La tentative de la Fed d’apaiser les marchés échoue

Le plongeon de Wall Street se poursuit

Wall Street a connu une autre journée mouvementée hier avec un Dow Jones en baisse de 415 points, après une hausse de près de 400 points dans les heures d’ouverture des marchés. L’indice S&P 500 a chuté de 2 pour cent et le NASDAQ de 2,99 pour cent, couronnant la pire semaine pour Wall Street depuis octobre 2008.

Le Dow Jones a perdu 1655 points pour la semaine, soit une baisse de 6,8 pour cent, son pire pourcentage depuis le début de la crise financière il y a dix ans, le NASDAQ a perdu 8,3 pour cent pour la semaine et est maintenant 22 pour cent sous son plus haut en août dernier et la S&P a baissé de 7 pour cent, et elle se trouve maintenant à 17,8 pour cent en-dessous de son sommet.

La S&P et le Dow sont tous deux sur la bonne voie pour leur pire performance de décembre depuis décembre 1931, au beau milieu de la Grande Dépression.

Bloomberg a publié un article indiquant que 38 pour cent des actions se négocient actuellement à leur plus bas niveau depuis 52 semaines. Depuis 1984, il n’y a eu que huit jours où une plus grande proportion des actions ont été négociées à ces niveaux. Deux d’entre elles ont eu lieu lors du krach d’octobre 1987, lorsque le Dow Jones a chuté de 23 pour cent en une journée, le reste ayant eu lieu en octobre et novembre 2008.

La brève reprise a été déclenchée par un entretien avec le président de la Réserve fédérale de New York, John Williams, de la chaîne économique CNBC, dans lequel il a déclaré que la Fed abordait 2019 les yeux grands ouverts et qu’elle était prête à réévaluer ses perspectives pour l’économie et par conséquent sa politique monétaire.

Il avait clairement reçu un mandat pour calmer les marchés après leur réaction défavorable à la décision de mercredi de relever les taux d’intérêt de 0,25 pour cent et indiquer que la Réserve fédérale en prenait note. Il a défendu la hausse des taux, en se basant sur l’évaluation que l’économie continuerait à croître l’année prochaine, mais a déclaré que la Réserve fédérale accordait une attention particulière aux marchés financiers.

L’effet de ses assurances a duré environ deux heures avant que les marchés ne replongent.

La hausse des taux n’a pas été le seul aspect de la politique monétaire qui a eu une incidence sur les marchés. Il y a eu une réaction négative à la déclaration du président de la Réserve fédérale, Jérôme Powell, lors de sa conférence de presse de mercredi, selon laquelle la liquidation de ses actifs, acquis dans le cadre du programme d’assouplissement quantitatif (QE) lorsque la Réserve fédérale est entrée sur le marché pour acheter des obligations, était en « pilote automatique » et allait se poursuivre à raison de 50 milliards dollars par mois.

Dans le cadre de l’assouplissement quantitatif, la Réserve fédérale a fait passer ses actifs d’environ 800 milliards de dollars à plus de quatre mille milliards de dollars. Cette mesure a eu pour effet d’augmenter le prix des obligations et de faire baisser les taux d’intérêt, les deux ayant une relation inverse. La pression à la baisse sur les taux d’intérêt dans le cadre de l’assouplissement quantitatif a alimenté la poursuite de la spéculation financière qui avait conduit à la crise de 2008, donnant lieu à la plus longue remontée boursière de l’histoire.

Alors que la Réserve fédérale a commencé à inverser sa politique d’assouplissement quantitatif il y a 15 mois, d’autres banques centrales ont poursuivi des opérations similaires. Mais maintenant, elles vont dans la même direction, resserrant les conditions de crédit sur les marchés financiers mondiaux.

L’une des craintes de Wall Street est que son sale secret soit dévoilé et que, tout comme la vague d’argent bon marché dans le cadre de l’assouplissement quantitatif (QE) a donné une impulsion majeure aux opérations financières, son renversement – ou le resserrement quantitatif (QT) – va provoquer un effritement. En effet, la croissance de l’économie mondiale reste bien en deçà du niveau atteint avant la crise financière et ne peut supporter un retour à des conditions financières naguère considérées comme « normales ».

De plus en plus de signes indiquent que l’économie mondiale ralentit considérablement et qu’elle pourrait se diriger vers une récession. L’année a commencé par des affirmations selon lesquelles l’économie mondiale aurait connu en 2017 une croissance « synchronisée » et connu sa meilleure année depuis la crise financière de 2008.

Mais les perspectives de poursuite de cette tendance se sont révélées de courte durée et l’année s’est achevée sur un ralentissement sensible des économies allemande et japonaise. Un autre indicateur des tendances mondiales est la chute des prix des produits de base, le pétrole en tête, ayant chuté de 30 pour cent au cours des deux derniers mois.

Pendant la majeure partie de cette année, les États-Unis ont été un peu en retrait de cette tendance, les entreprises ayant reçu un coup de pouce important à la suite des réductions de l’impôt des sociétés adoptées par l’Administration Trump à la fin de l’année dernière. Trump a affirmé que cela stimulerait l’investissement et l’emploi. Mais cette affirmation a déjà été démentie par les importantes suppressions et fermetures d’emplois annoncées par General Motors et par le fait que l’augmentation des bénéfices des entreprises a été largement utilisée pour financer les rachats d’actions et augmenter les dividendes.

Il est remarquable que ce que le Financial Times a décrit comme un « tsunami d’argent » – estimé à 1000 milliards de dollars par an – n’ait pas réussi à empêcher ce qui pourrait être la pire année des marchés boursiers depuis la crise financière mondiale.

Outre les conditions financières, les tensions liées à la guerre commerciale sont un autre facteur clé de la vente. C’est ce qui s’est passé hier lorsqu’un entretien avec Peter Navarro, conseiller commercial de la Maison-Blanche de Trump, a conduit à une nouvelle chute du marché en fin de journée.

Navarro a déclaré à l’agence de presse japonaise Nikkei qu’il serait « très difficile » pour les États-Unis et la Chine de parvenir à un accord dans le délai de 90 jours convenu par Trump et le président chinois Xi Jinping lors de leur réunion à Buenos Aires le 1ᵉʳ décembre.

Navarro, l’un des principaux faucons anti-Chine au sein de l’Administration, a déclaré qu’il ne pouvait pas y avoir « de demi-mesures » et que la Chine devait répondre à toutes les demandes des États-Unis, y compris les allégations de transferts de technologie forcés, de cyber-espionnage des réseaux commerciaux, d’investissements à la demande des États et de barrières tarifaires et non tarifaires. Bref, il fallait que la Chine capitule totalement avant qu’un accord puisse être conclu.

Soulignant les questions centrales qui motivent les forces anti-Chine les plus bellicistes au sein de l’Administration et les appareils militaires et de renseignement qui ont intensifié leur offensive contre la Chine ces dernières semaines, il a déclaré : « La Chine essaie de voler l’avenir du Japon, des États-Unis et de l’Europe en s’en prenant à notre technologie ».

Il a qualifié le programme « Fait en Chine 2025 » – le centre de son plan de développement industriel et technologique – de « label pour une stratégie chinoise de domination dans les industries du futur ».

Si la Chine a récemment abandonné les références à ce plan, « personne au Japon ou aux États-Unis ne croit vraiment qu’ils ont abandonné les objectifs de la Chine à l’horizon 2025. »

Un autre aspect important de la chute actuelle du marché est la façon dont les processus économiques se recoupent avec les bouleversements politiques croissants à l’échelle internationale – la crise du Brexit au Royaume-Uni en étant l’un des exemples les plus marquants – et avec les conflits qui se poursuivent et s’aggravent au sein de la classe politique américaine.

La fermeture imminente du gouvernement américain, l’insistance de Trump pour que le financement d’un mur entre les États-Unis et le Mexique soit inclus dans tout règlement de l’impasse avec le Congrès, et la tempête politique déclenchée par l’annonce par Trump du retrait des troupes américaines de Syrie et la démission du secrétaire à la défense James Mattis qui a entraîné la chute du marché, sont autant d’éléments qui ont contribué à la crise.

À plus long terme, la crise des marchés et la crise politique sont le résultat de l’effondrement de l’ordre capitaliste mondial qui a éclaté sous la forme de la crise financière de 2008. Au cours de la décennie qui a suivi, aucune des contradictions qui l’ont produit n’a été résolue, elles se sont simplement métastasées pour revenir sous des formes encore plus malignes.

(Article paru d’abord en anglais le 22 décembre 2018)

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