Un accord sur le Brexit menace la survie du gouvernement de Theresa May

Le projet d’accord conclu entre l’Union européenne (UE) et les représentants de la Première ministre, Theresa May, a été dénoncé de tous bords. Le sort immédiat de May dépend de l’ampleur de la rébellion de l’aile de son parti favorable à un Brexit dur (sans accord avec l’UE). De plus, étant donné que le pronostic d’un soutien parlementaire à sa proposition reste peu réalisable, son avenir et celui du Parti conservateur au pouvoir sont menacés.

May est arrivée à obtenir l’adoption de sa proposition d’accord sur le retrait du Royaume-Uni de l’UE par son cabinet ministériel seulement au bout d’une réunion de cinq heures mercredi, et elle n’a pas permis un vote formel. Des démissions de ministres bien en vue ont suivies, à savoir celles du secrétaire du Brexit, Dominic Raab, et de la secrétaire du travail et des retraites, Esther McVey.

May a réagi en insistant sur le fait qu’il n’y avait pas d’autre voie pour effectuer le Brexit, qu’il faudrait « un filet de sécurité » qui conviendrait à Bruxelles afin de garantir un accès en franchise de droits au marché unique européen et d’éviter une frontière dure entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Elle a exhorté les partisans d’un Brexit dur à ne pas voter contre son accord, risquant ainsi un deuxième référendum ou des élections législatives anticipées qui pourraient amener le Parti travailliste de Jeremy Corbyn au pouvoir. Même si elle réussissait à semer la désunion entre les opposants au sein de son propre gouvernement et de son parti, elle aurait toujours besoin du soutien d’une section du Parti travailliste au Parlement pour faire adopter l’accord.

Le dirigeant conservateur influent du groupe anti-UE European Research Group, Jacob Rees Mogg, a déposé une motion de censure contre May auprès du président du comité 1922 de la base du parti, Sir Graham Brady. Deux autres partisans du Brexit, Sheryll Murray et Henry Smith, ont emboîté le pas. Afin de déclencher une élection à la direction du parti, il faudrait que 48 députés conservateurs déposent des lettres et Mogg a laissé entendre que le compte n’y était « pas encore », mais pourrait se faire en quelques semaines. Cela exprimait beaucoup moins de confiance que les chiffres avancés le mois dernier, indiquant que certains partisans du Brexit ont écouté les exigences du monde des affaires selon lesquelles le commerce européen doit être préservé et suggérant que May pourrait ainsi se maintenir en place.

Dans tous les cas, avec l’opposition à May réunissant tous les partis de l’opposition, de ses partenaires de la coalition dans le Parti démocrate-unioniste à des dizaines de députés conservateurs, la crise du Brexit ne peut que s’aggraver. Le chroniqueur du Financial Times, Martin Wolf, a averti que l’impasse était historique, car « la Grande-Bretagne ne peut pas pour l’instant résoudre sa relation avec le continent […] Les comparaisons avec la crise de Suez de 1956 sont très loin de mesurer la gravité de la situation. C’est un pétrin bien plus important que cela. »

Tony Blair, le chef officieux du camp Remain (pour rester dans l’UE), a déclaré : « Cet accord n’est pas un compromis, c’est une capitulation ». Les partisans de Remain se plaignent que l’accord proposé est bien pire que les conditions actuelles de l’adhésion à l’UE. Bien qu’il garantisse un accès continu au marché unique, le Royaume-Uni perd ses droits de membres de l’UE. L’opposition de Blair à l’accord l’a donc uni à l’ancien secrétaire aux affaires étrangères conservateur Boris Johnson dans une « alliance contre nature […] Nous convenons qu’il s’agit d’un Brexit que de nom, qui n’est pas le meilleur d’un mauvais travail mais le pire des cas des deux positions. »

Jeudi matin, le Parti travailliste a publié une déclaration via Jon Trickett, son ministre fantôme du cabinet ministériel, selon laquelle « le gouvernement est en train de s’effondrer sous nos yeux » et que la Première ministre « n’a plus aucune autorité et est clairement incapable de conclure un accord sur le Brexit qui rallie même son cabinet – sans parler du Parlement et de la population de notre pays ». Pourtant, malgré l’appel antérieur de Corbyn selon lequel des élections générales seraient le seul moyen de résoudre la crise du Brexit, il n’a pas appelé explicitement à la tenue d’élections.

Cela est clairement lié aux efforts des partisans de Corbyn pour apaiser la faction blairiste du parti, opposée à une élection générale, craignant que cela ne favorise un mouvement d’en bas de la classe ouvrière contre les décennies de néolibéralisme et d’austérité. Au lieu de cela, ils exigent un deuxième référendum appelé le « vote du peuple » afin de renverser complètement la décision sur le Brexit.

Le Parti travailliste, ainsi que d’autres partis d’opposition, se focalise sur le « vote significatif » promis par Theresa May sur l’accord réclamant le droit d’y apporter des amendements censés procurer les « mêmes avantages » que l’adhésion à l’UE. Les responsables de l’UE ont répondu en insistant sur le fait que le projet d’accord est « le meilleur que nous puissions proposer ».

Le prédécesseur de May, David Cameron, lança le référendum de 2016 sur le Brexit comme un moyen de calmer l’aile eurosceptique de son parti, tout en renforçant la position de négociation du Royaume-Uni avec les autres puissances de l’UE, surtout l’Allemagne. Face aux implications désastreuses de la défaite dans ce vote, en grande partie dûes à un vote de protestation exprimant une aliénation sociale et politique généralisée, l’élite dirigeante fut plongée dans un âpre conflit entre factions sur la meilleure façon de défendre les intérêts mondiaux du Royaume-Uni.

Les factions pro-Brexit ont fondé leurs espoirs sur l’utilisation de l’élection de Donald Trump pour tirer profit des demandes américaines d’accès sans restriction aux marchés européens, ainsi que du droit de négocier des accords commerciaux indépendants au niveau international. May cherchait le même objectif final, mais s’est trouvée face à la réalité de la position faible de la Grande-Bretagne et à toutes les implications des antagonismes croissants entre les États-Unis et l’Europe.

Plutôt que de se plier aux pressions des États-Unis, l’Allemagne et la France ont pris une ligne dure contre le Royaume-Uni afin de préserver l’unité de l’UE tout en cherchant à se renforcer face à Washington. La semaine qui a précédé l’annonce du texte du Brexit a été dominée par les commémorations officielles du centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale, qui ont conduit à la réunion à Paris de 70 dirigeants mondiaux. L’isolement de May est tel qu’elle ne pouvait envisager d’y participer et est restée à Londres pour marquer l’occasion. Plus important encore, des relations hostiles se sont fait jour entre les États-Unis, la France et l’Allemagne suite à la déclaration du président Emmanuel Macron selon laquelle l’Europe avait besoin de sa propre armée, non seulement pour lutter contre les menaces russe et chinoise, mais en reconnaissance du fait que les États-Unis n’étaient plus un allié fiable.

Alors qu’il débarquait à Paris, Trump a lancé un tweet déclarant que « le président français Macron vient de suggérer que l’Europe développe ses propres forces armées afin de se protéger des États-Unis, de la Chine et de la Russie. Très insultant, mais peut-être que l’Europe devrait d’abord payer sa juste part de l’OTAN, que les États-Unis subventionnent énormément ! »

Mardi, il a tweeté, « Emmanuel Macron suggère de créer sa propre armée pour protéger l’Europe contre les États-Unis, la Chine et la Russie. Mais c’était l’Allemagne dans les deux guerres mondiales – Comment cela s’est-il passé pour la France ? Ils commençaient à apprendre l’allemand à Paris avant l’intervention des États-Unis. »

La chancelière allemande Angela Merkel, qui ne s’était pas opposée à la proposition de Macron d’honorer le maréchal Pétain, le chef du régime nazi collaborationniste de Vichy, a apporté son soutien à l’appel de Macron pour une force militaire européenne indépendante. Mardi, elle a fait part au Parlement européen à Strasbourg de sa « vision de mettre en place une véritable armée européenne un jour », en insistant que : « Le temps où nous pouvions compter sur les autres est révolu. »

Dans ces circonstances, May a été contrainte d’accepter un mauvais accord plutôt que les conséquences désastreuses d’une sortie de l’UE sans accord. Mais cela n’a changé que le champ de bataille sur lequel se déroule le conflit qui fait rage au sein de l’élite dirigeante.

En appelant au boycott actif du référendum sur le Brexit de 2016, le SEP (Parti de l’égalité socialiste) britannique a insisté sur le fait que la classe ouvrière n’avait aucun intérêt à soutenir l’une ou l’autre des deux factions bourgeoises de droite. Le Brexit s’est révélé être un désastre économique et un foyer de nationalisme xénophobe et de projets de guerre commerciale menés au détriment des emplois, des salaires et des services essentiels des travailleurs. On ne peut s’opposer à cela en soutenant l’adhésion à l’UE, où les gouvernements membres poursuivent le même programme du militarisme croissant, de mesures anti-migrants et de brutale austérité, et attisent l’émergence de mouvements fascistes sur tout le continent, en particulier en France et en Allemagne.

La classe ouvrière doit mettre en avant son propre programme internationaliste visant à unifier les luttes des travailleurs de toute l’Europe pour défendre le niveau de vie et les droits démocratiques. L’objectif à mettre face à l’Europe des sociétés transnationales pour les travailleurs est la lutte pour les États socialistes unis d’Europe.

(Article paru en anglais le 16 novembre 2018)

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