Selon l’ONU, des millions de Britanniques ont été délibérément plongés dans une «grande misère»

Le rapport présenté par le rapporteur spécial des Nations Unies Philip Alston sur la pauvreté et les droits de l’homme en Grande-Bretagne est une description extraordinaire de la catastrophe sociale qui dévaste la classe ouvrière.

Pendant des années, le rapporteur spécial n’a enquêté que sur des pays «en développement» comme la Chine, le Ghana et la Mauritanie, où l’«extrême pauvreté» est endémique.

Mais l’offensive contre la classe ouvrière dans les pays capitalistes avancés est si sévère qu’Alston a été obligé de se tourner vers eux. Il s’est rendu aux États-Unis en 2017, où il a été confronté à des niveaux de pauvreté et d’inégalité qui l’ont «choqué».

Alston publie à présent un rapport de 24 pages sur le Royaume-Uni qui se penche sur neuf villes, dont Londres, Oxford, Newcastle, Cardiff, Glasgow et Belfast.

En ouvrant la conférence de presse sur ses conclusions, la semaine dernière à Londres, Alston a déclaré qu’il voulait mettre en contraste la «grande prospérité de la Grande-Bretagne», la cinquième économie du monde, avec le fait «qu’un cinquième de la population, 14 millions de personnes, vivent dans la pauvreté. Quatre millions d’entre elles sont à plus de 50 pour cent en-dessous du seuil de pauvreté et un million et demi sont sans aucune ressources».

Le taux de pauvreté infantile est «stupéfiant» et «devrait augmenter considérablement au cours des deux prochaines années».

Des millions de personnes souffrent d’une «grande misère», écrit-il, car «la compassion britannique pour ceux qui souffrent a été remplacée par une approche punitive, mesquine et souvent cruelle».

Il y a: «une croissance énorme des banques alimentaires et des files qui attentent à l’extérieur, des gens qui dorment dans la rue, de l’augmentation des SDF, du sentiment de désespoir profond qui conduit même le gouvernement à nommer un ministre ‘de la prévention du suicide et de la société civile’ à rendre compte en profondeur du degré inouï de solitude et d’isolement…»

«Pour près d’un enfant sur deux, être pauvre au XXIe siècle n’est pas seulement une honte, mais une calamité sociale et un désastre économique à la fois».

La révélation d’Alston que l’appauvrissement de la classe ouvrière est une politique délibérée est la plus éloquente de toutes ses déclarations. Selon lui, l’austérité n’est pas simplement déterminée par les circonstances économiques, mais dictée par un programme politique de «restructuration sociale radicale».

«Les gouvernements successifs ont apporté des changements révolutionnaires tant au système destiné à assurer un minimum d’équité et de justice sociale au peuple britannique qu’en particulier aux valeurs qui le sous-tendent. On renverse les éléments clés du contrat social d’après-guerre» [qui avait renforcé les acquis de la classe ouvrière] », conclut-il.

Alston cite des chiffres du Bureau national d’audit (NAO) qui montrent que les collectivités locales en Angleterre ont vu le financement du gouvernement central diminuer de moitié au cours des sept dernières années. En conséquence, plus de 500 centres pour enfants ont fermé leurs portes entre 2010 et 2018 et plus de 340 bibliothèques entre 2010 et 2016.

Le niveau de misère sociale qui en résulte est épouvantable. «En Angleterre, le nombre de SDF a augmenté de 60 pour cent depuis 2010, et le nombre d’habitants qui dort dans la rue a augmenté de 134 pour cent. Il y a 1,2 million de personnes sur la liste d’attente des logements sociaux, mais moins de 6.000 logements ont été construits l’an dernier».

«Au cours de ma visite, j’ai parlé avec des gens qui dépendent des banques alimentaires et des organismes de bienfaisance pour leur prochain repas, qui dorment sur le divan chez des amis parce qu’ils sont SDF et n’ont pas d’endroit sûr où ils peuvent dormir avec leurs enfants», écrit Alston.

Le recours aux banques alimentaires a presque quadruplé depuis 2012... il y a maintenant environ 2.000 banques alimentaires au Royaume-Uni, contre 29 au plus fort de la crise financière.

Les pauvres qui travaillent se tournent en masse vers les banques alimentaires. L’organisme de bienfaisance Trussell Trust, qui gère de nombreuses banques alimentaires, a dit à Alston qu’«une personne sur six qui vient à ses banques alimentaires travaille. Un pasteur déclare: «La majorité des gens qui utilisent notre banque alimentaire ont un emploi... Il y a des infirmières et des enseignants qui viennent aux banques alimentaires».

Des millions d’autres sont sur le point de sombrer: «Un filet de sécurité sociale n’est pas seulement pour les personnes déjà en situation de pauvreté... Beaucoup de familles vivent de chèque de paie en chèque de paie. Et 2,5 millions de personnes au Royaume-Uni survivent avec des revenus ne dépassant pas 10 pour cent au-dessus du seuil de pauvreté. Il suffit d’une crise quelconque pour qu’ils tombent dans la pauvreté sans que cela soit de leur faute».

Une partie importante du rapport d’Alston porte sur les souffrances imposées par le système punitif du « Crédit universel » que le gouvernement tente de mettre en place à l’échelle nationale pendant la présente législature. Il note: «le Crédit universel (UC) plus que tout autre programme» implique la «promotion de programmes d’austérité». Ce qui a motivé le gouvernement à passer à l’UC était qu’il voulait «faire clairement comprendre que toucher des prestations veut dire souffrir».

Même demander l’UC s’avère impossible pour de nombreuses personnes en raison du fait qu’il s’agit d’un processus entièrement en ligne. Non seulement «l’Internet par défaut» entraîne-t-il de graves difficultés pour les demandeurs, mais aussi l’UC est «conçue avec un délai de cinq semaines entre le moment où les personnes réussissent à présenter leur demande et celui où elles reçoivent les prestations». Les recherches suggèrent que cette «période d’attente», qui prend en fait souvent jusqu’à 12 semaines, pousse beaucoup de gens qui sont déjà en crise à vivre de graves difficultés; à s’endetter, à des arriérés de loyer et à sacrifier leur nourriture ou leur chauffage».

«L’imposition de sanctions draconiennes, même pour des infractions qui semblent mineures», est au cœur de l’UC. «D’innombrables anecdotes ont été présentées [...] pour illustrer la nature dure et l’arbitraire de certaines des sanctions, ainsi que les effets dévastateurs qui ont découlé de l’exclusion complète du système de prestations pendant des semaines, voire des mois. Au fur et à mesure que le système vieillit, certaines pénalités seront bientôt mesurées en années».

L’UC est si draconienne que Alston se souvient des conversations avec les autorités locales et le secteur associatif «au sujet de leurs préparatifs» pour son déploiement. «J’ai été frappé de constater à quel point leur mobilisation ressemblait au genre d’activité à laquelle on pourrait s’attendre en cas de catastrophe naturelle ou d’épidémie sanitaire imminente. Ils ont dépensé beaucoup d’argent et d’énergie pour protéger les gens de ce qui est censé être un système de soutien».

Alston écrit: «Nous assistons à la disparition progressive des prestations sociales de l’État britannique d’après-guerre derrière une page web et un algorithme... L’impact sur les droits humains des plus vulnérables au Royaume-Uni sera immense».

Il attire l’attention sur la déclaration du philosophe Thomas Hobbes selon laquelle sans contrat social, la vie serait «solitaire, pauvre, méchante, brutale et courte».

Un retour en arrière de plusieurs décennies, à l’époque précédant l’existence de contrat social de l’après-guerre, provoquera une réaction sociale, prévient Alston. «Presque toutes les études ont montré que l’économie britannique sera moins bien lotie à cause du Brexit, avec des conséquences sur l’inflation, les salaires réels et les prix à la consommation».

Si les politiques actuelles «envers les travailleurs à faible revenu et les autres personnes vivant dans la pauvreté sont maintenues... Cela pourrait bien conduire à un mécontentement public important, à de nouvelles divisions et même à l’instabilité».

Prenant la parole aux nouvelles de la chaîne «Channel Four», Alston a déclaré que les personnages du gouvernement auxquels il s'est adressé «ne se préoccupaient guère» de la dévastation causée par leurs politiques et de plus ils en niaient la réalité.

Il s’agit d’une déclaration charitable, étant donné qu’il insiste sur le fait que l’austérité est une politique délibérée de manipulation sociale. Amber Rudd, la nouvelle secrétaire à l’Emploi et aux Pensions, est l’ancienne ministre de l’Intérieur et une patisane du «Rester» dans l’Union européenne (UE). Confirmant l’hostilité envers la classe ouvrière partagée avec les «Brexiteers», Rudd rejeta les conclusions d’Alston. Prenant une posture d’indignation, elle a dit combien elle était «déçue» par «l’extraordinaire nature politique de son langage», qui «discréditait beaucoup de ce qu’il disait».

Il s’agit là d’une déclaration de l’élite dirigeante selon laquelle, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’UE, l’offensive contre la classe ouvrière se poursuivra sans répit.

(Article paru d’abord en anglais le 21 novembre 2018)

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