Les «gilets jaunes» et la fraude de la «révolution citoyenne» de Mélenchon

Les «gilets jaunes» en France et les grèves organisées sur les réseaux sociaux au Portugal ont démasqué le milieu petit-bourgeois de la «gauche» officielle et des appareils syndicaux européens. L’éruption d’un mouvement dans la classe ouvrière contre les inégalités les ont surpris alors qu’ils négociaient l’austérité et la guerre dans les palais présidentiels et les discours parlementaires. Ils n’ont joué aucun rôle dans le mouvement contre Macron; ils tentent à présent de l’étrangler.

Le Bloc de gauche (BE), les alliés portugais de La France insoumise (LFI) de Mélenchon, ne cache pas la crainte et le dégoût que leur inspirent grévistes et «gilets jaunes». Francisco Louçã, un dirigeant de BE, les a dénoncés: “C’est une opération d’extrême-droite. Ils utilisent les réseaux sociaux pour inciter un politisation aggressive dans des termes d’extrême-droite.»

Mélenchon par contre essaie d’influencer les «gilets jaunes» en déclarant pompeusement qu’ils ont donné raison à son populisme. Sur son blog, il écrit: «Je jubile. Les événements en cours sont à mes yeux la confirmation du schéma théorique mis au point dans la théorie de la révolution citoyenne telle que l’a résumée mon livre L’Ère du peuple

Si Mélenchon crie victoire sur le terrain insipide de la théorie postmoderne, c’est qu’en réalité ce mouvement est pour lui une défaite. La lutte a émergé quand les «gilets jaunes», y compris des dizaines de milliers d’électeurs de Mélenchon, ont débordé LFI. Des masses de travailleur en France et au-delà ont reçu un exemple précieux: une vraie lutte contre l’élite dirigeante nécessite une opposition aux forces antimarxistes qui se donnent pour la «gauche» depuis des décennies.

La théorie populiste d’une «révolution citoyenne» vise à bloquer la lutte révolutionnaire contre les inégalités soicales, le chômage et la guerre voulue par les «gilets jaunes», en dénonçant le marxisme et le socialisme. A propos de L’Ère du Peuple, Mélenchon déclare: «En toute hypothèse, mon travail ne dit pas comment le pouvoir peut tomber sous les coups d’un mouvement de cette nature. D’autant que de mon point de vue, le débouché doit être pacifique et démocratique. Autrement dit, en toute hypothèse, il s’agit de trouver une sortie institutionnelle aux évènements.»

Il dit que L’Ère du Peuple «est en rupture avec la doxa traditionnelle de la gauche traditionnelle et de l’extrême gauche», à travers la «rupture avec la centralité du concept prolétariat (salariat) / révolution socialiste comme couple indépassable de la dynamique de l’Histoire.» Se faisant l’écho de la fraction PS à l’Assemblée, il propose une «la motion de censure au Parlement» contre le gouvernement. Cette démarche pourrait déboucher sur de nouvelles élections législatives, et nourrit donc les espoirs que Mélenchon a souvent exprimés d’être le premier ministre de Macron ou du PS.

En prétendant qu’on préserve la démocratie en respectant le cadre parlementaire qui impose le diktat austéritaire et militariste des banques, Mélenchon commet une fraude politique. Les «gilets jaunes» se sont mobilisés précisément parce qu’en France et à travers l’Europe, les parlements capitalistes foulent la démocratie et la classe ouvriers aux pieds.

L’éruption d’un mouvement à caractère ouvrier contre l’inégalité sociale qui exige la démission de Macron démontre à nouveau le rôle révolutionnaire du prolétariat. Elle réfute à nouveau l’idée que la restauration capitaliste en URSS par la bureaucratie stalinienne en 1991 était la Fin de l’Histoire ou de la lutte des classes. En 6 semaines, quelques centaines de milliers de travailleurs, de chômeurs et de retraités, avec des indépendants et des petits patrons, ont ébranlé le gouvernement français.

Macron a dû se réfugier derrière un mur de dizaines de milliers de gendarmes, renforcés par des blindés et des hélicoptères prêts à l’évacuer de l’Elysée. Les «gilets jaunes» ont révélé l’intensité de l’opposition des masses à des politiques illégitimes d’austérité et de guerre. Sans autre perspective pour imposer son diktat, l’aristocratie financière construit un État policier.

Un demi-siècle après la grève générale de Mai 68, des dizaines de millions de travailleurs en France et en Europe regardent l’actualité et tirent leurs propres conclusions. Une large majorité des travailleurs en France veulent que le mouvement continue. Ceci nécessite une lutte pour mobiliser des couches plus large de travailleurs, contrer les tentatives des appareils syndicaux et de populistes comme Mélenchon d’isoler et d’étrangler les luttes, et développer le mouvement consciemment en tant que lutte européenne contre le capitalisme et pour le socialisme.

Le mouvement a aussi mis en évidence la crise de direction dans la classe ouvrière. Mélenchon, un ex-soixantehuitard qui a rejoint l’Organisation communiste internationaliste après sa rupture avec le trotskysme et le Comité international de la Quatrième Internationale en 1971 puis travaillé dans le PS pendant 30 ans, est un contre-révolutionnaire petit-bourgeois. La tâche en France est de réfuter la fraude selon laquelle le PS ou sa périphérie petite-bourgeois représentent le socialisme, en construisant le Parti de l’égalité socialiste, la section française du CIQI.

Ceci nécessite un rejet conscient de la politique petite-bourgeoise et antimarxiste véhiculée par Mélenchon. Il déclare dans son livre qu’il a anticipé les «gilets jaunes» en remplaçant dans son livre la classe ouvrière par le peuple en tant que principale force révolutionnaire:

«Il le définit comme résultat social du processus historique d’explosion démographique et d’urbanisation de la population (on y parle « d’homo urbanus »). Il décrit sa dynamique d’auto-construction comme sujet politique sous le fouet de la nécessité d’accéder aux réseaux dont dépend la survie sociale de chacun. … Il montre comment l’opposition eux/nous est l’opposition entre intérêt général (issue de la dépendance à l’écosystème commun) et intérêt particulier et singulièrement celui du capital ‘court-termisme’ contemporain.»

C’est un fatras prétentieux pour masquer le vide du «populisme de gauche» par lequel Mélenchon veut réfuter le marxisme. Les «gilets jaunes» ne revendiquent pas l’accès à Internet, ils se sont organisés sur les réseaux sociaux. Ils exigent d’accéder à des transports, des logements et une alimentation abordable et de qualité, et la fin du diktat des banques et de l’Union européenne. Pour réaliser ces objectifs, les travailleurs n’auront pas d’autre choix à part prendre le contrôle de l’économie et prendre le pouvoir.

Si Mélenchon se maquille de vert pour apparaître progressif, surtout parmi ses soutiens dans les classes moyennes aisées, en fait il ne fait que discuter de stratégies pour étrangler le mouvement. Cela ressort des alternatives qu’il propose pour mettre fin au mouvement:

«Premièrement: la stratégie du pourrissement et de la démobilisation. Hasardeux et trop visible déjà. Deuxième possibilité: dissoudre et voter. C’est la logique démocratique puisque ni les gens mobilisés ni le gouvernement et sa majorité ne veulent céder. On tranche par la démocratie. Troisième issue enfin: donner gain de cause au mouvement. Ce serait le plus simple mais il faut admettre qu’avec les jours qui passent, le champ des revendications s’est bien élargi. Au point que, réellement, le vote serait la meilleure formule en tous cas la plus pacifique.»

Ce sont là des stratégies qu’utiliserait Macron pour étrangler le mouvement. Sa décision d’évoquer même une stratégie de «pourrissement», vraisemblablement en incitant des haines xénophobes ou antimusulmanes, ne fait que souligner ce fait. Quant à son appel à des élections, c’est une duperie annoncée, visant à forcer les «gilets jaunes» à abandonner leur lutte sans obtenir gain de cause.

Le populisme antimarxiste de Mélenchon est ainsi l’expression theéorique de l’hostilité de la périphérie aisée et petite-bourgeoise du PS et de l’aristocratie financière aux revendications légitimes des «gilets jaunes», et de travailleurs en lutte à travers l’Europe.

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