Le gouvernement britannique dépêche la Royal Navy pour arrêter les bateaux de réfugiés dans la Manche

Le gouvernement conservateur britannique dépêche la Royal Navy sur la Manche pour empêcher les réfugiés et les demandeurs d’asile de tenter la dangereuse traversée de 35 kilomètres de la France à bord de petites embarcations et de canots pneumatiques. La Manche est l’une des voies maritimes les plus fréquentées au monde.

Le navire de patrouille HMS Mersey a été déployé pour assister deux vedettes de la police de la frontière qui avaient été envoyés plus tôt dans la semaine par le ministre de l’Intérieur, Sajid Javid. Ceux-ci rejoindront une vedette et deux plus petits navires de patrouille côtière déjà présents dans la zone. Javid a déclaré que des mesures « secrètes » seraient prises en France pour mettre fin aux gangs de passeurs clandestins.

Voir des enfants, femmes et hommes démunis renvoyés en France ou rassemblés sur des plages anglaises est un rappel déchirant de la terrible tragédie qui a frappé des millions de personnes au Moyen-Orient et ailleurs. Seize années de « guerre contre le terrorisme » – le prétexte d’un renouveau de la guerre et du pillage colonialistes – ont engendré la plus grande crise migratoire depuis la Seconde Guerre mondiale. Plus de 65 millions de personnes sont devenues des réfugiés et 15 millions sont déplacées à l’intérieur des pays.

Et pourtant, une sale campagne de droite d’anti-immigration se manigance au sujet d’un petit nombre d’âmes désespérées – 539 au total – qui ont tenté de traverser la Manche en 2018.

Au début, Javid et ses responsables du ministère de l’intérieur hésitaient à envoyer des navires de patrouille, affirmant que cela allait créer un appel d’air à d’autres réfugiés à tenter la traversée. Cependant, les députés et les médias conservateurs ont fait pression de plus en plus fort, faisant un matraquage sur une « crise de migrants » qui se profilerait à l’horizon. Le Sun, torchon de Rupert Murdoch a exigé : « Nous devons endiguer le flot de bateaux de migrants qui traversent la Manche. »

Javid a été contraint de couper court à ses vacances de safari en Afrique du Sud (£ 840 la nuit) pour regagner la Grande-Bretagne. Au motif que 80 pour cent des passages en 2018 avaient été effectués au cours des trois derniers mois, il a traité la situation d’« incident majeur ».

Javid a confié à Sky News : « Notre travail ici est de nous assurer que cela ne devienne pas un nouvel itinéraire d’une migration illégale en augmentation constante, donc je veux l’arrêter maintenant autant que possible. » Il a pesté contre les migrants « illégaux » pour ne pas vouloir chercher l’asile en France, un pays « sûr ».

« Pourquoi n’avez-vous pas demandé l’asile dans le premier pays sûr où vous êtes arrivé ? », a lancé Javid. « Car la France n’est pas un pays où quiconque dirait que ce n’est pas sûr de quelque manière que ce soit… »

La diatribe de Javid était fausse à tous points de vue. La recherche de l’asile est un droit inscrit dans le droit international. La Convention de 1951 sur les réfugiés stipule que « les réfugiés ne doivent pas être pénalisés pour leur entrée ou leur séjour illégaux » et reconnaît « que la recherche de l’asile peut obliger les réfugiés à enfreindre les règles en matière d’immigration ».

Les traversées maritimes constituent une réponse désespérée à la fermeture d’autres routes par les gouvernements britannique et européen. Le nombre de personnes ayant obtenu l’asile au Royaume-Uni a chuté de 26 pour cent au cours de l’année écoulée pour atteindre un nombre dérisoire de 4 981 personnes. Plus de la moitié des demandeurs se voient refuser l’entrée. Selon Ciaran Price, responsable des affaires publiques chez Asylum Aid, nombre d’entre eux sont refusés parce que le ministère de l’intérieur exige qu’ils « obtiennent des preuves impossibles, comme des actes de naissance égarés lors d’une fuite devant une scène de violence au milieu de la nuit ou des preuves documentaires explicites attestant de la violence sexuelle ».

L’hystérie attisée par Javid envers les migrants sur les embarcations dans la Manche a également un objectif politique immédiat : attiser les forces les plus à droite à l’approche du Brexit. Au cours de la campagne référendaire de 2016 menant au vote serré en faveur de la sortie de l’Union européenne (UE), le sentiment xénophobe anti-immigrés a réuni les dirigeants des deux camps, qu’ils soient pour ou contre le maintien du pays dans l’UE. Pour le camp de vouloir rester dans l’UE (Remain), le Premier ministre David Cameron avait alors promis un accord avec l’UE pour s’assurer que la Forteresse d’Europe empêcherait les migrants de pénétrer dans le pays, tandis que le camp de vouloir quitter l’UE (Leave) avait pour objectif principal de « reprendre le contrôle de nos frontières » et de restreindre la libre circulation des travailleurs.

La Première ministre, Theresa May, a fait du contrôle strict de l’immigration l’axe central de sa politique du Brexit. Le mois dernier, le gouvernement a annoncé un livre blanc sur l’immigration après la fin de la période de transition du Brexit, actuellement fixé à janvier 2021, mais celui-ci pourrait être appliqué dès avril si May ne parvient pas à faire adopter son accord de sortie de l’UE par le Parlement ce mois-ci. Parmi les propositions, les migrants « hautement qualifiés » qui ont de la famille déjà résidente ne seront autorisés à entrer que sous des critères beaucoup plus stricts, et les travailleurs peu qualifiés n’auront presque aucune chance d’entrer. Javid a clairement indiqué que toute personne accordée un droit d’entrer dans le nouveau système au Royaume-Uni n’aura aucun « droit d’accéder aux fonds publics ou de s’établir de manière permanente au Royaume-Uni ».

Alors que Javid annonçait que la France était un pays « sûr », l’Auberge des Migrants, une organisation caritative pour les réfugiés, publiait une photo de policiers français en train de détruire trois camps de fortune et avait tweeté : « Le 1ᵉʳ janvier 2019, rien n’a changé à Calais » – une référence à l’infâme démolition du camp de réfugiés dit « la jungle » et le déplacement forcé de ses 6400 habitants en 2016 par le gouvernement du Parti socialiste de l’époque.

Depuis lors, le gouvernement du président Emmanuel Macron a intensifié la persécution des réfugiés et des travailleurs migrants. Il a créé des équipes spéciales anti-migrants, intensifié les contrôles en Méditerranée et renforcé la sécurité des frontières à Calais et dans d’autres ports. L’année dernière, l’Assemblée nationale française a adopté un projet de loi répressif sur l’asile et l’immigration, ouvrant la voie à de nouvelles attaques draconiennes contre les réfugiés et les demandeurs d’asile.

Selon Maya Konforti, de l’Auberge des migrants, la vie de la plupart des migrants sur la côte française est maintenant « vraiment catastrophique ». Elle a expliqué : « La police démantèle tout ce que les gens parviennent à construire, tous les deux jours. C’est du harcèlement psychologique, incroyablement stressant. Ils ne peuvent jamais s’installer, ils ont du mal à garder le peu qu’ils ont. […] Alors oui, vous pouvez dire qu’ils sont désespérés. »

Jaber, qui est arrivé d’Iran à Calais il y a quatre mois et n’a pas vu sa femme et ses enfants à Manchester depuis deux ans, a déclaré au Guardian que « Les autres moyens sont maintenant bloqués. Il y a des gens qui sont ici depuis deux ans et qui ont essayé plus de 100 fois de monter dans un camion. C’est le seul moyen maintenant [se jeter à la mer]. »

Beaucoup de ceux qui tentent ce passage en se disant « c’est le moment ou jamais » sont, comme Jaber, des ouvriers iraniens qualifiés. Ils représentent le plus grand nombre de demandeurs d’asile au Royaume-Uni chaque année depuis trois ans. Ils ont cherché à échapper aux conditions sociales dévastatrices imposées à leur pays par l’impérialisme occidental et à rejoindre leurs familles qui constituent la petite population de 70 000 Iraniens en Grande-Bretagne.

La situation ne peut que s’aggraver suite à la décision en novembre de Trump d’intensifier sa politique agressive mondiale de « l’Amérique d’abord », en imposant de nouvelles sanctions contre l’Iran destinées à faire imploser son économie, à affamer son peuple, à le faire plier et à renverser son gouvernement afin d’imposer un régime pro-américain servile. La menace d’une action militaire pèse sur l’Iran s’il persiste à défier les diktats américains.

La réponse perverse de Javid aux réfugiés désespérés de la Manche et l’encouragement d’un poison chauvin national à l’approche du Brexit est une expression accablante de la faillite du système d’État-nation capitaliste. Cela va de pair avec l’érection de barrières commerciales et une nouvelle éruption de guerres commerciales et de devises à mesure que la bourgeoisie de chaque pays cherche à résoudre sa crise aux dépens de ses rivaux et de la classe ouvrière.

L’échec du « mouvement social » – Corbyn en Grande-Bretagne, Mélenchon en France, Lafontaine en Allemagne et Bernie Sanders aux États-Unis – à défendre le principe de la libre circulation des travailleurs (appelant même, dans de nombreux cas, au renforcement des frontières prétendument pour protéger les travailleurs de souche du pays) facilite les efforts de leurs gouvernements pour fomenter la haine des immigrants. Cela ne vise qu’à diviser la classe ouvrière et détourner l’attention de la véritable source de souffrance des travailleurs, le système capitaliste.

(Article paru en anglais le 4 janvier 2019)

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