Ukraine : Porochenko déclare la loi martiale pour réprimer l’opposition politique et sociale

Après la provocation menant à une crise internationale majeure dans la mer d’Azov dimanche dernier, à l’approche du sommet du G20 en Argentine, le régime ukrainien de Petro Porochenko, arrivé au pouvoir en février 2014 lors d’un coup d’État soutenu par les États-Unis, a imposé la loi martiale dans 10 des 24 provinces ukrainiennes (oblasts), touchant environ 40 pour cent de la population du pays. La loi martiale sera en vigueur jusqu’au 27 décembre dans dix régions limitrophes de la Russie et de la mer Noire.

C’est la première fois que la loi martiale est proclamée en Ukraine depuis la dissolution de l’URSS en 1991. Tout en faisant dangereusement monter d’un cran la crise avec la Russie, le régime de Porochenko crée les conditions d’une répression violente à l’égard de l’opposition politiques et sociales en Ukraine.

En vertu de la loi martiale, les fonctions de la police sont assumées par l’armée, qui est habilitée à effectuer des descentes dans les appartements et fouiller les voitures. L’armée a été mise en état d’alerte et la présence de la police a été considérablement accrue dans les grandes villes.

Porochenko a désormais le pouvoir d’interdire les manifestations et les rassemblements publics, de contrôler et de limiter les transports et d’interdire tout discours interprété, au sens large, comme « favorable à la Russie », l’aspect vague de ce critère est volontaire. Vendredi, il a été rapporté que le gouvernement ukrainien a interdit à tous les hommes russes âgés de 16 à 60 ans d’entrer dans le pays.

Porochenko, qui a fondé sa présidence sur le soutien des principales puissances impérialistes et une couche limitée de forces nationalistes et d’extrême droite en Ukraine, est largement haï, et devrait perdre l’élection présidentielle de mars 2019. Les récents sondages ont révélé que seuls 12 pour cent des électeurs voteraient pour lui. Au départ, Porochenko a tenté d’imposer une loi martiale de 60 jours, ce qui aurait retardé l’élection présidentielle. Cependant, après un tollé général, y compris de la part de ses opposants politiques au sein de la bourgeoisie, il a été contraint de réduire cette période à 30 jours.

Les régions dans lesquelles la loi martiale est maintenant en vigueur sont également les parties du pays – en particulier Donetsk et Lougansk – en proie aux combats entre les forces armées ukrainiennes et les séparatistes soutenus par la Russie.

Ce sont les régions où une partie importante de la population, sinon la majorité, parle russe plutôt qu’ukrainien et suit les médias en russe.

Près de cinq ans après le début de la guerre civile dans l’est du pays, qui a débuté après le coup d’État d’extrême droite à Kiev au début de 2014 et qui a coûté la vie à plus de 10 000 personnes, l’opposition à la guerre et aux politiques fascisantes du régime de Porochenko s’est accrue. Les mesures d’austérité draconiennes de Kiev ont poussé environ un million d’Ukrainiens au bord de la famine, où le niveau de vie dans une grande partie du pays ressemble maintenant à celui de pays d’Afrique complètement appauvris.

Les tensions sociales ont atteint des proportions explosives depuis que Porochenko a imposé des hausses de prix du gaz le 19 octobre, augmentant les prix du gaz de plus de 23 pour cent afin d’obtenir un prêt supplémentaire de 3,9 milliards de dollars du FMI, nécessaire pour maintenir le gouvernement à flot. Le FMI, pour sa part, n’a pas tardé à appuyer la déclaration de la loi martiale. On estime que la hausse des prix du gaz rapportera 300 millions de dollars supplémentaires par an à Kiev, ce qui permettra de rembourser la dette extérieure d’environ 16 milliards de dollars du pays, dont l’échéance de remboursement est fixée entre 2018 et 2020.

En raison de la hausse des prix du gaz imposée par le FMI, plus d’un million d’Ukrainiens ont connu la coupure de leur chauffage juste au moment où le pays se rapproche de l’hiver et que les températures commencent à chuter rapidement. À compter du 1ᵉʳ novembre, Naftogaz, la compagnie gazière nationale d’Ukraine, a commencé à contester le remboursement de dette auprès de plusieurs villes ukrainiennes et a refusé d’alimenter en gaz les quartiers où les factures étaient impayées. Des centaines de travailleurs ukrainiens ont réagi en bloquant des routes et en interpellant des représentants du gouvernement.

À Kryvy Rih, la huitième ville la plus peuplée du pays, des manifestants ont incendié des pneus et se sont emparés des bureaux du fournisseur local de gaz. La ville, située dans la province méridionale de Dnepropetrovsk, est désormais adjacente à quatre autres provinces où la loi martiale a été imposée. À Kherson, plus de 100 000 personnes étaient sans chauffage, y compris 30 écoles et maternelles de la région. Kherson est une des provinces actuellement sous loi martiale.

La ville de Smela, dans le centre de l’Ukraine, s’est également vue couper le chauffage, laissant des milliers de personnes dans des écoles, des hôpitaux et de logements victimes du froid. Les patients hospitalisés ont dû être déplacés à cause des températures glaciales. Les habitants ont réagi en bloquant les routes et ont demandé à ce que le chauffage soit rétabli. Le 12 novembre, le maire de la ville a déclaré l’état d’urgence.

Le chauffage n’a été rétabli qu’après l’intervention personnelle du Premier ministre Volodymyr Groysman et de Porochenko pour en ordonner son rétablissement. Les factures d’eau chaude et de chauffage devraient encore augmenter de 15 pour cent à compter du 1ᵉʳ décembre, conformément à l’accord avec le FMI, ce qui augure que le régime peut s’attendre à des affrontements encore plus explosifs alors que les prix à la consommation continuent d’augmenter.

L’Ukraine a également été témoin de multiples grèves et manifestations de milliers de mineurs, notamment de grandes manifestations à Kiev cet été, qui ont provoqué des ondes de choc dans la classe dirigeante. Plus récemment, à la mine de charbon Kaputsin, dans l’est de l’Ukraine, des travailleurs se sont mis en grève en octobre pour des salaires impayés. Les travailleurs ont occupé des parties de la mine, participé à des grèves de la faim et menacé d’étendre la grève aux régions occidentales du pays en bloquant les routes desservant l’Europe occidentale.

En outre, les automobilistes ukrainiens bloquent les passages frontaliers et les autoroutes, et brûlent des monticules de pneus dans tout le pays, après que Kiev ait imposé une nouvelle taxe sur l’importation de voitures et de voitures immatriculées à l’étranger. De nombreux Ukrainiens achètent des voitures d’occasion immatriculées dans l’Union européenne en raison de leur meilleure qualité et de leurs prix nettement moins chers, puis les ramènent au pays pour leur usage personnel.

Un exemple effrayant de la manière dont Porochenko entend s’occuper des opposants politiques au lendemain de la proclamation de la loi martiale, le candidat à la présidentielle Anatolyi Hrytsenko, du parti de centre-droit « Notre Ukraine », a été attaqué par une trentaine de voyous masqués lors d’un entretien électoral à Odessa. Malgré le fait que la police soit sur le lieu de l’assaut, personne n’a été arrêté, selon un partisan de Hrytsenko. La police a également déclaré qu’elle enquêtait sur l’assaut comme un cas de « hooliganisme » plutôt que comme une attaque politique préméditée.

Hrytsenko a depuis lors accusé Porochenko d’avoir utilisé des voyous pour faire son sale boulot politique. Dans la plupart des sondages, Hrytsenko est ex-æquo ou devance même Porochenko. Il y a quelques semaines à peine, un autre homme politique ukrainien est décédé des suites d’un attentat barbare à l’acide perpétré par des voyous fascistes soupçonnés d’entretenir des liens directs avec le gouvernement de Porochenko.

Dans une nouvelle démonstration de leur hypocrisie sans bornes, les médias pro-impérialistes ont largement soutenu l’imposition par Porochenko de la loi martiale. Time Magazine, qui a agité pour que Trump « tienne tête à Poutine » à propos de la crise de la mer d’Azov, a félicité Porochenko pour avoir « déclaré la loi martiale avec succès » et « dynamisé son système de défense ». Tout en dénonçant sans relâche Poutine en dictateur impitoyable, les puissances impérialistes, dans la poursuite de leurs intérêts géostratégiques et avec le soutien de leurs laquais dans les médias, soutiennent un gouvernement d’extrême droite en Ukraine, qui crée un nouveau précédent pour la mise en place d’un pouvoir dictatorial en Europe et provoquer une éventuelle guerre avec la Russie qui mettrait en danger la vie de millions de personnes.

(Article paru en anglais le 1 décembre 2018)

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