Le président allemand défend l'alliance contre la révolution de novembre 1918 entre les sociaux-démocrates et la réaction de droite

Le 9 novembre 1918 a été un «jalon dans l'histoire de la démocratie allemande», a déclaré le président Frank-Walter Steinmeier lors d'une réunion spéciale commémorative du Bundestag (parlement) allemand. La Révolution de novembre, a-t-il affirmé, a ouvert la voie à la démocratie parlementaire et jeté les bases de l'État-providence moderne.

Le président a expressément reconnu le rôle joué par Friedrich Ebert, président du Parti social-démocrate (SPD), parti auquel appartient aujourd'hui Steinmeier. Ebert «voulait avant tout empêcher le chaos, la guerre civile et l'intervention militaire des puissances victorieuses», et était motivé par le désir «de donner du travail et du pain à la population», a-t-il affirmé.

En fait, Ebert était motivé par le désir d’écraser la révolution des travailleurs et des soldats, qui s’était répandue comme une traînée de poudre dans tout le pays, pour sauver ainsi le plus possible de l’ancien régime.

Déjà le 3 octobre, alors que la défaite allemande lors de la Première Guerre mondiale était devenue évidente et que le mécontentement qui régnait dans les usines et dans l'armée atteignait le point d'ébullition, le SPD entra dans le gouvernement impérial pour la première fois de son histoire. Ebert a explicitement justifié cette décision par la nécessité d’éviter une révolution imminente.

«Si nous ne voulons pas d'un accord avec les partis bourgeois et le gouvernement, nous devons laisser les choses suivre leur cours ... alors nous laissons le sort du parti à la révolution», a-t-il déclaré le 23 septembre à la faction parlementaire et à l'exécutif du SPD. Il a ajouté que quiconque ayant vécu ce qui s'était passé en Russie, où la Révolution d'octobre avait réussi un an auparavant, ne pouvait pas «souhaiter un tel développement pour nous». Le SPD devait «colmater la brèche» et sauver le pays. C’est «notre devoir et notre responsabilité», a insisté Ebert.

Il était cependant trop tard pour arrêter la révolution. À la fin du mois, les marins de la Flotte de haute mer se sont mutinés. Les marins étaient principalement des ouvriers recrutés dans la marine en raison de leurs compétences techniques. Lorsqu'une partie de la flotte fut transférée à Kiel, les marins se sont alliés aux dizaines de milliers de travailleurs des chantiers navals de la ville, qui ont joué un rôle clé dans la guerre.

En quelques jours, le soulèvement des marins à Kiel se répandit dans toute l’Allemagne et renversa les autorités en place. Des conseils de travailleurs et de soldats surgirent partout comme des champignons.

Lorsque la révolution a atteint Berlin le 9 novembre, le SPD est entré précipitamment en action. L’empereur a abdiqué et le même jour, Ebert a pris la direction du gouvernement, appelé à tort le «Conseil des députés du peuple». Le «conseil» était composé de trois sociaux-démocrates et de trois membres des sociaux-démocrates indépendants.

Dans les jours qui ont suivi, les dirigeants du SPD se sont alliés aux forces les plus réactionnaires de l'appareil d'État et de l'armée pour écraser l'insurrection des travailleurs résolus à éliminer l'ancien régime. (Voir: Cent ans après la révolution de novembre en Allemagne.)

Steinmeier s'est senti obligé de se démarquer quelque peu des actions brutales d'Ebert et de son «limier», Gustav Noske. Les Députés du peuple «ont dû probablement risquer plus de changements qu'ils jugeaient être justifiés de leur point de vue», a-t-il déclaré. «Trop d'adversaires jurés de la jeune république ont conservé leurs fonctions dans l'armée, la justice et l'administration», a-t-il avoué. Il n'y avait donc «aucune justification» pour «déchaîner la brutalité des forces volontaires nationalistes». (Il s'agissait d'une référence diplomatique aux Freikorps protofascistes.) Les victimes de cette époque – Steinmeier a nommé Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht en particulier – devraient également être commémorées, a-t-il dit.

Néanmoins, il a pleinement défendu la répression par le président du soulèvement des spartakistes, qui a culminé le 15 janvier 1919 avec l’assassinat de Luxembourg et de Liebknecht. «Il reste cependant vrai, a-t-il déclaré, que les Députés du peuple dirigés par Friedrich Ebert aient dû se défendre contre la tentative de la gauche radicale d'empêcher par la force les élections à l'Assemblée nationale.» Il restait, selon lui, «le grand mérite du mouvement ouvrier modéré qu'il ait cherché, dans un climat de violence, au milieu de la misère et de la faim, à transiger avec les forces modérées de la bourgeoisie et à donner la priorité à la démocratie parlementaire.»

Cette même bourgeoisie avec laquelle le SPD cherchait à «transiger» a élevé Hitler au pouvoir 15 ans plus tard. La véritable mission du SPD en 1918 était de noyer dans le sang une révolution dirigée non seulement contre le régime Hohenzollern, mais aussi contre son fondement social: la caste militaire, les barons de l'industrie, les grands propriétaires fonciers, l'appareil d'État prussien et le système judiciaire réactionnaire. Le SPD a sauvé les piliers de l’ancien régime, qui auraient sinon été balayés par la révolution. Ils ont pu conserver leurs biens, leur statut social et leur pouvoir. Un certain nombre de concessions sociales et démocratiques, qui ont par la suite été retirées, furent un petit prix à payer.

La démocratie de Weimar n’a jamais été autre chose qu’une façade, qui s’est effondrée chaque fois que les antagonismes de classe se sont intensifiés. Ce fut le cas en 1923, quand Ebert, à l'époque président et confronté à une révolution prolétarienne imminente, transféra le pouvoir exécutif au général Hans von Seeckt et instaura pratiquement une dictature militaire. À partir de 1925, Paul von Hindenburg était président du Reich et chef de la république. Le maréchal, qui avait instauré une sorte de dictature militaire au cours des dernières années de la guerre, avait été l'une des cibles principales de la révolution de novembre.

Sous le patronage de Hindenburg, la façade démocratique s’est complètement effondrée. À partir de 1930, les gouvernements ne s'appuient plus sur des majorités parlementaires, mais sur des décrets d'urgence signés par le président. En 1933, un complot dirigé par Hindenburg amena Hitler au poste de chancelier.

Quand Steinmeier avoue maintenant sa fierté par rapport à ces traditions, quand il s'exclame: «N'affirmons plus que la République de Weimar était une démocratie sans démocrates!», Alors qu'il reconnaît un «patriotisme éclairé» et transforme de manière trompeuse les couleurs nationales allemandes noir, rouge et or en symbole de «démocratie, loi et liberté» – il exprime qu’il a l’intention de revenir aux traditions réactionnaires de l'histoire allemande.

L'élément le plus notable du discours de Steinmeier a été la réaction des députés du Bundestag plein à craquer. Ils l'ont applaudi encore et encore. À la fin, tous les députés – du Parti de gauche à l'Alternative pour l'Allemagne d'extrême droite – se sont levés pour l'ovationner et chanter l'hymne national. Tous les partis «modérés» et «de gauche» n'auraient pas pu clarifier davantage leur parenté fondamentale avec l'AfD, qui évoque ouvertement les traditions les plus réactionnaires de la République de Weimar et considère le régime nazi comme une petite «tache de merde» en 1000 ans d'histoire allemande couronnée de succès.

Le discours de Steinmeier a également été accueilli par une tempête d’approbation des médias. Heribert Prantl, qui dirige les pages d'opinion du journal Süddeutsche Zeitung, a publié une réponse exaltante qui laisse bouche bée. Le discours était un «rayon d'espoir», un «miracle», «un bon, un sage, un excellent discours», s'est-il enthousiasmé. Il était particulièrement ravi du fait que «tous les députés – tous, y compris l'AfD!», lui fassent une ovation debout. Pour Prantl, quelque chose qui devrait nous alarmer est plutôt fascinant!

Le discours de Steinmeier et la réaction illustrent ce qui se passe actuellement dans la société. Face au profond fossé qui sépare la grande majorité de la population et les partis établis, ces derniers serrent les rangs et virent de plus en plus à droite pour mettre en œuvre un programme réactionnaire de militarisme, de réarmement et de coupes sociales.

L'AfD détermine déjà en grande partie le cours du gouvernement. La grande coalition au pouvoir – l'Union chrétienne-démocrate (CDU), l'Union sociale chrétienne (CSU) et le Parti social-démocrate (SPD) – a complètement repris sa politique réactionnaire en matière de réfugiés. La leçon tirée par Steinmeier de la révolution de novembre 1918 est qu'une collaboration encore plus étroite avec les forces politiques les plus réactionnaires et l'appareil d'État est nécessaire pour réprimer un soulèvement qui se prépare.

Le SPD est déterminé à prendre ce chemin jusqu'au bout. Bien que le vote pour le parti soit actuellement à un minimum historique de 13%, il reste fermement attaché à la grande coalition. Quant aux Verts, ils ont tenu le week-end dernier un congrès dont la tâche principale était de préparer le parti à participer au gouvernement aux côtés de la CDU et de la CSU.

La classe ouvrière doit tirer ses propres leçons de la révolution de novembre 1918. Pour contrer les forces de réaction unies, il a besoin de son propre parti marxiste indépendant. La construction du Parti de l'égalité socialiste est une tâche urgente.

(Article paru en anglais le 14 novembre 2018)

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