Les craintes sur le commerce et une récession frappent Wall Street

Wall Street a plongé mardi, le Dow Jones chutant de 800 points. Tous les principaux indices ont baissé de manière significative alors que le prétendu accord commercial entre les présidents américain et chinois, Trump et Xi Jinping, annoncé samedi soir, commençait à se déliter.

Cependant, la crainte que rien n’a été résolu dans la guerre commerciale n’a pas été le seul facteur du bradage sur les marchés qui a suivi une forte hausse lundi. L’une des principales préoccupations était l’angoisse croissante que les États-Unis n’entrent en récession et que les rendements des obligations ne chutent, ce qui indique que les investisseurs recherchent un «refuge sûr».

Le sentiment de plus en plus négatif quant aux perspectives de l’économie américaine s’est traduit par un aplatissement de la courbe de rendement, soit la différence entre les taux d’intérêt des obligations à court terme et à long terme. Pendant un moment, l’écart entre le rendement des obligations à deux ans et celui des obligations à dix ans était inférieur à 10 points de base, son plus bas niveau depuis 11 ans. L’aplatissement de la courbe de rendement est généralement considéré comme un signe de récession.

La chute du marché s’est généralisée, les entreprises dépendantes des marchés mondiaux, telles que Caterpillar et Boeing, enregistrant des pertes de 6,9 pour cent et 4,9 pour cent respectivement. Les actions de haute technologie sensibles aux craintes de guerre commerciale ont également chuté, Apple chutant de 4,9 pour cent. L’indice NASDAQ à forte intensité technologique a chuté de 3,8 pour cent et est maintenant de plus de 10 pour cent inférieur à son sommet du mois d’août.

L’indice S&P 500 a chuté de 3,2 pour cent et est tombé sous sa moyenne roulante de 200 jours, un indicateur clé de la tendance du marché. Les actions des banques ont également baissé, car, selon le Wall Street Journal, «les inquiétudes des investisseurs qui craignent une récession et leurs interrogations sur la vigueur de l’économie ont augmenté». Un indice des actions bancaires a chuté de près de 5 pour cent.

Les doutes sur la possibilité d’un accord avec la Chine ont commencé par le haut avec des tweets de Trump indiquant qu’il doutait que quelque chose ait été obtenu. Il a déclaré que son équipe économique allait «voir si un VRAI accord avec la Chine est réellement possible» avant l’expiration de la date limite des négociations, le 1er mars.

«Si c’est le cas, nous le ferons... Sinon, n’oubliez pas, je suis un homme de tarifs», écrit-il.

Selon le compte-rendu américain des pourparlers, la Chine a accepté d’entamer des discussions sur des changements dits «structurels» de son économie en réponse à Washington qui dit qu’elle se livre au vol de propriété intellectuelle (PI) et utilise les transferts forcés de technologie pour améliorer sa base technologique et industrielle. Faute d’accord sur cette question, les États-Unis feraient passer de 10 à 25 pour cent le taux des droits de douane imposés à des marchandises chinoises d’une valeur de 200 milliards de dollars.

Mais la Chine n’a pas reconnu que des négociations sur cette demande clé des États-Unis ont été convenues. Comme l’a fait remarquer le Financial Times, les affirmations de Washington n’ont pas été appuyées par la partie chinoise ou se sont engluées dans la confusion.

«Non seulement cela a jeté le doute sur la capacité des deux parties à parvenir à un accord global dans les trois mois à venir, mais cela a aussi soulevé la possibilité d’un effondrement avant même la date limite», a déclaré ce journal.

Tout au long de la journée de mardi, des doutes ont été exprimés quant à l’accord présumé à mesure que le contraste entre ce que les États-Unis ont dit et la version chinoise des événements est devenu plus apparent. À la suite de la réunion avec Xi, Trump a affirmé que la Chine avait accepté de réduire les droits de douane sur les voitures américaines, mais cela n’a pas été mentionné dans les déclarations des deux parties.

Le conseiller économique de la Maison-Blanche Larry Kudlow a insisté lundi sur le fait qu’un tel accord avait été conclu. Mais il a ensuite été contraint de reculer, disant que si Washington n’avait pas d’«accord spécifique», la réduction tarifaire était très probable.

Kudlow a également été corrigé par la Maison-Blanche après avoir déclaré que le délai de 90 jours commencerait en janvier. La date de début est le 1er décembre.

L’évolution des tarifs sur les voitures, bien qu’importante en soi, a une signification plus large, car elle jette le doute sur ce qui a été convenu réellement.

L’agriculture est un autre domaine où la situation est pour le moins floue. Les États-Unis ont déclaré qu’il y aurait une augmentation «très substantielle» des exportations, mais cela n’est pas apparu dans les déclarations chinoises sur les négociations.

Au milieu de la confusion et des récits contradictoires de ce qui a été et n’a pas été convenu entre Trump et Xi samedi soir, la question clé reste le programme chinois de développement industriel et technologique dans le cadre de son plan «Made in China 2025».

Dans un commentaire publié lundi dans le Financial Times, l’ancien économiste du FMI et gouverneur de la Banque de l’Inde, Raghuram Rajan, a noté que les questions qui divisent les États-Unis et la Chine vont bien au-delà de la question du commerce. Le discours prononcé par le vice-président américain, Mike Pence, en octobre, «où il a pratiquement déclaré une nouvelle guerre froide», était la meilleure indication de l’ampleur du conflit.

Rajan, l’un des rares économistes à avoir mis en garde contre une bulle financière avant 2008, a déclaré que s’il était «raisonnable» que la Chine mette ses pratiques en matière de propriété intellectuelle «en conformité avec les normes occidentales», les Chinois craignaient que ce ne soit là «l’objectif ultime des États-Unis».

«Ils croient que même s’ils s’y conforment, les États-Unis n’autoriseront pas une présence significative dans les industries frontières, notamment la robotique, l’intelligence artificielle et les semi-conducteurs. Aux Chinois, cela fait l’effet d’un plafond à leur développement. C’est tout simplement non négociable».

Rajan a mis en garde que le simple fait d’accumuler les droits de douane conduirait la Chine à devenir un pays assiégé, «précipitant une guerre froide, voire chaude».

Il a appelé les grandes puissances à se réunir pour négocier des changements dans les pratiques chinoises en matière de propriété intellectuelle. «Mais la contrepartie doit être de reconnaître que le monde est multipolaire, que la Chine devrait avoir plus de pouvoir et de responsabilité dans les institutions mondiales» et qu’un accord raisonnable «exigera un compromis des deux côtés».

Cependant, le principal obstacle à ce scénario rationnel est que le conflit n’est pas régi par les lois de la raison, mais par des intérêts économiques et géopolitiques matériels. Les États-Unis ne sont pas prêts à reconnaître la nécessité d’un «monde multipolaire» ni à faire des concessions à la puissance économique accrue de la Chine. Washington craint que cela n’affaiblisse sa domination économique et militaire mondiale, qu’il est déterminé à maintenir à tout prix et par tous les moyens nécessaires.

Cette détermination prendra des formes encore plus belliqueuses dans les conditions d’un ralentissement significatif de l’économie américaine ou du développement d’une récession, dont il y a de plus en plus de signes.

(Article paru d’abord en anglais le 5 décembre 2018)

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