50.000 manifestants défilent dans les rues de Los Angeles lors du premier jour de grève des enseignants

Dans une démonstration massive d’opposition sociale, plus de 50.000 enseignants, employés du secteur de l’éducation, parents et élèves ont défilé dans le centre-ville de Los Angeles lundi, lors du premier jour de grève des enseignants dans le deuxième plus grand district scolaire du pays. Cette grève de plus de 33.000 éducateurs – la première dans cette ville depuis 1989 – s’inscrit dans la vague grandissante de luttes de la classe ouvrière aux États-Unis et dans le monde contre l’austérité et les inégalités sociales.

Lundi matin, les enseignants et leurs partisans ont tenu des piquets de grève à plus de 900 écoles publiques du Los Angeles Unified Schools District (LAUSD), une vaste zone qui s’étend sur environ 2400 kilomètres carrés. Malgré une pluie torrentielle, les enseignants en grève ont été rejoints sur les lignes de piquetage par environ 10.000 parents, élèves et autres sympathisants dans la communauté.

La manifestation des enseignants au centre-ville de Los Angeles

Après le piquetage du matin, les enseignants et leurs partisans ont pris les trains de banlieue et se sont rendus à la gare de Grand Park, au centre-ville de Los Angeles. Des dizaines de milliers de personnes sont sorties de la gare et se sont rassemblées dans le parc et sur les marches de l’hôtel de ville. Tous se sont ensuite dirigés vers l’administration centrale du LAUSD, sur l’avenue Beaudry, la foule s’étendant dans un défilé d’un kilomètre de long.

Dans ses commentaires à la presse lundi, le surintendant du LAUSD, Austin Beutner, a affirmé de façon ridicule que seulement 3500 enseignants avaient défilé au centre-ville et que des substituts, engagés comme briseurs de grève, avaient permis la tenue d’une «journée d’école normale». Les reportages du Los Angeles Times mentionnent cependant des auditoriums presque vides où seule une poignée d’élèves sont restés assis tout au long de la journée.

La lutte dans le district de Los Angeles est une bataille contre les puissants intérêts financiers et politiques qui poussent à la privatisation de l’éducation publique aux États-Unis. Beutner, ancien banquier d’affaires, a été nommé par des représentants du conseil scolaire dont l’élection a été financée par la Eli Broad Foundation et d’autres milliardaires partisans de la privatisation des écoles.

La grève a obtenu un soutien populaire écrasant, avec des messages de solidarité provenant d’enseignants de toute la Californie, des États-Unis et d’ailleurs dans le monde. Comme leurs homologues de Los Angeles, les responsables scolaires du district d’Oakland prétendent qu’ils font face à l’insolvabilité en raison de leurs obligations en matière de soins de santé et de retraite. Pour cela, ils veulent fermer un tiers des écoles du district et favoriser la création d’écoles à charte. Trois mille enseignants, parents et élèves ont défilé samedi dans le district d’Oakland pour s’opposer à la privatisation, exiger de meilleurs salaires et un financement accru pour les écoles.

Loin de capitaliser sur ce puissant soutien, l’United Teachers Los Angeles (UTLA) et ses organisations mères que sont la National Education Association (NEA) et l’American Federation of Teachers (AFT), bloquent toute mobilisation plus vaste des éducateurs et autres travailleurs d’ailleurs dans l’État. Ils encouragent l’illusion que l’establishment du Parti démocrate, qui contrôle le gouvernement municipal comme celui de l’État, passera outre Beutner et répondra aux demandes des enseignants.

La campagne de Beutner pour l’expansion des écoles à charte à but lucratif et la privatisation jouit toutefois du plein appui des deux partis contrôlés par la grande entreprise. Cela a été souligné par les déclarations faites la veille de la grève. Le secrétaire à l’éducation du président Obama, Arne Duncan, est intervenu pour dénoncer les demandes des enseignants de Los Angeles en les qualifiant de déraisonnables.

Dans une déclaration sur la grève lundi, le gouverneur démocrate récemment investi Gavin Newsom, qui a été soutenu par l’UTLA et d’autres syndicats, a pour sa part clairement fait savoir qu’il n’avait aucune sympathie pour les revendications des enseignants et il s’est fait l’écho des déclarations intéressées de Beutner selon lesquelles les enseignants nuisaient aux élèves en faisant grève.

«Cette impasse perturbe la vie d’un trop grand nombre d’enfants et de leur famille, a déclaré Newsom. J’exhorte toutes les parties à retourner à la table des négociations et à trouver une solution immédiate qui permette aux enfants de retourner en classe et aux parents d’être rassurés.»

Dans son projet de budget, Newsom, dont la carrière politique a été financée par les familles de milliardaires Getty, Pritzker et Fisher, ne propose aucune augmentation des dépenses par élève, malgré le fait que l’État se classe 43e au pays. Au lieu de cela, il a déclaré qu’il suivrait le modèle «financièrement prudent» de son prédécesseur démocrate, Jerry Brown, qui a effectué des compressions parmi les plus profondes de l’histoire de l’État dans l’éducation publique.

L’UTLA exhorte les enseignants à faire confiance aux 700 millions de dollars que Newsom promet de donner aux districts scolaires au cours des deux prochaines années pour rembourser leurs obligations envers le California State Teachers’ Retirement System, ce qui pourrait libérer 140 millions de dollars que le LAUSD pourrait alors dépenser pour les enseignants et les classes.

Quand bien même cette maigre somme était dépensée pour les écoles – et il n’y a aucune raison de croire qu’elle le serait – cela ne résoudrait pas les immenses problèmes auxquels sont confrontés les enseignants de Los Angeles. Les enseignants n’ont pas connu d’augmentation réelle en dix ans, malgré des dépenses de logement et autres incroyablement élevées. Ils font face à des pénuries chroniques de personnel et de fournitures et à une campagne acharnée drainant leurs ressources pour financer les écoles à charte. Cette somme ne résoudrait pas non plus les problèmes sociaux catastrophiques auxquels sont confrontés les 650.000 élèves du district, dont 80% sont pauvres et à faible revenu.

Conscient que les enseignants sont déterminés à lutter contre la privatisation des écoles et l’aggravation des inégalités sociales, le président de l’UTLA, Alex Caputo-Pearl, lors d’une conférence de presse matinale, a dénoncé les «milliardaires privatiseurs» et appelé à une manifestation de masse devant la California Charter School Association mardi dernier, déclarant que l’assaut contre l’éducation publique venait de tous les paliers du gouvernement. Mais à aucun moment Caputo-Pearl n’a mentionné que c’est l’administration Obama et les gouvernements démocrates successifs de l’État de la Californie qui sont responsables de cet assaut.

Par ailleurs, l’UTLA a déjà abandonné les demandes des enseignants de s’opposer à l’expansion des écoles à charte, aux tests normalisés incessants et à d’autres programmes de «réforme scolaire», acceptant l’argument bidon selon lequel ces enjeux ne peuvent être négociés en vertu de la loi de l’État. Caputo-Pearl a réitéré que les enjeux de l’augmentation du financement public et de la privatisation des écoles ne pouvaient être résolus par une grève, mais seulement en appelant les démocrates à adopter une loi ayant du «bon sens» pour limiter l’expansion des écoles à charte.

Présentes également lors de cette conférence de presse du matin, Lily Eskelsen García, présidente de la NEA, et Randi Weingarten, présidente de l’AFT, ont exprimé de façon condescendante et vide de sens la «fierté» qu’elles éprouvaient à l’égard des enseignants de Los Angeles qui se tiennent debout. Les deux responsables syndicales ont promis de «soutenir» les enseignants de Los Angeles de la même façon qu’elles l’ont fait pour les enseignants en grève de Virginie-Occidentale, d’Oklahoma et d’Arizona l’an dernier.

Une telle déclaration doit être considérée comme un avertissement. La NEA et l’AFT, alliées du Parti démocrate, ont tout fait pour saboter ces débrayages qui s’étendaient à l’échelle de leurs États respectifs avant qu’ils ne puissent fusionner en une grève nationale contre les politiques d’austérité des deux partis contrôlés par la grande entreprise.

Weingarten (dont le salaire annuel est de 514.000 $US) et García (dont le salaire annuel est de 317.826 $US) ne se sont pas engagées non plus à verser de prestations de grève aux enseignants. Bien que l’AFT et la NEA contrôlent collectivement des milliards de dollars d’actifs et des billions de dollars d’investissements dans les régimes de retraite, leur affilié local, l’UTLA, a demandé aux enseignants d’encaisser les coûts et, au besoin de demander des prêts soutenus par le fonds de grève du syndicat.

Bien qu’il y ait un large soutien pour les enseignants parmi toutes les sections des travailleurs, le Service Employees International Union (SEIU) a demandé à ses membres, comprenant notamment les chauffeurs d’autobus scolaires, les concierges et les employés de cafétérias, de franchir les piquets de grève. L’UTLA a également dit à ses 1000 membres qui sont enseignants dans des écoles à charte de continuer à travailler.

Il est impossible pour les enseignants de Los Angeles de lutter seuls contre les puissantes forces corporatives et politiques qui s’élèvent contre eux.

Pour étendre la grève à la grandeur de l’État, les enseignants doivent retirer la conduite de la lutte d’entre les mains des syndicats en formant des comités de grève à la base pour rejoindre les enseignants de toute la Californie, de tout le pays et de l’étranger. Ces comités de base doivent présenter leurs propres revendications, comprenant une augmentation salariale de 30 % et la reconversion de toutes les écoles à charte en écoles publiques, en plus de superviser toutes les négociations.

Les enseignants doivent également faire appel au personnel de soutien et aux enseignants des écoles à charte pour qu’ils défient leurs syndicats et se joignent à la grève. Ils doivent également tendre la main aux autres sections des travailleurs – les fonctionnaires fédéraux en lock-out, les employés d’Amazon, de UPS et autres travailleurs de logistique, les travailleurs des raffineries de pétrole, les débardeurs, les travailleurs des télécommunications, de la technologie et de la fabrication – pour lancer une grève générale pour s’opposer à l’austérité et aux inégalités sociales.

(Article paru en anglais le 15 janvier 2019)

Loading