Des pirates informatiques révèlent l'ingérence du gouvernement britannique dans la politique de l’Espagne

Des documents divulgués par les pirates informatiques d'Anonymous révèlent comment un groupe de réflexion supposément indépendant basé au Royaume-Uni est une opération de désinformation et de fausses nouvelles financée et contrôlée par le gouvernement.

Alors que les puissances occidentales accusaient la Russie d'ingérence dans la démocratie, le gouvernement britannique et ses services de renseignement MI5 et MI6 empêchaient activement la nomination d'un responsable espagnol au poste de Directeur de la sécurité nationale, l'un des principaux rôles consultatifs du pays.

Les détails de l'opération menée par l'Integrity Initiative (lII, l'Initiative pour l'intégrité), un projet lancé en 2015 par l'Institute of Statecraft (IS, Institut sur l'art de gouverner), ont été publiés sur le site web CyberGuerilla.org. Il s'agit d'une série de documents prétendument piratés à la II, montrant des campagnes soigneusement élaborées, des coûts et des directives internes, ainsi que les noms des personnes coopérant avec le réseau.

Anonymous montre que le réseau :

1.Est principalement financé par le gouvernement britannique par l'intermédiaire du Foreign and Commonwealth Office (FCO, ministère des Affaires étrangères) britannique.
2. Coût: 1.961.000 livres sterling (2,5 millions de dollars) cette année.
3. A reçu 168.000 livres sterling du siège de la diplomatie publique de l'OTAN et 250.000 livres sterling du département d'État américain.
4. Est contrôlée par des personnalités britanniques qui manipulent des «clusters» (groupes) de politiciens, de hauts responsables militaires, d'universitaires et de journalistes.
5. Les clusters opéreraient en Espagne, en France, en Allemagne, en Italie, en Grèce, aux Pays-Bas, en Lituanie, en Norvège, en Serbie et au Monténégro.
6. Ses activités sont menées dans le plus grand secret par l'intermédiaire d'agents des services de renseignement nommés dans les ambassades britanniques.

L'Integrity Initiative présente ses activités comme la «Défense de la démocratie contre la désinformation», mais fait exactement le contraire, en diffusant de fausses nouvelles contre la Russie afin de défendre les intérêts nationaux du Royaume-Uni et de ses alliés impérialistes, d'influencer les russophones en Europe et en Amérique du Nord et de «changer les attitudes en Russie même».

L'opération lancée en juin dernier contre la nomination du colonel de réserve Pedro Baños en tant que directeur de la sécurité nationale de l'Espagne est un exemple des activités de la II. Rattaché à La Moncloa, résidence officielle et lieu de travail du premier ministre espagnol, le rôle du directeur est de conseiller le premier ministre sur les menaces existantes et potentielles pour le pays et les réponses possibles.

L'opération de la II a commencé après qu’elle a été avertie que le nouveau gouvernement du Parti socialiste (PSOE) dirigé par Pedro Sánchez, qui venait d'être élu au Parlement au moyen d'un vote de censure, envisageait la candidature de Baños et était sur le point de confirmer sa nomination le 7 juin 2018.

Immédiatement, des journaux comme El Mundo et El País ont publié des articles accusant Baños d'avoir de la «compassion pour la Russie». Pour El País, la preuve en était sa «présence régulière» sur Russia Today et Sputnik, des médias financés par le gouvernement Poutine. Une autre «preuve» était son tweet en réponse à une enquête montrant un taux de popularité nationale de 74% pour le président russe Vladimir Poutine: «N'aimerions-nous pas avoir un leader politique qui atteindrait la moitié de cette popularité ici même dans l'Union européenne !!!!»

Baños aurait également déclaré: «Quel pays a tout ce qu'il nous manque? La Russie, oui. Nous ne gagnerons rien à provoquer la Russie. La Russie veut donc avoir sa propre sphère d'influence? Bien sûr que oui, tout comme les États-Unis ou la Chine. Elle veut aussi avoir ses marchés et des pays aux vues similaires à proximité.»

De nombreux articles mettent également en doute la santé mentale de Baños pour sa participation à la populaire émission de télévision décalée Cuarto Milenio qui enquête souvent sur des sujets tels que les théories du complot, l'ufologie et la parapsychologie.

Baños reflète une opinion minoritaire de realpolitik au sein de la classe dirigeante espagnole qui s'oppose aux actions militaires provocatrices et aux sanctions contre la Russie. Il voit la nécessité de défendre les intérêts impérialistes de l'Espagne par le biais d'une armée européenne et de relations plus étroites avec la Russie – des positions partagées par des sections de l'élite dirigeante allemande et française.

Cependant, l'organisation parrainée par le Royaume-Uni, la II, considérait Baños comme une menace pour les intérêts nationaux britanniques et un obstacle à sa campagne anti-Russie. Selon les documents piratés, à midi le 7 juin 2018, le groupe espagnol, évidemment par le biais d'informateurs au plus haut niveau du PSOE, «entendent dire qu'une voix pro-Kremlin bien connue, Pedro Baños, doit être nommée ce week-end (09/06/2018) au poste de directeur du département de Sécurité nationale (DSN), qui travaille étroitement avec le bureau du premier ministre espagnol (La Moncloa) et exerce une grande influence sur la politique».

Un plan d'action est élaboré pour définir comment le membre de l'Institute of Statecraft et chef du groupe espagnol Nicólas de Pedro va alerter «le reste des membres du cluster espagnol et préparer un dossier pour informer les principaux médias espagnols». Le cluster lance une campagne Twitter afin d'empêcher un rendez-vous.»

Parmi les membres du cluster espagnol figurent également Borja Lasheras et Quique Badia-Masoni, écrivains et journalistes bien connus pour leurs positions anti-russes hystériques. Ils sont soutenus par Chris Hernon, Simon Bracey-Lane et Ben Robinson, membres de l'équipe de la II dans le Royaume-Uni, et Alina Mosendz, membre du bureau espagnol de StopFake et Jelena Milic, membre du groupe serbe.

À 15h45, «Le chef du cluster espagnol contacte d'urgence le groupe britannique, qui active le réseau de la II afin de créer un soutien international pour la campagne Twitter. Le cluster britannique crée un groupe dans l’application WhatsApp pour coordonner la réaction sur Twitter, établir des contacts sur Twitter pour répandre les inquiétudes et encourager les gens à

“retweeter” le matériel. La Il publie du matériel écrit par le chef du groupe espagnol Niko de Pedro sur la version espagnole du site web StopFake, qui est également “retweetté” par des personnalités influentes».

Le cluster espagnol envoie ensuite du matériel à El País et à El Mundo pour publication. Le même jour, El País publie: «Le premier ministre espagnol envisage un partisan de la Russie au poste de directeur de la Sécurité nationale».

Les documents révèlent qu'avant 19h45, à peine huit heures après le début de l'opération, «la campagne [avait] fait beaucoup de bruit sur Twitter... Des contacts au sein du Parti socialiste ont confirmé que cette information avait atteint le premier ministre. Certains diplomates espagnols ont également exprimé leur inquiétude. Finalement, le Parti populaire et le parti Ciudadanos ont tous deux demandé au premier ministre de mettre fin à cette nomination.»

Le lendemain, le gouvernement laisse tomber Baños et nomme le général Miguel Ángel Ballesteros à sa place.

L'opération contre Baños est une illustration explicite du fonctionnement interne des services de renseignement en collaboration avec des journalistes et des universitaires prétendument «indépendants». Les mêmes forces qui accusent la Russie de s'ingérer dans les affaires intérieures des nations européennes s'y mêlent elles-mêmes afin d'empêcher les gouvernements élus de nommer des responsables lorsque cela va à l'encontre de leurs intérêts. Ils utilisent les médias sociaux de la même manière qu'ils accusent le Kremlin de les utiliser.

En montrant les véritables sources d'information sur lesquelles ils s'appuient, des journaux comme El País ou El Mundo sont révélés en tant qu'intermédiaires des services de renseignement pour soutenir la suppression des points de vue politiques dissidents, en l'occurrence, l'appel de Baños à des relations plus étroites avec la Russie.

L'année dernière, El País a mené une campagne frénétique et paranoïaque en affirmant que la crise catalane n'avait pas été déclenchée par la violente répression du gouvernement du Parti populaire contre les sécessionnistes, mais qu'elle était causée par Moscou et ses «fausses nouvelles». Il a cité des experts et des spécialistes travaillant pour des groupes de réflexion espagnols tels que l'Instituto Elcano et le Centre des affaires internationales de Barcelone (CIDOB), ainsi que le Conseil européen des relations extérieures.

Les documents divulgués montrent que de nombreux membres de ces groupes de réflexion sont membres du «groupe espagnol» de l’Integrity Initiative. Le plus connu est l'analyste principal de l'Instituto Elcano, Mira Milosevich-Juaristi, qui a témoigné l'année dernière au Parlement pour affirmer que la Russie faisait la promotion de fausses nouvelles.

L'affaire Baños n'est qu'une des campagnes mises en lumière par l’Integrity Initiative, mais selon Anonymous, des opérations similaires ont été menées dans de nombreux autres États de l'UE.

(Article paru en anglais le 6 décembre 2018)

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