constitutionnelle espagnole devrait émerger d’un « débat politique et cultural » qui « irait au-delà de Unidos Podemos et la gauche […] La Troisième République ne sera pas seulement pour la gauche, elle sera démocratique, fédéraliste, défendra les droits sociaux et ira au-delà de la gauche telle que nous la connaissons aujourd’hui ».

Selon El Confidencial, les auteurs de l’article de Cuarto Poder « finalisent le lancement d’un nouvel espace politique à la gauche espagnole qui ignore complètement la tradition de ce courant idéologique », c’est-à-dire Podemos.

El Confidencial ajoute que cet espace « inclura des personnalités publiques telles que Jorge Verstrynge. Il sera précédé d’un manifeste au moyen duquel ils espèrent ajouter d’autres accords, même de personnages « plus à droite ». Leur objectif, insistent-ils, est de se connecter avec de larges couches de la population qui « exigent la sécurité, l’ordre et la protection ». C’est-à-dire « les perdants de la mondialisation » qui rejetteraient, selon leurs thèses, des solutions à leurs problèmes « avec plus d’Europe" ».

La participation de Verstrynge à un tel mouvement ne serait pas une surprise. Sympathisant du Front national (FN) néo-fasciste de la France, il était l’un des fondateurs du principal parti d’extrême droite de l’Espagne dans l’ère post-Franco, l’Alliance populaire (AP), et son secrétaire général de 1979 à 1986. Après la fusion avec d’autres groupes de droite en 1989, l’AP est devenue le Parti populaire (PP), nom sous lequel il est connu aujourd’hui.

Après avoir quitté le PP pour adhérer au Parti socialiste espagnol dans les années 1990 et être devenu conseiller du dirigeant stalinien Francisco Frutos, Verstrynge s’est rapproché de la direction de Podemos, en particulier d’Iglesias. Il se dit protectionniste, étatiste et admirateur de de Gaulle (« le dernier grand résistant à l’Empire américain ») et de la candidate présidentielle du FN, Marine Le Pen, qu’il refuse de qualifier de néo-fasciste. Il admire également Alain de Benoist, le principal théoricien de la nouvelle droite française, qui a réuni les intellectuels partisans du FN.

Iglesias a essayé à plusieurs reprises d’intégrer Verstrynge dans Podemos, même si cela a toujours provoqué une opposition au sein du parti. La présence de telles forces à l’intérieur de Podemos cependant, et les ouvertures éhontées au néo-fascisme italien et à la droite espagnole provenant du cercle restreint d’Iglesias, démontrent leur profonde hostilité à la classe ouvrière et au marxisme.

(Article paru en anglais le 18 septembre 2018)

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