Le débat commence au Parlement britannique sur l’accord de Brexit conclu entre Theresa May et l’UE

Les députés britanniques ont entamé mercredi plusieurs jours de débat en vue d'un vote la semaine prochaine sur l'accord de sortie de l‘UE, conclu par la cheffe du gouvernement Theresa May avec l'Union européenne (UE). Le « vote significatif » est prévu pour le 15 janvier.

Tous les partis de l'opposition et une grande partie des propres députés conservateurs de May sont opposés à l‘accord. May a été contrainte d’organiser ce débat et le vote après avoir annulé à la dernière minute un vote sur l‘accord le mois dernier. Elle savait qu'elle le perdrait largement et que son poste à la tête du gouvernement était menacé.

La crise à laquelle May est confrontée n'a fait qu'empirer dans l'intervalle; le Parti unioniste démocratique (DUP), dont les 10 voix sont vitales pour la survie du gouvernement conservateur minoritaire, s’oppose toujours à cet accord. Ce parti ne veut pas que l'Irlande du Nord reste dans une union douanière avec l'UE pour une durée indéterminée, jusqu'à ce qu'un accord de libre-échange soit conclu entre le Royaume-Uni et l'UE, ce qui pourrait prendre des années.

Dimanche, le chef adjoint du DUP, Nigel Dodds, a déclaré que « les problèmes fondamentaux qui en font un mauvais accord ne semblent pas avoir changé ». Il a ajouté que « Le filet de sécurité [maintenant l’Irlande du Nord dans l’union douanière] demeure le poison qui rend tout vote en faveur de cet Accord de sortie si toxique ».

L'UE insiste depuis début décembre, quand l'accord avec May fut annoncé, pour dire que les négociations sur un texte ayant mis deux ans à aboutir sont maintenant terminées. May affirme tout de même sans cesse que le Royaume-Uni est toujours en négociation avec Bruxelles avant le vote de la semaine prochaine. Dimanche, May a déclaré au Andrew Marr Show de la BBC qu'elle espérait obtenir des « changements » à l’accord et qu'elle « travaillait toujours » avec l'UE pour obtenir des garanties juridiquement contraignantes sur les arrangements concernant l’Irlande du Nord.

Avant le vote, May doit présenter les propositions du gouvernement sur la frontière avec l'Irlande du Nord et offrir aux députés un rôle plus important dans les négociations sur la prochaine étape des futures relations entre le Royaume-Uni et l'UE.

En public, l'UE maintient sa position selon laquelle les négociations sont terminées. Jeudi dernier, Mina Andreeva, de la Commission européenne, a insisté disant: « Nous ne renégocions pas ce qui est sur la table. » Lundi, Nathalie Loiseau, la ministre française pour l'Europe, a déclaré que certaines garanties pourrait être proposées à May, mais que « ce sont des garanties politiques [...] on ne peut plus rien proposer d’autre ».

May cherche à utiliser l’éventualité croissante d'un Brexit « sans accord », aux conséquences économiques et sociales imprévisibles, fin mars, pour obliger Bruxelles à donner plus et forcer les députés à soutenir son accord. Elle a dit au « Marr Show »: « Si l'accord n'est pas adopté lors du prochain vote, nous allons nous retrouver en terrain inconnu » avec le danger de « nous trouver sans accord du tout ». Une crise s'ensuivrait, car elle ne pensait pas « que quiconque puisse dire exactement ce qui [allait] se passer pour ce qui est des prises de positions au Parlement ».

Les députés qui s'opposent à l'accord parce qu'ils sont pro-UE et soutiennent un second référendum sur l'adhésion à l'UE, l'aile dure pro-Brexit dans son propre parti et le DUP devaient tous « prendre conscience des risques qu'ils font courir à notre démocratie et au gagne-pain de nos électeurs », a-t-elle déclaré.

Le Daily Mail rapporte que jusqu'à 200 députés de tous bords s'unissent pour empêcher un Brexit sans accord. Des représentants de ce groupe, mené par la ministre conservatrice Dame Caroline Spelman et le travailliste de premier plan Jack Dromey, devaient rencontrer May cette semaine pour des pourparlers. Le groupe comprend les conservateurs Sir Oliver Letwin, Nicky Morgan et Dominic Grieve, les travaillistes Harriet Harman, Yvette Cooper, Ben Bradshaw et Liam Byrne, ainsi que l'ancien ministre libéral démocrate à l'énergie Sir Ed Davey.

Parmi leurs grands soutiens patronaux on trouve les grands constructeurs automobiles et sociétés d'ingénierie Jaguar Land Rover, Ford, Rolls-Royce, Airbus et des organisations d’employeurs comme la Confédération de l’Industrie britannique, la Fédération des employeurs de la Métallurgie et l’Association des constructeurs et concessionnaires de l’automobile.

Sur fond de crise croissante des gouvernements de tout le continent, de manifestations de masse contre l'austérité comme celles des Gilets jaunes en France, de menace de troubles économiques et de guerre commerciale, et de montée des partis de droite anti-UE, Bruxelles est prise entre le marteau et l'enclume. Elle ne veut pas aggraver les choses par un Brexit « dur » chaotique mais craint aussi que des concessions à la Grande-Bretagne ne sapent l'unité de l'UE et n’encouragent d’autres États à en exiger.

Lundi, le premier ministre irlandais Leo Varadkar a déclaré que l'UE était prête à offrir à May « des garanties, des explications écrites » pour apaiser l'opposition des députés britanniques à son accord. Le Financial Times a noté que même si « [M]ay devait perdre le vote[du 15 janvier]... Elle fonde ses espoirs sur des engagements plus fermes de l'UE avant un second vote – peut-être fin janvier ou début février – la spéculation s’intensifie que la Première ministre devra retarder le départ du Royaume-Uni du bloc, prévu pour le 29 mars ».

Un retard dans la mise en œuvre de l'article 50 – la législation autorisant le Royaume-Uni à quitter l'UE – est considéré comme essentiel par le camp de la classe dirigeante voulant rester dans l’UE et inverser le Brexit. La droite travailliste, en alliance avec le Parti national écossais et les Libéraux-démocrates, cherche désespérément à faire adopter au Parti travailliste une position ouvertement en faveur d'un second référendum, en opposition à la position actuelle du chef du parti, Jeremy Corbyn. Ce dernier est pour tenir des élections générales au moyen d’une motion de censure afin d’évincer les conservateurs et de négocier un Brexit plus favorable aux secteurs dominants du patronat.

Parmi les sondages d'opinion publiés régulièrement, il y a celui commandé par la campagne des partisans de [l’ex-premier ministre travailliste] Tony Blair pour un ‘Vote populaire’qui affirme que la majorité des membres et électeurs travaillistes sont pour un second référendum. Le même sondage révèle – lorsque l’on soustrait les « indécis » – que 54 pour cent des Britanniques dans leur ensemble voteraient pour rester dans l'UE, contre 46 pour cent voulant la quitter. Un changement d’opinion important en faveur du maintien dans l’UE, mais qui montre encore de profondes clivages.

Les sondages montraient un écart similaire en faveur du maintien dans l’UE avant le référendum de 2016, qui s'est terminé par une victoire de 52 contre 48 pour cent en faveur d’une sortie de l’UE. De plus, un sondage YouGov montrant un large écart en faveur d'un second référendum a également montré que les membres travaillistes soutiennent la politique de Corbyn de forcer une élection générale pour chasser les Conservateurs afin de négocier un meilleur accord deBrexit – 47 pour cent en faveur de la position de Corbyn, 29 pour cent contre et 19 pour cent d’indécis.

Andrew Rawnsley écrit dans le journal pro-UE Observer: « La conclusion pour les partisans travaillistes devrait être claire. S'ils veulent un autre référendum, ils devront apprendre de leur chef et se rebeller contre lui. » Il s'agit là d'une poursuite des efforts entamés au lendemain du référendum de 2016, lorsque 172 députés travaillistes de droite ont mené un coup politique manqué contre Corbyn, au principal motif qu'il était trop mou dans son soutien à la campagne du maintien dans l’UE.

Jusqu'à présent, Corbyn a maintenu sa position tout en refusant d'indiquer quand il présenterait une motion de censure contre le gouvernement – confiant même au Guardian qu'il demanderait à May de retourner à Bruxelles si son accord était rejeté. Mais le ministre ‘fantôme’ des Finances travailliste John McDonnell a clairement indiqué que le soutien des travaillistes à un second référendum était « inévitable » si une motion de censure n'aboutissait pas au renvoi des Conservateurs. Cette semaine, Corbyn a décrit les préparatifs en vue d’un « Brexit sans accord » comme un « projet-Épouvante » du gouvernement, car selon lui une majorité parlementaire empêcherait un tel résultat.

Mardi soir, le Parti travailliste a ordonné à ses députés d’appuyer un amendement à la Loi de finances déposé par la blairiste de droite Yvette Cooper, qui restreint les pouvoirs fiscaux du gouvernement à moins qu'un Brexit sans accord ne soit écarté. Le gouvernement a perdu le vote par 303 voix contre 296, 20 députés conservateurs appuyant l'amendement.

Cette défaite est en grande partie symbolique mais elle témoigne de la volonté de Corbyn de chercher des alliances avec les Conservateurs pro-UE, qui seraient essentielles dans toute campagne pour un nouveau référendum.

(Article paru en anglais le 9 janvier 2019)

Loading