Perspectives

Les syndicats financés à la hauteur de dizaines de millions par l’État

Alors que le gouvernement est ébranlé par les «gilets jaunes», Macron et les partis de pseudo gauche liés aux syndicats poussent pour que syndicats prennent le contrôle du mouvement. Le seul résultat possible d’une pareille action serait de laisser des appareils à la botte de Macron étouffer le mouvement et bloquer une lutte des travailleurs. C’est ce que démontre le rapport de l’Agence de Gestion du Fonds Paritaire National (AGFPN) sur le financement des syndicats par l’État.

Le mouvement des «gilets jaunes» s’est développé en dehors des syndicats et de partis tels le NPA, LO et La France insoumise, marquant une rupture des travailleurs avec ces organisations qui étouffent l’opposition à l’austérité et aux guerres des gouvernements qui se sont succédés jusqu’à Macron. L’affirmation de la pseudo gauche, aussi véhiculée par les médias que les syndicats feraient partie du mouvement ouvrier sème la confusion.

En fait, les syndicats ne sont pas le «mouvement ouvrier» mais des organisations achetées par le capital qui étranglent les luttes. S’ils ont dénoncé les «gilets jaunes», ce n’est pas que les «gilets jaunes» représentent la mobilisation d’un peuple séparé de la classe ouvrière que représenteraient les syndicats. C’est que les syndicats étaient hostiles à un mouvement des travailleurs contre l’État et les banques, qui exploitent les travailleurs mais qui financent les syndicats.

Dans son rapport pour l’année 2017, l’AGFPN, organisme paritaire créé en 2015 pour assurer une traçabilité des sources de financement des organisations patronales et syndicales, souligne qu’en 2017, les organisations syndicales ont reçu 83 292 277 euros de crédits des contributions employeurs et de l’Etat que l’AGFPN divise en 3 missions :

Mission 1 : « Mission de conception, la gestion, l’animation et l’évaluation des politiques menées paritairement dans le cadre des organismes gérées majoritairement par les organisations syndicales et patronales »

Mission 2 : « la participation des organisations syndicales de salariés et des organisations professionnelles d'employeurs à la conception, à la mise en œuvre et au suivi des politiques publiques relevant de la compétence de l'État, notamment par la négociation, la consultation et la concertation »

Mission 3 : « La formation économique, sociale et syndicale des salariés appelés à exercer des fonctions syndicales ou des adhérents à une organisation syndicale de salariés amenés à intervenir en faveur des salariés »

Ces chiffres démasquent la nature de classe des syndicats qui sont achetés à coups de dizaines de millions d’euros par l’Etat et le patronat pour leur collaboration dans les plans sociaux et les attaques contre les acquis sociaux. Ils ont approuvé la loi Travail et la réforme ferroviaire en 2018, tout en empêchant que les mobilisations contre l’austérité ne se transforment en une lutte politique contre le gouvernement.

La création de l’AGFPN a eu lieu après le scandale des caisses noires de la puissante fédération patronale de la métallurgie (UIMM). Durant plusieurs décennies, l’UIMM à sorti des caisses de l’Entraide professionnelle des industries et des métaux des dizaines de millions d’euros en liquide pour financer les syndicats.

Durant le procès de l’UIMM, Arnaud Leenhardt, à la tête de cette fédération de 1985 à 1999, avait expliqué que l’UIMM versait ces sommes aux «cinq syndicats représentatifs. Le patronat avait besoin des syndicats qui soient solides. Quand on a des grèves avec séquestrations, on est bien content d’avoir un syndicat capable de canaliser ces débordements et de favoriser une reprise du travail.»

Ce mécanisme par lequel l’État déverse des dizaines de millions d’euros dans les caisses des syndicats n’est en fait qu’un des multiples canaux par lesquels la bourgeoisie s’achète les couches petite-bourgeoises qui peuplent les appareils syndicaux. Selon le rapport Perruchot, accepté par l’Assemblée nationale en 2011 et publié avec le soutien de la CGT en 2012, seule une infime partie des budgets syndicaux provient de cotisations des travailleurs. Le reste vient de subventions et d’aides versées par l’État et le patronat.

A la page 165, ce rapport explique: «On le voit, presque 4 milliards d’euros qui sont vraisemblablement consacrés annuellement à l’activité syndicale en France. L’essentiel de ces moyens (90 pour cent) semble provenir de l’exercice du droit syndical dans les entreprises et la fonction publique, tandis que les contributions directes des syndiqués sous forme de cotisations n’en représenteraient, après déduction de l’aide fiscale, que 3 à 4 pour cent».

La transformation des syndicats d’organisations ouvrières aux années 1960 en instruments de la bourgeoisie financés par l’État n’est pas une affaire de corruption personnelle à l’échelle de la France. C’est un processus international dont l’impulsion réside dans les contradictions mêmes des syndicats. Alors qu’ils avaient pour objet de négocier les salaires avec le patronat et l’État dans un cadre national, la mondialisation avait transformé le rôle qu’ils pourraient jouer.

Face à une économie mondialisée dans laquelle le patronat pouvait forcer les travailleurs et les salaires de différents pays de se concurrencer, les syndicats ont réagi en attaquant les salaires de leurs membres pour doper la compétitivité nationale. Ils ont trahi d’innombrables grèves — celles de la fonction publique sri lankaise en 1980, des aiguilleurs du ciel aux Etats-Unis en 1981, ou des mineurs britanniques en 1985 — pour s’aligner sur le patronat.

Le Comité international de la IVe Internationale souligna dès 1988 «l’importance de la mondialisation et des sociétés transnationales qui rendaient impossible toute poursuite d’une politique économique ou toute négociation des salaires et des conditions de travail à l’échelle nationale. Les stratégies de ‘développement national’ des bourgeoisies ex-coloniales, les luttes syndicales sur un terrain national et l’orientation autarcique du stalinisme étaient toutes devenues obsolètes. Ces forces ont toutes commencé à attaquer les salaires et les acquis afin d’offrir le maximum de profit au capital financier mondial».

En France, l’UIMM a créé sa caisse noire en 1972 lors de la contre-offensive de la bourgeoisie face à la montée des luttes ouvrières après la grève générale de Mai 1968.

Les syndicats, qui avaient trahi la grève générale, se transformaient d’organisations de défense de la classe ouvrière en instruments de la réaction bourgeoise. Leur intégration dans les comités d’entreprises où encore dans les ministères sous la présidence de Mitterrand coïncide avec l’effondrement de leurs bases ouvrières. Les syndicats sont devenus des coquilles vides qui menaient non pas la lutte des classes mais le «dialogue social» pour détruire les acquis sociaux des travailleurs.

Ainsi les syndicats ont organisé l’effondrement du niveau d’activité de grève en France après 1968:

La conséquence a été un abandon massif des syndicats par les travailleurs. Le taux de syndicalisation des travailleurs en France s’est effondré en même temps:

Ceci souligne la nécessité pour les travailleurs en lutte de s’orienter vers leurs frères et soeurs de classe à l’international, et de créer de nouvelles organisations de lutte pour remplacer les syndicats. Le mouvement des «gilets jaunes» a dévoilé l’hostilité mutuelle qui existe entre les travailleurs et ces appareils syndicaux réactionnaires. Lors de ces luttes, comme des luttes des enseignants américains ou des travailleurs des plantations de thé sri-lankais, les sections du CIQI ont appelé à la formation de comités d’action.

L’alternative à la perspective nationale de «dialogue social» entre le patronat et les appareils syndicaux est la formation de réseaux internationaux de comités d’action. Le rôle des sections du CIQI dans ce processus sera d’expliquer que la seule façon de satisfaire durablement les revendications des travailleurs sera de transférer le pouvoir à ces organes de la classe ouvrière internationale. Ainsi la classe ouvrière pourra renouer avec ses traditions historiques de lutte pour le socialisme et contre le capitalisme.

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