Les menaces des États-Unis dominent les sommets indopacifiques

Les représentants de Trump lancent des ultimatums à la Chine et à d'autres pays d’Asie

Une série de sommets indopacifiques à Singapour et en Papouasie-Nouvelle-Guinée cette semaine a été éclipsée par des accusations et demandes belligérantes lancées par les représentants de l'administration Trump, le vice-président Mike Pence et le conseiller à la sécurité nationale John Bolton.

Le président américain Donald Trump lui-même boycotte les réunions, envoyant à sa place ses représentants pour opposer en réalité son veto à tout accord conclu entre les gouvernements de la région, surtout concernant des accords économiques avec la Chine ou des arrangements sur les territoires contestés de la mer de Chine méridionale hautement stratégique.

Pence et Bolton ont insisté sur le fait que la Chine devait se plier aux vastes exigences militaires et économiques américaines, ou de faire face à une nouvelle «guerre froide». Ils ont dit que Washington ne tolérera aucun accord régional qui transcende les «intérêts américains» ou ses activités militaires croissantes. Comme ces menaces l'indiquent, un conflit avec la Chine impliquerait presque certainement une guerre militaire, pas seulement une «guerre froide».

Pence a même utilisé son vol d'arrivée, du Japon à Singapour, pour survoler de manière provocatrice la mer de Chine méridionale à seulement 80 kilomètres environ des îles Spratly, où la Chine a érigé des installations de défense. Il a déclaré au journaliste du Washington Post dans son avion que le vol était une mission de «liberté de navigation».

Au cours de l'année écoulée, sous la bannière trompeuse de «liberté de navigation», l'administration de Trump a intensifié les incursions navales et aériennes dans les zones territoriales autour des îlots occupés et revendiqués par la Chine – des opérations d’affrontement qui ont commencé sous l'administration Obama.

«Nous ne serons pas intimidés», a déclaré Pence. «Nous ne baisserons pas la garde.» Lorsque le journaliste lui a demandé ce qui se passerait si Pékin n’acceptait pas d’agir de manière à éviter une «guerre froide» avec les États-Unis, Pence a répondu: «Alors qu’il en soit ainsi. Nous sommes ici pour de bon.»

Pence a déclaré que Trump laissait la porte ouverte à un accord avec le président chinois Xi Jinping au sommet du G20 en Argentine le 30 novembre, mais seulement si Pékin entamait les changements importants que les États-Unis exigeaient de lui en rapport avec ses activités économiques, militaires et politiques.

Le vice-président a déclaré que ce serait la meilleure, sinon la dernière, chance de la Chine d'éviter une confrontation avec les États-Unis. Il a ajouté que Xi devait «venir en Argentine avec des propositions concrètes qui ne traitent pas seulement du déficit commercial auquel nous sommes confrontés».

Les exigences américaines vont bien au-delà des droits de douane punitifs déjà imposés pour réduire les exportations chinoises.

Pence a déclaré que la Chine devait proposer des concessions sur de nombreuses questions. Il a énuméré le vol supposé à grande échelle de propriété intellectuelle, le transfert forcé de technologie, l'accès restreint aux marchés chinois, le respect des règles et normes internationales, les efforts visant à limiter la liberté de navigation dans les eaux internationales et l'ingérence du Parti communiste chinois dans la politique des pays occidentaux.

Comme le sait l'élite dirigeante américaine, cette liste de demandes est impossible à satisfaire du point de vue du régime de Pékin. Cela impliquerait de mettre fin au développement économique de la Chine, en particulier dans les domaines de haute technologie, d'accepter la domination militaire américaine des mers et des routes commerciales vitales au large des côtes chinoises, et de cesser toute activité diplomatique, d'aide et d'investissement visant à promouvoir les intérêts du capitalisme chinois.

Avant de quitter Washington pour son voyage en Asie, Pence avait laissé présager un discours d'intimidation qu'il prévoie de prononcer lors du sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC) à Port Moresby ce week-end, où il devrait prendre la parole juste après Xi. Sa porte-parole a déclaré que Pence accuserait la Chine «d'autoritarisme, d'agression et du mépris de la souveraineté des autres nations» et déclarerait que cela «ne serait pas toléré par les États-Unis».

Dans une tribune libre publiée le week-end dernier dans le Washington Post, Pence a écrit: «Les États-Unis vont travailler avec des nations partageant les mêmes idées, de l'Inde aux îles du Pacifique, pour faire avancer nos intérêts communs. Ensemble, nous allons tenir tête à quiconque menacera nos intérêts et nos valeurs.»

Tandis que Pence affirmait que les États-Unis cherchaient à «collaborer, pas à contrôler», ces menaces soulignent la volonté de l'impérialisme américain de réaffirmer sa domination sur la région, qu'il avait acquise à travers sa victoire dans la Seconde Guerre mondiale.

Pence a essentiellement exigé le démantèlement de l'économie contrôlée par le gouvernement chinois afin de permettre une exploitation sans entrave de la classe ouvrière, des marchés et des ressources du pays par la classe capitaliste américaine. «Ce ne sont pas les bureaucrates, mais les entreprises qui vont alimenter nos efforts, car les gouvernements et les entreprises publiques ne sont pas en mesure de créer une prospérité durable», a-t-il déclaré.

Des responsables américains anonymes ont déclaré aux journalistes que le discours de Pence allait se «rapprocher» du discours belliqueux qu'il avait prononcé au début octobre, où il a vertement accusé la Chine de voler la propriété intellectuelle des États-Unis, de réprimer les droits de l'homme et «d’ingérence» dans les élections américaines.

Dès que Bolton a atterri mardi à Singapour, il a déclaré que les États-Unis s'opposeraient à tout accord entre la Chine et les autres prétendants à la mer de Chine méridionale qui limiterait le libre passage au trafic maritime international. Le conseiller en sécurité nationale de Trump a déclaré que les États-Unis maintiendraient le rythme accéléré de leurs missions de «liberté de navigation» et augmenteraient leurs dépenses militaires ainsi que leur «niveau d'engagement» avec les autres pays de la région afin de renforcer leur position.

Les remarques de Bolton ont servi d'avertissement aux pays asiatiques, et en particulier aux Philippines, qui sont actuellement en pourparlers avec Pékin pour explorer conjointement les ressources naturelles de la zone contestée.

Au cours des négociations visant à élaborer un code de conduite pour la mer de Chine méridionale, la Chine aurait cherché à restreindre les exercices militaires dans les eaux contestées et exhorté ses voisins du sud à développer les ressources de la mer uniquement avec d'autres pays de la région. Les États-Unis ont essayé de bloquer un tel code, qui se préparait depuis des années, afin de fournir un prétexte à l'intensification des opérations militaires américaines dans la région.

L'intimidation de Bolton fait suite à une demande explicite des États-Unis à la Chine de retirer un bouclier antimissile qui aurait été déployé dans les îles Spratly. Lors d'une réunion du Dialogue diplomatique et de Sécurité des États-Unis et la Chine à Washington au début du mois, le secrétaire d'État américain Mike Pompeo et le secrétaire à la Défense Jim Mattis ont lancé à leurs homologues chinois un ultimatum formel «demandant à la Chine de retirer ses systèmes de missiles des zones contestées dans les Îles Spratly».

Les dirigeants des gouvernements asiatiques, pris au piège dans la ligne de front potentiellement catastrophique de la collision entre Washington et Pékin, ont exprimé leur consternation et leur inquiétude lorsque le sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) a débuté mardi à Singapour.

En ouverture de l’événement, le premier ministre singapourien Lee Hsien Loong a émis un avertissement qui semblait viser l’unilatéralisme de «l’Amérique d’abord» de Trump. De grandes puissances «ont recours à des actions unilatérales et à des accords bilatéraux et même à la répudiation explicite d'approches et d'institutions multilatérales», a-t-il déclaré. En conséquence, «l'ordre international» pourrait «se scinder en blocs rivaux».

Le premier ministre malaisien Mahathir Mohamad a déclaré que le conflit américano-chinois pourrait créer un «effet domino» qui donnerait une raison aux autres pays développés d'adopter des mesures de protection contre les pays en développement, y compris les pays de l'ANASE».

En dépit de ces appels, les États-Unis ne feront que renforcer leur agression, quels que soient les dégâts économiques qu’ils infligeront et le danger de guerre qu’ils provoqueront. Une autre indication de cela est intervenue lorsque la signature du Partenariat économique global régional (RCEP) – une tentative appuyée par la Chine de conclure le plus important accord commercial du monde sans les États-Unis – a de nouveau été reportée à, au plus tôt, 2019.

Le RCEP est un pacte commercial conclu entre les 10 États membres de l'ANASE et six pays d'Asie-Pacifique avec lesquels le groupe a déjà passé des accords commerciaux: Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande. D'abord proposé en 2011, mais bloqué à maintes reprises par l'administration Obama, cet accord devait être signé lors des trois jours de sommet à Singapour de cette semaine.

Derrière la poursuite de la guerre commerciale et la menace d'une confrontation militaire avec la Chine par Washington, est la tentative de plus en plus frénétique de l'impérialisme américain d’inverser son déclin économique prolongé, le recul de sa position hégémonique incontestée. Et cela brandit le spectre d'une nouvelle guerre mondiale.

(Article paru en anglais le 15 novembre 2018)

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