Greyhound abolit son service d’autobus dans l’Ouest canadien

Greyhound Bus Services, le plus important fournisseur de services de transport en Amérique du Nord, a cessé ses services dans l'Ouest canadien le 31 octobre, après avoir opéré dans la région sans interruption pendant presque un siècle. À l'exception de la ligne Vancouver-Seattle, les services offerts dans les provinces de la Colombie-Britannique, de l'Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba, qui comptent quelque 400 collectivités, ont été définitivement interrompus.

La raison principale de ces réductions rapides et massives de service est la volonté de l'entreprise d'augmenter ses profits. Le vice-président principal de Greyhound, Stuart Kendrick, a déclaré dans un communiqué que «malgré tous les efforts déployés depuis plusieurs années, l'achalandage a chuté de près de 41% à travers le pays depuis 2010 dans un environnement de transport changeant et toujours plus difficile. En d'autres termes, nous ne pouvons plus exploiter des lignes non viables.» Il a noté que 415 personnes seront sans emploi, que 2 millions de consommateurs seront touchés et que la plupart des communautés touchées se retrouveront sans aucun autre moyen de transport.

Ces arrêts de service ont dévasté des régions où il n'existe aucun autre moyen de transport interurbain. Les résidents des régions rurales et éloignées, notamment ceux du nord de la Colombie-Britannique, où le déclin économique, l'isolement et le manque de commodités sont les plus graves, seront privés de moyens de transport sûrs et fiables pour les nécessités quotidiennes comme les visites chez le médecin et à l'hôpital, les courses, l'emploi et les études.

Les communautés autochtones, souvent situées dans des régions éloignées et isolées, seront touchées de façon disproportionnée par la fermeture du service. De nombreuses femmes vivant dans la pauvreté ou fuyant la violence domestique n'auront pas accès aux services publics en toute sécurité. Certains auront recours à l'auto-stop le long de la fameuse Route des larmes, située près de Prince George, ville du nord de la Colombie-Britannique, du nom des innombrables femmes autochtones disparues et assassinées qui l'ont empruntée. Dans les provinces du Manitoba et de la Saskatchewan, où la majorité des détenus sont des adultes et de jeunes autochtones, l’arrêt du transport par autobus signifie que les visites familiales régulières deviendront plus difficiles à maintenir.

Les personnes âgées seront aussi profondément touchées par les compressions dans les transports. Bon nombre d'entre eux ont eu recours au réseau d'autobus Greyhound pour se rendre dans des cliniques et des hôpitaux, rendre visite à des amis et à des membres de leur famille et assister à des funérailles. Mary Reimer, citoyenne de Winnipeg âgée de 80 ans, a déclaré que «depuis le décès de mon mari, il y a quatre ans, c'est ainsi que je peux voir ma sœur».

Les voyages non sécuritaires constituent également un problème considérable pour ceux qui estiment que la fermeture ne leur a pas laissé d'autre choix que de conduire eux-mêmes. Le mauvais état des routes et l'équipement inadéquat des véhicules sur les routes de montagne dangereuses mettront de nombreuses vies en danger cet hiver.

Les petites entreprises qui exercent leurs activités dans des régions éloignées et qui comptent sur le service de livraison de fret de Greyhound pour transporter des marchandises commerciales seront également menacées par la fermeture. Un résident de l'Alberta qui gère un magasin spécialisé dans les véhicules récréatifs près de la ville de Fort McMurray s'est plaint que «ça devient très difficile de faire venir quelque chose ici. Il va falloir se démener.»

La compagnie Greyhound n'a pas caché qu’elle tentait augmenter ses profits au Canada. Cependant, lorsqu'elle a déposé une demande de permission pour mettre fin à ses lignes de l'Ouest l'an dernier, les gouvernements ont feint l'étonnement et ont depuis lors refusé d'identifier ou de s'engager à mettre en oeuvre de véritables solutions.

La ministre des Transports et de l'Infrastructure de la Colombie-Britannique, Claire Trevena, a blâmé Greyhound pour l'arrêt des travaux dans un communiqué de presse déclarant qu'il est «dommage que Greyhound n'ait pas communiqué leurs plans plus tôt ». Elle a poursuivi en implorant le secteur privé de «voir une opportunité» pour un nouveau service de bus privé.

Des fonctionnaires d'autres gouvernements ont exprimé des sentiments similaires et des remarques évasives. La première ministre néo-démocrate de l'Alberta, Rachel Notley, a exprimé de manière désinvolte que la fermeture de Greyhound est «une question nationale qui exige une réponse nationale». Le premier ministre du Manitoba, Brian Pallister, a déclaré que «nous espérons évidemment que le secteur privé réagisse».

En Saskatchewan, le premier ministre Scott Moe a annoncé que son gouvernement n'accorderait aucune subvention pour maintenir les activités de Greyhound et espérait que le secteur privé «examinerait ces lignes principales». Ses remarques sont tout à fait hypocrites. Pas plus tard que l'an dernier, le gouvernement du Saskatchewan Party, au sein duquel M. Moe occupait le poste de ministre de l'Environnement, a fermé la Saskatchewan Transportation Company (STC), propriété de la Couronne, après 72 ans de service. Un an plus tard, Moe ayant remplacé Brad Wall en tant que premier ministre, il ne reste plus que deux des dix entreprises qui étaient initialement en concurrence sur les anciennes lignes de STC.

Pour sa part, le premier ministre Justin Trudeau a réagi aux fermetures en lançant un faux appel au ministre des Transports Marc Garneau pour qu'il travaille avec les provinces «pour voir quelles sont les voies à suivre». Toutefois, Transports Canada a conclu que ce n'est pas le rôle du gouvernement fédéral d'accorder des subventions à Greyhound et qu'il n'existe aucun programme fédéral pour subventionner un transporteur interurbain privé. Garneau, de concert avec les autorités provinciales, a exprimé son désir de solutions du secteur privé. «La perte de la présence de Greyhound dans l'Ouest canadien dépendra de la rapidité et de la mesure dans laquelle les autres nouveaux venus rempliront le marché», a-t-il dit dans une déclaration publique.

Mis à part les déclarations publiques initiales – composées de rhétorique creuse, d'appels à des sociétés privées et d’accusations opportunistes dirigées contre Greyhound – Ottawa et les gouvernements provinciaux, de juillet à octobre, ont peu parlé de la crise imminente des transports et ont fait encore moins.

Puis, immédiatement après la fermeture du 31 octobre, certaines provinces ont pris des mesures tout à fait inadéquates. En Colombie-Britannique, le gouvernement néo-démocrate a lancé un projet pilote temporaire d'un an, BC Bus North, dont le budget de fonctionnement s'élève à 2 millions de dollars canadiens. En Alberta, le gouvernement néo-démocrate s'est misérablement engagé à verser 1,4 million de dollars canadiens sur deux ans à son programme pilote de transport rural. Ces deux services sont des projets superficiels dont la portée et le financement sont entièrement limités et qui serviront d'outils de relations publiques pour promouvoir la marque du NPD et sa prétendue orientation vers les cols bleus.

La déficience quasi totale des gouvernements fédéral et provinciaux face à la fermeture sans précédent de l'un des services de transport en commun les plus importants du Canada confirme qu'ils n'ont aucun intérêt à assurer le maintien d'une infrastructure sociale de base. Leur engagement flagrant en faveur des mêmes conditions fondées sur le marché qui ont en fait précipité les fermetures en question démontre qu’ils souhaitent subordonner les services publics indispensables aux aléas des capitaux privés.

La crise actuelle du transport par autobus est le résultat de décennies de lois favorables aux entreprises, de liquidations massives de biens publics, de corruption et d'enrichissement personnel. La classe dirigeante a rendu tous les niveaux de gouvernement incapables de répondre de manière significative aux besoins sociaux fondamentaux du pays. L'évasion continuelle de la responsabilité par le gouvernement ne fera qu'accroître la privatisation des services et la misère et la souffrance du plus grand nombre de Canadiens.

La fermeture du service d'autobus de Greyhound est une question qui concerne entièrement la classe ouvrière. Les groupes de la société qui en ressentent le plus fortement l'impact sont les personnes à faible revenu, les retraités, les chômeurs et les marginalisés qui vivent dans des collectivités rurales et éloignées économiquement, déprimées et ravagées par des décennies de négligence.

La seule façon progressiste de combattre une telle éviscération sociale est de lutter pour une perspective et un programme socialistes qui exigent que les services essentiels privés tels que le transport soient expropriés et placés sous le contrôle d'un gouvernement dirigé par des travailleurs afin qu'ils puissent être opérés comme services publics.

(Article paru en anglais le 29 novembre 2018)

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