Devant le mouvement des Gilets Jaunes, les médias demandent qu’on censure Facebook

Au cours des trois dernières semaines, des centaines de milliers de personnes ont participé à des manifestations Gilets Jaunes en France contre les inégalités sociales et l’austérité, demandant la démission du gouvernement détesté du banquier-président Emmanuel Macron.

Partout dans le monde, les pages éditoriales des grands journaux ont répondu aux protestations avec hostilité. Comme pour tout soulèvement populaire, les élites et leurs partisans calomnient l’afflux de l’opposition populaire parlant d’«émeutes», de «règne de la populace» et de «désordres».

À ce mépris de classe réactionnaire s’est ajouté un nouvel argument: celui que l’internet et en particulier les réseaux sociaux, devrait être fermé, censuré ou «réglementé» pour empêcher les travailleurs d’organiser des manifestations contre leurs conditions sociales.

Bien sûr, cet argument est antérieur aux protestations des «Gilets Jaunes». Dès le lendemain des élections américaines de 2016, une partie des médias américains alignée sur le Parti démocrate, dont le New York Times et le Washington Post, ont commencé à exiger que Google, Facebook et Twitter censurent les points de vue oppositionnels au nom de la lutte contre les «fausses nouvelles» (fake news) et la «propagande russe».

Ces efforts ont conduit les géants de la technologie à mettre en œuvre un régime draconien de censure de l’Internet ; Facebook a supprimé les pages anti-guerre et de gauche et Google a réduit le trafic vers les sites d’opposition.

Les mesures exigées par les grands journaux, les Démocrates et les services de renseignements n’avaient rien à voir avec l’arrêt des «fausses» nouvelles ou de la «propagande étrangère», mais visaient à réduire au silence l’opposition massive au capitalisme. La véritable cible de la censure sur l’Internet, ce sont les milliards de travailleurs du monde entier qui utilisent l’Internet pour exprimer leurs doléances et organiser l’opposition.

Jusqu’à présent, les arguments en faveur de la censure n’ont pas été jusqu’à demander directement qu’on réduise au silence les protestations populaires. Mais avec la montée de l’opposition populaire qui s’est emparée de la France, les partisans de la censure ont cru pouvoir se lâcher sur ce qu’ils pensent être les masses incultes osant utiliser Facebook pour exprimer leurs opinions.

Le 3 décembre, Frédéric Filloux, ancien rédacteur en chef de Libération, l’un des journaux les plus lus de Paris, a écrit une tribune sur Medium (medium.com) ataquant Facebook pour avoir permis aux manifestants de s’exprimer.

Facebook «joue un rôle critique dans l’une des pires guerres civiles jamais vues en France», a écrit M. Filloux. L’infrastructure cellulaire «bon marché et fiable» de la France a conduit à «d’innombrables selfies, vidéos et blogs en direct, qui ont alimenté la colère et la fantaisie». Il ajoute: «Facebook a fourni un soutien logistique incroyablement efficace à des centaines de manifestations, grandes et petites, partout au pays».

L’auto-expression libre et ouverte qu’offrent Facebook et d’autres plate-formes de réseaux sociaux est «toxique», déclare-t-il. «En tant qu’amplificateur absolu — qui radicalise la colère populaire, Facebook a démontré sa toxicité pour le processus démocratique».

Filloux réclame des moyens de «contenir la capacité de Facebook à répandre le dangereux cocktail de haine, de fausses nouvelles et d’outils d’aide logistique qui alimentent l’incendie».

L’implication évidente des déclarations de Filloux est que Facebook devrait être interdit ou même censuré de façon encore plus agressive. À cette fin, il demande: «Faut-il interdire complètement Facebook?»

Si Filloux n’appelle pas directement à une telle façon de procéder, c’est entièrement pour des raisons tactiques: parce que Facebook serait remplacé par «des services complètement hors du contrôle du gouvernement occidental».

L’argument de Filloux a été repris et approuvé dans la presse américaine. «Il n’y a rien de démocratique dans l’émergence des administrateurs de groupes Facebook comme porte-parole de ce qui passe pour un mouvement populaire», écrit Leonid Bershidsky dans Bloomberg.

«Il est temps de se débarrasser de toute illusion que les réseaux sociaux peuvent jouer un rôle positif dans la promotion de la démocratie et de la liberté,» ajoute-t-il.

Et de conclure: «Une société libre ne peut pas interdire Facebook, ni même réglementer complètement sa fonction d’incitation à la haine, mais elle doit être consciente du risque que Facebook et d’autres plate-formes similaires font courir aux institutions démocratiques».

Il écrit avec une envie à peine déguisée sur les dictatures ouvertes, «La menace qui pèse sur les régimes autoritaires est moindre: ils ont appris à manipuler l’opinion sur les plates-formes avec de la propagande».

Quiconque lit sa chronique en retirera l’impression que l’auteur préfère la voie autoritaire au «règne de la populace» dans les rues de Paris.

Mais l’expression la plus flagrante de cet argument réactionnaire est peut-être venue de Casey Newton, le rédacteur en chef du site «The Verge», dans la Silicon Valley, qui affirme que la colère des travailleurs français face aux inégalités sociales n’est pas due à la croissance exponentielle des disparités de richesse, mais au fait que les gens en parle sur Facebook.

Il écrit: «Pensez à la façon dont les Gilets Jaunes ont vu le jour. Une décision politique a été prise et discutée sur Facebook. Un petit groupe a commencé à en discuter en groupes. Les algorithmes et les mécanismes de partage viral ont favorisé les messages de groupe les plus susceptibles d’obtenir un engagement dans le fil d’actualité. Au cours des mois qui ont suivi, la majorité des Français qui utilisent Facebook ont vu dans le fil d’actualité un reflet plus sombre et plus colérique de leur pays qu’il n’existait peut-être réellement. Avec le temps, la perception est devenue réalité. Et maintenant, l’Arc de Triomphe est attaqué».

C’est là l’argument avancé par toutes les dictatures. L’ordre social actuel est «le meilleur des mondes», et si les gens ne sont pas d’accord, c’est parce qu’ils sont égarés par des démagogues, qui doivent être réduits au silence par la censure. Au XXIe siècle, ces arguments dictatoriaux prennent la forme d’exigences non pas de fermer des journaux, mais de censurer et de bloquer les réseaux sociaux et les sites d’information d’opposition.

Alors que les travailleurs du monde entier s’engagent dans la lutte, ils doivent se battre pour défendre un Internet libre, ouvert et non censuré. Le World Socialist Web Site mène cette lutte et appelle tous les travailleurs et les jeunes qui cherchent à s’opposer à la censure de l’Internet à se joindre à cette lutte.

(Article paru d’abord en anglais le 5 décembre 2018)

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