Les postiers canadiens critiquent l'inefficacité de la grève tournante

Les travailleurs et travailleuses des postes sont nombreux sur les lignes de piquetage partout où le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) a autorisé des actions syndicales depuis le lancement, le 22 octobre, d'une campagne de grèves régionales et municipales contre Postes Canada, propriété du gouvernement.

Cela comprend les postiers de quatre villes de quatre provinces (Halifax, Nouvelle-Écosse; Windsor, Ontario; Winnipeg, Manitoba et Victoria, C.-B.) le lundi; les 9000 postiers de la région de Toronto le mardi et le mercredi; et à divers moments depuis mercredi soir, les travailleurs de Calgary et Red Deer en Alberta; Kelowna en Colombie-Britannique et Sherbrooke au Québec.

Les 50.000 facteurs, trieurs de courrier, commis postaux et travailleurs d'usine de tri sont déterminés à mettre un terme à des années de détérioration des conditions de travail et de baisse des salaires réels.

Grève des postiers de Toronto

Mais la direction du STTP tient les travailleurs en laisse, dans le but d'éviter un affrontement avec le gouvernement libéral du patronat.

Après une série de promesses «progressistes», Justin Trudeau et ses libéraux ont poursuivi le programme d'austérité et de guerre du gouvernement conservateur tant détesté de Harper, notamment en augmentant les dépenses militaires de 70% d'ici 2026. Mais contrairement à leurs prédécesseurs conservateurs, les libéraux ont vanté la bureaucratie syndicale comme étant des partenaires subalternes, ce qui a amené les dirigeants du Congrès du travail du Canada, d’Unifor et d'autres grands syndicats à se vanter d'avoir un accès sans précédent aux ministres du gouvernement.

De nombreux postiers de la région de Toronto interrogés par le World Socialist Web Site durant leur grève de deux jours ont critiqué la stratégie du STTP de limiter l'action syndicale à de courtes périodes de grève municipale ou régionale.

«Nous avons voté pour la grève», a déclaré au WSWS un employé de Postes Canada, qui compte 20 ans d'expérience, sur le piquet de grève devant l'usine de tri de South Central, à Toronto. «Nous n'avons pas voté pour une grève tournante. Nous voulons une grève générale.»

«Vous avez vu ce qui s'est passé la dernière fois», a-t-il poursuivi en parlant de 2011, lorsque le STTP a déclenché une grève tournante, en affirmant que cela permettrait aux travailleurs de faire pression sur Postes Canada, sans provoquer d'intervention gouvernementale. Au lieu de cela, le gouvernement conservateur Harper a poussé Postes Canada à imposer un lock-out à l'échelle nationale, puis a utilisé l'interruption de la distribution du courrier à l'échelle nationale comme prétexte pour imposer une loi draconienne de retour au travail.

«Ils nous ont mis à l'écart et nous avons perdu en arbitrage et c'est la même chose qui va se produire. Quel est l'intérêt de refaire la même chose?»

Judy, une autre gréviste, a dit: «J'espère qu'il y aura une grève totale. C'est plus efficace. Nous avons donné le pouvoir au syndicat pour une véritable grève, mais ils ont décidé d'avoir une grève tournante.»

Judy a expliqué que Postes Canada cherche encore une fois à imposer une réduction des salaires réels à ses effectifs. «Le taux d'inflation est de 2,8% et l'inflation est en hausse, mais ils ne nous en donnent que 1,5%. Peu importe les avantages sociaux, nous ne demandons que l'essentiel. Mais c'est comme une réduction de salaire. Nous avons eu 0% en 2015, puis 1% ensuite.»

Les travailleurs ont exprimé à maintes reprises leur colère et leur frustration devant le fait que les dirigeants du STTP n'ont pas expliqué pourquoi ils limitent les mesures d'intervention à une grève tournante inefficace.

«Je ne pense pas que cela ait fonctionné la dernière fois», a déclaré au WSWS un travailleur retraité qui avait participé à la grève de 2011 et s'était joint aux piquets de grève à South Central pour manifester son soutien, «Vous savez, ajouta-t-il, la définition de la folie ? Refaire la même chose et s'attendre à un résultat différent.»

Employé de Postes Canada depuis 25 ans, le retraité a ajouté: «Justin Trudeau veut faire semblant d'être progressiste et, en même temps, il veut nous donner un autre contrat régressif, mais paraître devant le public comme un modéré. Une grève générale où tout le monde sortirait le forcerait à dévoiler ses cartes.

«C'est un problème constant avec les syndicats, et des types comme Jerry Dias (président d'Unifor) qui trahissent les travailleurs.»

Les grévistes ont bravé des températures près du point de congélation à Toronto

L'un des plus importants employeurs du pays, Postes Canada rivalise avec l'industrie privée en faisant fi des droits des travailleurs.

Les grévistes ont soulevé de nombreuses préoccupations: l'imposition de salaires à deux vitesses, les heures supplémentaires forcées, les coupures de pensions, l'importante main-d'œuvre temporaire moins bien rémunérée, et la liste est encore longue.

L'un des principaux problèmes est l'augmentation du nombre d'accidents de travail en raison de l'augmentation considérable des livraisons de colis, et de la croissance des achats en ligne et de l'effort incessant de la direction pour accélérer le service, tout en allongeant les tournées de livraison et en réduisant les emplois.

Une travailleuse ayant 20 ans d'expérience a parlé des luttes qu'elle a dû mener contre la réduction des prestations. Elle a dit que Postes Canada exige que les travailleurs blessés au travail consultent des médecins approuvés par l'entreprise qui refusent systématiquement les demandes. Les travailleurs qui sont trop blessés pour travailler sont victimes d'intimidation dans le but de les forcer à démissionner.

Les grandes entreprises se battent pour que le gouvernement intervienne afin de mettre fin à la grève, c'est-à-dire pour des lois brise-grève, ou «lois spéciales», comme celles que les gouvernements libéraux et conservateurs ont utilisées à maintes reprises contre les travailleurs des postes au cours des quatre dernières décennies.

Le gouvernement Trudeau n'aurait aucun scrupule à criminaliser les mesures prises par les travailleurs. Mais pour l'instant, il juge plus opportun, sur le plan politique, de compter sur la direction du STTP pour éviter que la colère des travailleurs ne dégénère en grève générale et, si cela s'avère impossible, pour isoler toute grève et conclure rapidement une entente avec la direction en vue d'assurer la rentabilité de la Société.

Pour sa part, le STTP a clairement fait savoir qu'il veut dissiper la colère des travailleurs par une longue et délibérément inefficace campagne de grève tournante. De plus, il a scrupuleusement évité de mentionner ce qu'il ferait en cas de loi de retour au travail d'un gouvernement, signalant ainsi qu'il ferait respecter une telle loi.

Des postiers à l'extérieur de l'usine de tri principale de Toronto

Plus important encore, bien que le président du STTP Mike Palecek emploie une rhétorique militante, il s'oppose catégoriquement à l'idée de faire de la lutte des postiers le fer de lance d'un mouvement d’opposition plus large de la classe ouvrière au démantèlement des services publics et des droits sociaux des travailleurs.

Mercredi, la ministre du Travail, Patty Hajdu, a nommé l'ancien président de la Commission des relations de travail de l'Ontario et avocat spécialisé en relations de travail, Morton Mitchnick, à titre de médiateur spécial et, plus tard dans la journée, Mitchnick a rencontré le syndicat et la direction de Postes Canada. En annonçant la nomination de Mitchnick, Hadju a révélé qu'elle avait rencontré les deux parties et les avait pressées de parvenir rapidement à un accord.

Si leur lutte ne doit pas être étranglée par le STTP, les travailleuses et travailleurs doivent en prendre la direction. Il faut former des comités de la base, indépendants de l'appareil syndical, pour lancer une grève générale, animés par la perspective de lutter pour mobiliser la force industrielle et politiquement indépendante de toute la classe ouvrière contre l'austérité, pour défendre les services publics contre toutes lois anti-ouvrières.

(Article paru en anglais le 26 octobre 2018)

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