Perspective

Lors de la téléconférence de Thanksgiving, Trump en appel aux militaires contre les tribunaux et les opposants politiques

Le président américain Donald Trump a passé la matinée de Thanksgiving jeudi matin à organiser une téléconférence – dans l’atmosphère de maison close de son grotesque hôtel Mar-a-Lago en Floride – avec des officiers et des commandants militaires dans différentes parties du monde.

L’appel comprenait le colonel Stephanie Barton de la 101ᵉ Division aéroportée en Afghanistan ; le lieutenant-colonel Sam Howie à la base aérienne al-Jaber au Koweït ; le capitaine Pat Hannifin à bord de l’USS Ronald Reagan ; le général David Lyons en Afghanistan et le lieutenant Nicholas Hartmann de la Garde côtière américaine à Bahrain.

Trump a profité de l’occasion pour solliciter un soutien militaire direct contre ses opposants politiques et contre les décisions des tribunaux américains défavorables à la Maison-Blanche.

« Vous voyez probablement aux nouvelles ce qui se passe à notre frontière sud », a-t-il dit à Lyons, comparant les politiques fascistes de l’Administration en matière d’immigration avec la lutte contre les « terroristes » en Afghanistan. « Un grand nombre de personnes [essaient de traverser la frontière], et dans de nombreux cas, nous n’avons aucune idée de qui elles sont. Et dans bien des cas, ce ne sont pas des gens bien ; ce sont des gens mauvais… Vous le faites là-bas, nous le faisons ici. »

Trump s’est ensuite attaqué aux « mauvaises décisions judiciaires du neuvième circuit », réitérant ses dénonciations du système judiciaire américain pour une décision du District du nord de la Californie selon laquelle le Département de sécurité de l’intérieur avait agi illégalement lorsqu’il avait commencé à refuser les demandes d’asile des immigrants traversant la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

« C’est une chose terrible quand les juges prennent en charge vos services de protection, quand ils vous disent comment protéger votre frontière », a dit Trump. « C’est une honte ».

Dans une déclaration extraordinaire lors d’une conférence de presse qui a suivi la conférence, Trump a dénoncé le fait qu’« un juge, siégeant à un endroit très éloigné, dit à nos incroyables militaires et aux forces de l’ordre quoi faire ». En d’autres termes, les militaires, la police et les agents de sécurité aux frontières – et la Maison-Blanche – ne devraient faire l’objet d’aucune restriction juridique ni d’un contrôle de la part du pouvoir judiciaire.

À d’autres moments de la téléconférence et du point de presse, Trump s’est félicité de la croissance massive des dépenses militaires sous son mandat et a menacé de fermer complètement la frontière américaine avec le Mexique si le gouvernement décidait que le Mexique avait perdu le « contrôle » de sa partie de la frontière.

De telles déclarations sont extraordinaires et dangereuses. Trump fait directement appel aux militaires contre les décisions légales et judiciaires, qui sont elles-mêmes illégales. Bien que la téléconférence avec les responsables militaires ait été rapportée dans les médias, il n’y a pas eu de traitement significatif de ses implications.

La téléconférence est la dernière d’une série d’actions visant à développer la relation personnelle de Trump avec les commandants militaires et à accroître le pouvoir des militaires dans les affaires intérieures.

Tout a commencé avec le discours d’investiture de Trump en 2017, au cours duquel dix officiers de divers services militaires se sont alignés derrière Trump et sont restés assez longtemps pour que des images du Président accompagnées des militaires soient diffusées dans le monde entier. Le but de l’action, qui n’a guère été commenté dans les médias, était de présenter le gouvernement entrant comme un régime quasi militariste.

Par la suite, Trump a nommé une série d’anciens généraux à des postes ministériels et administratifs de haut niveau, dont le département de sécurité de l’intérieur, le secrétaire à la défense et le conseiller à la sécurité nationale.

Par la suite, Trump s’est efforcé avec persévérance d’organiser un défilé militaire aux États-Unis, qui devait avoir lieu le 10 novembre, mais qui a été repoussé à une date ultérieure, l’année prochaine. Le financement du défilé a été inclus dans le budget militaire adopté plus tôt cette année avec l’appui des deux partis.

Puis, à l’approche des élections de mi-mandat de 2018, Trump a annoncé le déploiement de milliers de soldats à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. L’Administration a utilisé la caravane des migrants d’Amérique centrale comme prétexte calculé pour mobiliser les militaires aux États-Unis et créer un précédent pour son utilisation dans la police intérieure – une action illégale en violation de la Loi Posse Comitatus [loi de 1878 qui interdit d’utiliser l’armée pour des missions civiles dans la plupart des cas].

Suite à l’appel des militaires jeudi, Trump a réitéré sa menace que les « militaires peuvent utiliser la force pour tuer » contre les migrants.

Les efforts du gouvernement Trump pour cultiver ses liens directs avec des sections des forces militaires et policières sont motivés par plusieurs facteurs interreliés. Il y a tout d’abord les conflits intenses au sein de l’État, qui s’est concentré sur des questions de politique étrangère. L’attaque de Trump contre les tribunaux s’est accompagnée d’attaques contre les médias et de menaces de poursuites pénales contre ses opposants. Fait significatif, l’appel de Thanksgiving a été lancé directement aux commandants de niveau inférieur, en contournant les chefs d’état-major interarmées et les généraux de haut rang, qui ont fait l’objet d’une opposition de la part des opposants de Trump au sein de la classe dirigeante et de l’appareil étatique.

Plus fondamentalement, toutes les factions de la classe dirigeante sont terrifiées par la montée des tensions sociales et de l’opposition aux États-Unis. La stratégie de Trump tout au long de son mandat a été de développer un mouvement politique d’extrême droite, s’appuyant sur des appels au nationalisme d’extrême droite, dans lequel l’armée et les services de police joueraient un rôle central. Avec le déploiement militaire à la frontière américano-mexicaine, cette stratégie prend un caractère de plus en plus ouvertement extralégal et fasciste.

Les opposants de Trump au sein de la classe dirigeante soutiennent également des méthodes de gouvernement de plus en plus autoritaires, mais sous une forme quelque peu différente. Ils ont centré leur campagne sur l’élévation de la CIA et des agences de renseignement et la promotion de la censure d’Internet et d’autres attaques contre la liberté d’expression et les droits démocratiques sous le couvert de la lutte contre les « fausses nouvelles » et « l’ingérence russe ».

Le gouvernement Trump elle-même est le résultat d’un processus prolongé qui a vu un vaste élargissement du rôle des agences militaires et de renseignement dans la politique intérieure. Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, sous prétexte de « guerre contre le terrorisme », l’administration Bush a promulgué une série de lois répressives, créé le département de sécurité intérieure et le commandement du nord des États-Unis, qui pour la première fois a établi un commandement militaire pour les opérations aux États-Unis.

Sous le gouvernement Obama, ces mesures ont été développées, la Maison-Blanche affirmant le pouvoir d’assassiner ou de détenir militairement quiconque, sur l’ordre du président, y compris sur le sol américain.

Aujourd’hui, dans un contexte de troubles sociaux croissants, de signes d’une nouvelle crise économique et de préparation de la classe dirigeante à la guerre mondiale, l’Administration Trump prend un caractère encore plus ouvertement autoritaire. Trump lui-même a clairement à l’esprit les prochaines élections de 2020. Il est bien conscient qu’il est arrivé au pouvoir en 2016 sans même une majorité électorale, remportant les élections uniquement en raison de l’anachronisme constitutionnel du collège électoral.

L’attaque contre les immigrants d’Amérique centrale a donné à Trump l’occasion de gouverner de plus en plus directement par l’intermédiaire de l’armée et de la police. Les développements des deux dernières années ne sont pas une série de coïncidences. Trump a un plan de jeu, avec des cartes dans sa manche.

(Article paru d’abord en anglais le 24 novembre 2018)

Loading