La première ministre britannique attaquée de toutes parts avant le vote du Parlement sur le Brexit

Jusqu’au vote parlementaire sur le traité conclu avec l’Union européenne sur les conditions de la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE (Brexit), le gouvernement conservateur de Theresa May va connaître des jours d’acrobatie politique et de conflits internes.

Le Parlement votera le 11 décembre, après cinq jours de débat à partir du 4 décembre, sur l’accord de 585 pages sur le Brexit. Celui-ci réglemente le versement de 39 milliards de livres sterling par Londres aux coffres de l’UE après son départ le 29 mars 2019, une procédure appelée « backstop » (filet de sécurité) pour résoudre le problème frontalier entre la province britannique d’Irlande du Nord et la République d’Irlande, membre de l’UE, la période de transition après le Brexit et le futur statut des citoyens de l’UE au Royaume-Uni et des citoyens britanniques dans l’UE.

Dans l’état actuel des choses, aucune arithmétique parlementaire ne permettra à May de faire passer l’accord par le parlement, étant donné que le principal parti d’opposition, le Parti travailliste (257 députés) s’y oppose, ainsi que le Parti national écossais, les libéraux démocrates, Plaid Cymru (Parti national du Pays de Galles) et le Parti des Verts, qui réunissent entre eux 52 députés. Les conservateurs comptent 315 députés et leurs partenaires de la coalition, le Parti démocrate-unioniste (DUP) en compte 10, permettant à May de gouverner en tant que gouvernement minoritaire. Toutefois, selon une analyse du Guardian, 89 conservateurs s’opposent publiquement à l’accord, ainsi que le DUP, et seule l’ampleur de la rébellion contre le traité est encore en question.

May a parlé aux députés lundi lors d’une séance de questions-réponses de plus de deux heures et demie, avertissant qu’un rejet de l’accord impliquerait un retour « à la case départ » et «une incertitude et une division importantes». Son appel a été ignoré. Les divisions au sein du parti au pouvoir sont telles qu’il a fallu plus d’une heure de débat avant qu’un député conservateur ne se prononce en faveur de l’accord.

May a le soutien du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker qui a déclaré à la BBC dimanche: « C'est le meilleur accord possible, c'est le seul accord possible », ajoutant: « Je ne changerai jamais d'avis ». Si les parlementaires votaient le rejet de l’accord, a-t-il averti, « nous n'aurions aucun accord ».

Beaucoup spéculent sur le fait que l'intransigeance de Juncker ne survivra pas à un vote négatif. En vendant consciencieusement son accord avec l'UE, May pourrait soit présumer soit se laisser dire qu’une défaite au parlement et la menace d’une sortie de l’UE sans accord lui permettrait de demander de nouvelles concessions à l'Europe – visant à satisfaire le DUP et l'aile pro-Brexit avant un second vote.

Paul Waugh écrit dans le Huffington Post que le 21 janvier était «la date de la Loi sur le retrait de l'UE, à laquelle May devait présenter une nouvelle déclaration au Parlement si son accord était rejeté à la première tentative. Les partisans du Brexit, comme ses adversaires, considèrent que cette échéance leur donnerait une marge de manœuvre vitale pour trouver une solution d’alternative ».

Le gouvernement a mis en place une nouvelle unité au sein du cabinet ministériel, baptisée «Project Vote», chargée de rallier les députés à l'accord de Theresa May. Hier, May a rencontré des députés au Pays de Galles, puis s'est rendue à Belfast pour rencontrer les dirigeants du DUP, ainsi que le Parti républicain Sinn Féin. Elle rencontrera ensuite des députés en Écosse et passera les jours suivants à s’adresser aux députés en Angleterre.

Le DUP s’oppose à tout arrangement de type «backstop» maintenant l’Irlande du Nord et le Royaume-Uni dans une union douanière avec l’UE pour une durée indéterminée et souhaite une limie stricte dans le temps pour tout arrangement de cette nature. Arlene Foster, dirigeante du DUP, a qualifié le déplacement de May en Irlande du Nord de «perte de temps».

La seule façon dont l'accord de May pourrait être adopté dépendrait de sa capacité de convaincre un grand nombre de députés travaillistes qu’avec des amendements allant dans leur sens, il constitue la seule alternative au chaos d’un Brexit sans accord. Après s'être adressée aux députés lundi, la première ministre a fixé une réunion séparée avec des députés travaillistes au Parlement.

Elle y a envoyé son chef de cabinet Gavin Barwell, le ministre du cabinet David Lidington, nommé «vice-premier ministre de fait» et un autre haut responsable du cabinet. Barwell a fait un exposé de 28 minutes aux travaillistes et a répondu aux questions pendant 30 minutes. Politics Home a obtenu un enregistrement fuité de la réunion et indique « qu'une partie importante de la présentation visait à apaiser les craintes concernant l’arrangement dans l’accord du « backstop » en Irlande du Nord…. »

Suite à l'accord conclu entre May et l'UE, l’aile pro-UE de l'élite dirigeante britannique a changé sensiblement ses appels à inverser le Brexit en faveur du souhait que le calendrier législatif de l’Article 50 permettant d’effectuer le Brexit le 29 mars 2019 soit étendu. S’exprimant lundi à la station de Radio 4 de la BBC, le secrétaire du Brexit au ‘gouvernement fantôme’ du Parti travailliste et partisan de son aile droite blairiste, Sir Keir Starmer, a déclaré que sa priorité était d’empêcher un Brexit sans accord et d’obtenir un consensus visant à prolonger l’article 50. Starmer a déclaré qu’« il faudrait impliquer toute l’UE pour empêcher le Brexit sans accord, mais je pense qu’il y aurait une très forte pression de la majorité au parlement contre un Brexit sans accord».

Starmer a confirmé dimanche à l'Observer, pro-UE, que le Parti travailliste prévoyait d'apporter des amendements aux projets de loi gouvernementaux sur le Brexit au cours des prochaines semaines afin d'empêcher un Brexit « dur ». Il a déclaré que certains députés conservateurs étaient prêts à le soutenir dans des votes contraignants, car ils « ne toléreront pas que le Royaume-Uni se retire de l'UE sans un accord. Il existe une majorité net au Parlement contre une telle éventualité, et le Parti travailliste va s’affairer parmi tous les députés pour l’empêcher ».

Le Parti travailliste cherche à se donner l’allure du parti le plus responsable moment où l'impérialisme britannique pénètre en territoire inconnu. C'est parce qu'il cherche à minimiser la crise que le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, est opposé aux initiatives trop hâtives des blairistes pour un deuxième référendum, appelé «vote du peuple», se faisant l’écho de May que cela rouvrirait de dangereuses divisions politiques.

Les déclarations de Corbyn sont celles d'un homme d'État impérialiste en attente qui considère le traité comme une « perte de souveraineté sans précédent et inacceptable que les travaillistes n'accepteront pas de la part de notre pays ». Dans le débat de lundi, Corbyn s'est opposé à May disant qu’il n’était pas dans «l’intérêt national que la première ministre fonce tête baissée alors qu’il est clair que cet accord n’a l’appui d’aucun des camps de la Chambre ni du pays dans son ensemble» et qu’il fallait un accord « fondé sur une union douanière et un marché unique fort ».

Cependant, la crise à laquelle l'impérialisme britannique est confronté ne peut être résolue si facilement compte tenu des tensions extraordinaires entre grandes puissances impérialistes. Le président américain Donald Trump a une nouvelle fois déclaré son soutien ouvert au Brexit comme moyen de faire avancer son objectif de briser l'UE, qu’il avait dénoncé précédemment comme un cartel dominé par l'Allemagne. Le traité Royaume-Uni/UE « semble être une très bonne affaire pour l'UE », a-t-il déclaré, avertissant: « Pour l'instant, si vous examinez l'accord, le Royaume-Uni pourrait ne pas être en mesure de faire du commerce avec nous. Et ce ne serait pas une bonne chose […] espérons que [May peut] faire quelque chose à ce sujet ».

May a tenté de minimiser les remarques préjudiciables de Trump en déclarant, sans fondement: «En dehors de l'Union européenne, nous aurons la capacité de prendre nous-mêmes ces décisions en matière de politique commerciale. Ce ne sera plus une décision prise par Bruxelles. En ce qui concerne les États-Unis, nous leur avons déjà parlé du type d'accord que nous pourrions avoir avec eux à l'avenir. »

(Article paru en anglais le 28 novembre 2018)

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