Le débat parlementaire sur l'accord du Brexit commence après trois défaites infligées au gouvernement de Theresa May

Le gouvernement conservateur minoritaire de Theresa May a perdu trois votes de procédure cruciaux au parlement mardi, juste avant cinq jours de débat sur son accord avec l'Union européenne (UE) sur la sortie du Royaume-Uni (Brexit) de l’UE.

Une motion consensuelle d’opposants de plusieurs partis a jugé le gouvernement coupable d'outrage au parlement pour n'avoir pas publié l'avis juridique complet sur le Brexit – la première fois dans l'histoire qu'une telle motion a été adoptée. Cela faisait suite à la publication lundi par le procureur général Geoffrey Cox d’un résumé de la déclaration, insistant sur le fait que la divulgation de l’avis complet n’était pas dans «l’intérêt national». Les députés ont rejeté cet avis à 311 contre 293, certains députés conservateurs ayant voté contre le gouvernement ou s’abstenant. Cela a forcé le gouvernement à publier l’avis complet mercredi.

Les députés avaient précédemment voté à 311 voix contre 307 contre un amendement du gouvernement à la motion proposé par la présidente de la Chambre des communes, Andrea Leadsom, qui tentait de renvoyer la question de l'avis juridique à une enquête par la Commission des normes et privilèges.

Une défaite encore plus grave s'ensuivit lorsque les députés votèrent par 321 voix contre 299 en donnant au Parlement le pouvoir de modifier toute motion relative à un accord avec l'UE que May devrait soumettre à la Chambre des communes dans les 21 jours advenant le rejet de sa proposition actuelle lors du vote le 11 décembre. La tentative visant à affirmer le pouvoir du Parlement sur un plan B était dirigée par le conservateur pro-UE et ancien procureur général, Dominic Grieve, et appuyée par 26 autres conservateurs rebelles.

Le Parti unioniste démocrate (DUP) d'Irlande du Nord a soutenu le gouvernement de May depuis deux ans grâce à un accord de «confiance d’apport de voix» avec ses 10 députés. Lors du vote sur la publication de l'avis juridique, le DUP s'est rangé du côté des cinq autres partis d'opposition.

Le Parti travailliste a programmé un vote de censure sur le gouvernement de May immédiatement après le vote du 11 décembre, et le sort de May peut être déterminé immédiatement par la position adoptée par le DUP. Il était convenu que le DUP devait rejeter l'accord de May avec l'UE, même avant la publication de l'avis juridique contenant des dispositions anathèmes pour ce dernier.

L'avis publié mercredi confirmait que Cox avait déclaré à May le mois dernier que l'accord conclu avec l'UE classait le Royaume-Uni dans la catégorie de «pays tiers» en ce qui concerne l'Irlande du Nord, nécessitant des contrôles de conformité pour les marchandises franchissant la frontière entre le Royaume-Uni et l'Irlande du Nord. L’avis indique également que l’UE peut décider à l’avenir que l’accord de retrait ne devrait plus s’appliquer à la Grande-Bretagne, laissant ainsi l’Irlande du Nord avec le statut à part de «backstop» (filet de sécurité) qui serait appliqué indéfiniment au sein d’une union douanière avec la République d’Irlande et donc avec l'UE.

Le vote de censure prend le pas sur toute autre affaire. Si May le perd, une série de scénarios possibles s'ouvre. Elle pourrait choisir de démissionner, de céder la place à un collègue pro-Brexit, ou une course à la direction pourrait être déclenchée. Ou bien, elle pourrait s’acharner et retourner à Bruxelles pour obtenir de l'UE toute concession qui pourrait apaiser ses adversaires et tenter de remporter un second vote parlementaire.

Le Parti travailliste a demandé à la reine de le reconnaître comme dirigeant d’un gouvernement minoritaire, alors que Corbyn a déclaré que des élections générales devraient être déclenchées. Cela nécessiterait l'acceptation du gouvernement, compte tenu de la loi qui fixe la durée d’un mandat, et il n'y a pas non plus d'enthousiasme pour cela dans l'aile blairiste du parti. Ils s'attachent à exiger un deuxième référendum sur le Brexit afin de sortir de l'impasse. Le congrès annuel du Parti travailliste a confirmé qu'un «vote du peuple» serait une option s'il n'y avait pas d'élections générales et que l'option de rester dans l'UE devrait y figurer.

Quoi qu’il advienne, la Grande-Bretagne est en proie à une crise historique de pouvoir qui menace de déclencher des bouleversements sociaux de masse. Philip Johnston a déclaré mercredi dans un commentaire au Daily Telegraph: «La notion de “crise constitutionnelle” est souvent évoquée dans la politique britannique, mais un tel événement est heureusement rare.» Celui-ci est encore plus rare, impliquant «un affrontement entre l'exécutif et le Parlement», dont «l'exemple le plus extrême de notre histoire a été, bien sûr, la guerre civile anglaise, où des conflits qui ne pouvaient pas être résolus par des moyens politiques étaient tranchés sur le champ de bataille».

Johnson a évoqué les protestations contre la taxe sur les carburants en France comme un avertissement sur ce qui pourrait se développer au Royaume-Uni. «Parmi toutes les prédictions apocalyptiques du Brexit, les troubles civils sont considérés comme peu probables et pas du genre britannique. Pourtant, il suffit de regarder de l'autre côté de la Manche chez les gilets jaunes, pour voir comment un sentiment de grief peut rapidement dégénérer en attroupement violent.»

Il a dit: «Il y a une tradition d’attroupement, particulièrement à Londres, qui terrorisait les autorités au 18e et au début du 19e siècle […] les crises constitutionnelles peuvent être périlleuses, car les processus normaux de la démocratie représentative s’effondrent».

Les divisions répressives de l’État se préparent également à la répression de la classe ouvrière. L’animateur de Radio LBC Nick Ferrari a demandé à Cressida Dick, commissaire de la police métropolitaine de Londres, pour savoir s’il y avait: «un aspect de troubles civils [dans la planification du Met]?» Dick a répondu: «Il y a certainement un potentiel de manifestations. Nous sommes à Londres. C'est la capitale mondiale de la protestation. Nous nous préparons à tous les scénarios et accord ou pas [sur le Brexit], la police sera là.»

Les tensions sociales en Grande-Bretagne atteignent leur paroxysme. Dans son rapport du mois dernier, après avoir enquêté sur les niveaux «stupéfiants» d'extrême pauvreté au Royaume-Uni, le rapporteur spécial des Nations unies, Philip Alston, a également souligné: «Cela pourrait entraîner un mécontentement public important, une division accrue et même une instabilité». C’est dans ce contexte que des discussions ont eu lieu entre le MI5, le MI6 et Corbyn sur le rôle que devrait jouer un gouvernement travailliste dans la répression du mécontentement social.

Malgré l'invocation constante de la «volonté du peuple» par les ailes pro-européenne et anti-UE de la bourgeoisie, il s'agit d'un débat délibérément limité aux cercles dirigeants sur la meilleure façon de défendre les intérêts de l'impérialisme britannique. Quel que soit le vainqueur, la classe ouvrière paiera les conséquences par un assaut plus profond contre les emplois, les salaires et les conditions de travail pour rendre la Grande-Bretagne compétitive dans la lutte acharnée pour les marchés mondiaux et le recours à la répression intérieure et le militarisme mondial.

Comme le Socialist Equality Party (SEP, Parti de l'égalité socialiste) en Grande-Bretagne le souligne dans la résolution récemment publiée de son dernier congrès:

«La tâche qui attend les travailleurs n’est pas d’aider à résoudre la crise de la bourgeoisie, comme l’affirment Corbyn et le Parti travailliste, mais d’assurer ses intérêts de classe indépendants dans une lutte commune avec ses frères et sœurs de classe sur tout le continent européen. Les sections européennes du Comité international, le SEP en Grande-Bretagne, le Parti de l'égalité socialiste (PES) en France et le Sozialistische Gleichheitspartei (SGP) en Allemagne, ainsi que nos copenseurs en Turquie, en Irlande et dans le monde, cherchent à mobiliser la classe ouvrière contre l'éclatement nationaliste du continent européen et la croissance des mouvements d'extrême droite, tout en rejetant tout soutien à l'UE et à ses gouvernements nationaux constituants. Le pouvoir de l'oligarchie financière et de ses gouvernements doit être brisé et remplacé par un gouvernement de la classe ouvrière, dirigé par la classe ouvrière et pour la classe ouvrière – une Grande-Bretagne socialiste faisant partie des États socialistes unis d'Europe. L'adoption de cette perspective permettrait l’intervention de la force sociale la plus puissante: la classe ouvrière européenne.»

(Article paru en anglais le 6 décembre 2018)

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