Lock-out d’ABI au Québec: Les pourparlers reprendront sous la menace d'un contrat au rabais imposé par l'État

Le ministre du Travail du Québec, Jean Boulet, a annoncé la semaine dernière la reprise des négociations entre la direction de l'Aluminerie de Bécancour inc. (ABI), qui a mis en lock-out 1.030 travailleurs de la production il y a dix mois, et le syndicat des Métallos.

Boulet a fait cette annonce à son retour de Pittsburgh, où il a rencontré de hauts fonctionnaires du géant de l'aluminium Alcoa le 6 novembre. ABI est une coentreprise d’Alcoa et Rio Tinto-Alcan, la première détenant 75% de la société et la seconde 25%.

Les négociations avaient échoué début octobre, après que le médiateur spécial nommé par le gouvernement – l'ancien premier ministre du Québec et lobbyiste d'entreprise Lucien Bouchard – a déclaré que l'entreprise et le syndicat étaient «trop éloignés».

ABI a mis en lock-out les travailleurs, membres de la section locale 9700 du Syndicat des Métallos, après qu’ils ont rejeté ses demandes de concession radicales. Il s'agit notamment de l'élimination du régime de retraite à prestations déterminées et de la suppression des droits d'ancienneté dans le placement de personnel.

L'isolement systématique du Syndicat des Métallos dans la lutte des travailleurs d'ABI a encouragé Alcoa et Rio Tinto à rejeter leur proposition de contrat «finale» de décembre dernier et à exiger encore plus de concessions. Au cours de l'été, le syndicat a révélé que l'entreprise a maintenant l'intention de réduire la main-d'œuvre de 20%, soit 200 emplois. En octobre, le syndicat a rapporté qu'ABI avait répudié la clause sur les «droits de la direction» précédemment convenue.

Le Syndicat des Métallos, selon ses propres déclarations, a déjà accepté de faire des concessions importantes et d'accepter des réductions d'emplois si elles sont liées à de «nouveaux investissements».

Le nouveau gouvernement de droite de la Coalition Avenir Québec (CAQ) a signalé qu'il pourrait imposer une convention collective aux travailleurs si le syndicat ne cédait pas encore plus de terrain.

En annonçant la reprise des pourparlers, Boulet a déclaré que si ABI et les Métallos ne parvenaient pas à une entente de principe d'ici le 30 novembre, le nouveau comité de «médiation spéciale» qu'il a mis sur pied, sous la direction de M. Bouchard, pour aider les pourparlers, élaborera lui-même un projet de règlement. Il a ajouté qu'elle serait présentée aux deux parties au plus tard le 7 décembre.

Dans le cas des travailleurs, la proposition du comité de médiation devrait être soumise à un vote de la base. De plus, Boulet n'a pas exclu d'imposer un «contrat» si les travailleurs refusaient d'accepter ce qui sera inévitablement une proposition de règlement remplie de concessions.

Dans une interview à la radio la semaine dernière, Boulet a faiblement tenté d'occulter l'appui du gouvernement à la tentative d'ABI d'extorquer des concessions. «Ce n'est pas de l'arbitrage déguisé», a-t-il prétendu. «Mais, bien sûr, cela fera pression sur les deux parties pour qu'elles parviennent à un accord avant le 30 novembre.»

Les travailleurs ne doivent pas se faire d'illusions. Qu'une nouvelle convention collective soit conclue dans le cadre de la ronde actuelle de négociations syndicales-patronales ou imposée à la suite des machinations du gouvernement et de son comité «spécial» de médiation/arbitrage, elle sera pleine de concessions.

Alcoa et Rio Tinto, des multinationales qui font des milliards en profits, sont déterminées à faire des travailleurs d'ABI un exemple et à utiliser leur contrat pour établir un nouveau standard régressif pour leurs installations à travers le monde.

L'entreprise s'est publiquement vantée d'avoir utilisé le lock-out, au cours duquel le personnel de gestion a maintenu l'une des trois fonderies d'ABI en activité, pour tester de nouvelles méthodes de production et prouver que l'usine peut fonctionner avec une main-d'œuvre réduite.

Le président de la section locale 9700 du Syndicat des Métallos, Clément Masse, a annoncé à plusieurs reprises que le syndicat était prêt à collaborer avec la direction pour imposer des compressions. Selon Masse, le syndicat avait déjà accepté, avant même le début du lock-out, l'établissement d'un nouveau régime de retraite entièrement financé par les travailleurs. Plus récemment, Dominic Lemieux, adjoint au directeur québécois du Syndicat des Métallos, a déclaré que le syndicat est «prêt à [accepter] des suppressions d'emplois» chez ABI «si vous introduisez de nouvelles technologies et des choses comme ça».

La seule véritable plainte de la bureaucratie des Métallos est qu'ABI a rejeté ses offres, tant avant l'imposition du lock-out que depuis, pour utiliser ses services afin d'assurer la «viabilité», c'est-à-dire un rendement élevé pour les investisseurs, de l'usine de Bécancour.

Depuis le début du conflit, le Syndicat des Métallos et la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec ont tout fait pour isoler la lutte anti-concessions des travailleurs d'ABI des travailleurs du Québec, du Canada et du monde entier.

Déterminés à empêcher que le programme d'austérité des grandes entreprises, qui menacerait leurs relations intimes avec les entreprises nord-américaines et l'establishment politique, ne soit remis en question, les dirigeants des Métallos ont présenté le lock-out comme «inutile» et l'ont attribué soit à un «malentendu», soit à un subterfuge d’Alcoa pour obtenir de meilleurs tarifs de la part d’Hydro-Québec.

Les Métallos ont maintenu ces revendications alors même qu'Alcoa cherchait à extorquer d'autres concessions à ses travailleurs australiens et annonçait la fermeture de deux usines d'aluminium en Espagne.

Si le Syndicat des Métallos tente d’occulter les motifs d'Alcoa, c'est parce que le fait d'admettre ce qui est vraiment en jeu dans le lock-out ferait ressortir la nécessité de mobiliser l'ensemble du personnel d'Alcoa contre l'offensive patronale et de se tourner vers la classe ouvrière dans son ensemble, qui, indépendamment du secteur ou du pays, fait face à une atteinte sans merci à ses emplois, salaires et droits sociaux.

Plutôt que de se battre pour mobiliser la force de la classe ouvrière contre Alcoa, le Syndicat des Métallos a toujours cherché à dissiper l'énergie des travailleurs d'ABI en faisant des appels futiles à leurs ennemis: aux conseils d'administration d'Alcoa et de Rio Tinto, à leurs actionnaires et aux politiciens de la grande entreprise.

Pendant la campagne électorale du 1er octobre au Québec, Masse et la direction des Métallos ont fait défiler devant les travailleurs d'ABI les chefs des principaux partis du Québec et, bien que ces chefs et leurs partis aient appuyé ou imposé directement l'austérité aux travailleurs, ont vanté avec enthousiasme leurs promesses cyniques et hypocrites de «soutien».

Lorsque la CAQ, un parti de la droite xénophobe, a remporté les élections, les syndicats ont immédiatement offert leur collaboration. Dans la même veine, le Syndicat des Métallos a prétendu que le premier ministre de la CAQ, François Legault, partisan de la privatisation, de la déréglementation et de la réduction des dépenses sociales, devait sentir la pression pour tenir sa promesse d’«aider» les travailleurs d’ABI.

Aujourd'hui, le Syndicat des Métallos accueille favorablement l'intervention du ministre du Travail Benoit comme «un signe positif».

S'ils veulent l'emporter sur la volonté d'ABI d'imposer des concessions et des suppressions d'emplois, les travailleurs doivent arracher la direction de leur lutte des mains du syndicat corporatiste des Métallos. Ils doivent établir un comité d'action de la base indépendant de l'appareil syndical et lutter pour mobiliser la force de la classe ouvrière contre Alcoa et Rio Tinto. Un tel comité devrait tenter d’obtenir l'appui des travailleurs de l'industrie et du secteur public du Québec, du reste du Canada, des États-Unis et d'ailleurs, dans le cadre de l'élaboration d'une offensive internationale de la classe ouvrière contre toutes concessions, l'austérité capitaliste et les lois anti-ouvrières.

(Article paru en anglais le 13 novembre 2018)

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