La revue The Economist appelle les députés-soldats à diriger le Royaume-Uni

La chronique de Bagehot dans The Economist appelé à l'émergence d'une «nouvelle génération d’hommes d'État-soldats», car «les politiciens qui ont connu la guerre sont bien placés pour unir un pays divisé».

The Economist fut fondé en 1843 pour demander l'abrogation des Corn Laws (tarifs douaniers) et décrit par Karl Marx comme «l'aristocratie de la finance ». Sa chronique porte le nom de Walter Bagehot, rédacteur en chef de The Economist entre 1861 et 1877, banquier, journaliste et expert de la constitution britannique, et est écrite au nom de Bagehot. Actuellement écrite par Adrian Wooldridge, elle est considérée comme une lecture incontournable de la politique britannique.

L’édition du 30 août commence ainsi: «Chaque fois qu’elle a été confrontée à une crise par le passé, la Grande-Bretagne a trouvé des dirigeants capables de relever défi. Pourtant, aujourd'hui, elle fait face à la crise du Brexit [sortie britannique de l'Union européenne] sans aucun leader qui mérite cette mention.»

La première ministre Theresa May «tergiverse», tandis que le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn «est du mauvais côté de la plupart des arguments sérieux de l’histoire de l’après-guerre». Boris Johnson, le principal rival de May pour prendre la tête du parti conservateur, «est considéré par ses amis et ses ennemis comme superficiel, un vantard et égoïste».

Ce n'est pas seulement les leaders actuels qui attirent le mépris de Bagehot. Ceux comme Tony Blair et David Cameron, «qui ont quitté Oxbridge (universités de Cambridge et Oxford) pour se glisser dans la peau de ministre sans avoir à peine pris contact avec le public», ont aggravé le «problème croissant de la confiance dans le leadership en général», écrit-il.

Bagehot n'examine pas les causes de cet état de choses: la croissance énorme des inégalités sociales, la monopolisation de tous les aspects de la vie par l'oligarchie financière et la putréfaction et la désintégration de la démocratie bourgeoise qui en résultent. Au contraire, il cite comme modèle à suivre, «John McCain, le grand homme d’État-soldat américain», dont la mort, écrit-il, «rappelle que la Grande-Bretagne a un autre modèle de leadership vers lequel se tourner: des politiciens qui ont connu le vrai monde de la manière la plus nette possible avant de se lancer en politique, mais qui sont sceptiques vis-à-vis du dogme politique».

Le WSWS a analysé l’effusion de «l’hypocrisie morale, les paroles creuses et la création de mythes entourant la mort du sénateur républicain John McCain» par les appareils démocrates et républicains. L'élévation de l'un des partisans les plus véhéments de l'agression militaire américaine en un saint politique laïque est liée au conflit de faction au sein de la classe dirigeante américaine au sujet de la politique étrangère, en particulier contre la Russie. Son objectif primordial est de surmonter «le “syndrome du Vietnam”, c'est-à-dire l'hostilité populaire de masse aux interventions militaires» afin de préparer le climat politique à une explosion encore plus grande de violence américaine.

L’éloge à l’égard du va-t-en-guerre néoconservateur était également un phénomène en Grande-Bretagne et pour des raisons similaires.

Au bout du compte, le référendum sur le Brexit et le vote de sortie de l'Union européenne ont mis en évidence les pressions centrifuges qui déchirent l'ordre mondial capitaliste et la réaction nationaliste des pouvoirs en place pour détourner les tensions de classe vers l'extérieur.

La classe politique britannique est aux prises avec le résultat du Brexit et ses conséquences, mais aucune faction – quitter ou rester – n’a de solution progressiste à cette crise. Tous sont attachés à l'austérité et à la guerre, avec leurs divergences sur la meilleure façon d’y arriver – de l'intérieur de l'Union européenne ou directement contre elle.

Bagehot considère que «l’homme d'État-soldat» est le mieux placé pour surmonter ces divisions et unir la nation. Ils sont dans une position unique, écrit-il, «pour résoudre le plus gros problème auquel le pays est confronté: les divisions sociales croissantes entre l'élite et les masses, les provinces et la capitale, et même entre les pros et anti Brexit. Ce n'est pas simplement parce qu'ils ont accès à un langage patriotique qui est étranger aux personnes qui n'ont pas risqué leur vie au combat. C’est parce qu’ils sont probablement les seuls membres de la classe dirigeante à avoir côtoyé jour après jour des gens de toutes les classes de la société.»

«La politique a été incarnée par l’homme politique militaire pendant la majeure partie de l'après-guerre», écrit-il avec nostalgie, citant Clement Attlee et Harold Macmillan (Première Guerre mondiale) et Edward Heath et James Callaghan (Seconde Guerre mondiale), une «tradition [qui] s’est effacée en temps de paix...»

L’«effacement» de cette tradition s’explique en grande partie par l’opposition généralisée au militarisme – qui a entraîné le monde entier dans deux guerres mondiales –, témoin de l’horreur du massacre, du fascisme et de la décimation de la communauté juive européenne.

Cependant, Bagehot célèbre le fait que la tradition de l’homme d’État-soldat est «en train de se renouveler, après une série de guerres dans les Balkans, en Irak et en Afghanistan». Il donne comme exemple la recrudescence du nombre d’anciens soldats devenus députés parlementaires dont le nombre s’élève maintenant à 52 pour la promotion de 2016, la grande majorité étant membres du parti conservateur: 48 conservateurs, contre trois travaillistes et deux unionistes démocrates.

Bagehot énumère les conservateurs Tom Tugendhat (Irak / Afghanistan), Adam Holloway (Irak), Johnny Mercer (Afghanistan) et Rory Stewart (Irak / Afghanistan), ainsi que les travaillistes Clive Lewis et Dan Jarvis (Afghanistan).

«Les champs de bataille d’Afghanistan et d’Irak contribueront peut-être à la création d’un nouveau type de politique d’une seule nation capable de rassembler la Grande-Bretagne après les chocs de la crise financière et du Brexit», estime-t-il.

Le fait qu’il s’agisse d’activités illégales, commanditées par des criminels de guerre et auxquelles des millions de personnes s’y sont opposées n’est pas mentionné, et pour une bonne raison. L’équivalent britannique du «syndrome du Vietnam» est la guerre de 2003 en Irak. Les mensonges éhontés et les intrigues du gouvernement travailliste de Tony Blair, de concert avec les services de renseignement et l’armée, pour justifier l'invasion dirigée par les États-Unis ont eu un tel impact sur la conscience politique que le Parlement a été forcé de mettre son veto à une intervention militaire contre la Syrie en 2013.

Cela n'a pas empêché une intervention militaire britannique secrète, mais cela est insuffisant dans des conditions où le Brexit risque non seulement la position de la Grande-Bretagne en Europe et sa principale valeur utile pour Washington, mais aussi l’affaiblissement de son rôle au sein de l'OTAN; les mécanismes essentiels par lesquels elle a maintenu un poids politique et militaire mondial dans l'après-guerre malgré la perte de l'Empire. Cela devient plus urgent étant donné que la cible de l’agression britannique et américaine n’est plus seulement des pays semi-coloniaux au Moyen-Orient sans défense, mais la Russie et la Chine, deux puissances nucléaires.

Les préoccupations politiques de Bagehot ont été amplifiées dans sa chronique ultérieure, le 6 septembre, intitulée «L'équilibre de l'incompétence de la Grande-Bretagne». Il était auparavant «courant que l'un des grands partis britanniques soit en crise lorsque l'autre monte en puissance», écrit-il. Aujourd'hui, cependant, «la Grande-Bretagne connaît actuellement quelque chose d'inhabituel: ses deux principaux partis sont en crise au même moment, divisés sur leur avenir, victimes de luttes intestines et inquiets des défis posés à leur direction.»

«Les deux principaux partis sont incompétents et divisés» et «le cabinet ministériel et le cabinet fantôme sont remplis de parasites. Alors que le Royaume-Uni est sur le point de quitter l'UE le 29 mars 2019, dans six mois seulement, les options s'amenuisent.»

En s’adressant à des sections des conservateurs et travaillistes de droite qui souhaitent former un soi-disant nouveau parti de centre droit résolu à empêcher la formation d’un gouvernement dirigé par Jeremy Corbyn et engagé à inverser le Brexit, Bagehot écrit que «Le système britannique rend difficile le lancement d’un nouveau parti.»

La scission droitière du Parti travailliste en 1981, qui créa le Parti social-démocrate, «a obtenu suffisamment de voix pour appuyer [Margaret] Thatcher», écrit-il, «mais pas assez pour obtenir une représentation significative au parlement». Une tentative de rééditer ceci aujourd’hui signifierait toujours «une sortie l'Union européenne sans plan ni parachute» pour la Grande-Bretagne.

Pour Bagehot, le recours à l’homme d’État-soldat soulève la possibilité de surmonter «le problème d’engagement partisan en franchissant instinctivement les frontières des partis». Sa chronique du 30 août cite spécifiquement comment le député conservateur «Tugendhat souligne qu'il a un lien personnel avec [le travailliste ] M. Jarvis, avec qui il a servi en Afghanistan, qui transcende les divisions politiques».

En 2016, Tugendhat et Jarvis ont été promus comme les deux «anciens combattants en Afghanistan» qui, bien que représentant des partis soi-disant opposés, se sont de nouveau battus côte à côte pour rester dans l’UE lors du référendum sur le Brexit. Les deux ont fait de l'OTAN et la marche vers la guerre avec la Russie l’axe central de leur soutien. Jarvis a déclaré qu'un vote pour quitter l'UE serait un «cadeau à Poutine», car «l'OTAN joue un grand rôle dans notre sécurité nationale» et serait «affaiblie si la Grande-Bretagne quitte l'UE». Tugendhat a soutenu que la position britannique dans l’UE était impérative «pour la sécurité de nos alliés». «Aujourd'hui, sous la pression de l'expansionnisme russe croissant, nos amis sont de nouveau menacés», a-t-il écrit.

Tugendhat est une étoile montante du Parti conservateur et préside la Commission des Affaires étrangères. À ce titre, il a exigé une intensification des actions britanniques contre la Russie et a condamné la prétendue «inaction» britannique en Syrie permettant l’intervention russe et iranienne. Il y a quelques jours à peine, le Spectator a publié une interview avec l'ancien lieutenant-colonel sous le titre «Le prochain chef conservateur devrait être de ma génération», une référence sans ambiguïté à lui-même.

Jarvis s'est opposé à Corbyn dans les deux compétitions pour la tête du parti et a voté en faveur des frappes aériennes militaires contre la Syrie en 2015. En avril, il a annoncé qu'il se porterait candidat au poste de maire de Sheffield et que dans tous les cas il garderait son siège de député. Il a balayé des objections à sa déclaration «injuste et non démocratique», obtenant le soutien du Comité exécutif national du Parti travailliste. Il a remporté la mairie. Il fait partie du groupe «Spirit of Britain», aux côtés de Stephen Kinnock, qui a joué un rôle de premier plan dans les tentatives de renverser Corbyn et qui fait maintenant la promotion des valeurs de «localisme, communauté, patriotisme, pragmatisme» comme alternative à la critique de l'OTAN et du capitalisme par «l’extrême gauche».

(Article paru en anglais le 18 septembre 2018)

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