50ᵉ anniversaire de la fondation du SEP (Sri Lanka)

La lutte de la RCL/SEP contre la guerre civile anti-tamoule

Cet article est le cinquième d’une série d’articles publiés par le Parti socialiste pour l’égalité (SEP) au Sri Lanka pour marquer le 50ᵉ anniversaire de sa fondation en juin 1968.

Créée sous le nom de Ligue communiste révolutionnaire (RCL), la section sri-lankaise du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) a été rebaptisée Parti de l’égalité socialiste (SEP) en 1996. Une déclaration a déjà été publiée pour commémorer le congrès fondateur de la RCL les 16 et 17 juin 1968.

Ces articles élaborent les fondements de la RCL et tirent les leçons politiques essentielles de la lutte pour ces principes au cours des 50 dernières années. La RCL a été fondée sur le programme et la perspective de l’internationalisme socialiste que le parti Lanka Sama Samaja (LSSP), qui prétendait être un parti trotskyste, avait trahi en entrant au gouvernement bourgeois de Madame Sirima Bandaranaike en 1964.

La lutte pour la théorie de la révolution permanente de Trotsky, qui a établi que dans les pays au développement capitaliste tardif, seule la classe ouvrière est capable de mener la lutte pour les droits démocratiques et sociaux fondamentaux des ouvriers et des travailleurs ruraux dans le cadre de la lutte pour le socialisme international, a été au centre du travail du SEP. Ces leçons sont cruciales pour les luttes émergentes de la classe ouvrière, non seulement au Sri Lanka, mais partout en Asie et dans le monde.

Sur la base de la théorie de la révolution permanente, la Ligue communiste révolutionnaire (RCL) et son successeur, le Parti de l’égalité socialiste (SEP), se sont battus avec intransigeance pour défendre les droits démocratiques de la minorité tamoule de l’île contre la discrimination et la violence racistes de l’élite cinghalaise au pouvoir, et pour unir la classe ouvrière, cinghalaise, tamoule et musulmane, dans le cadre du socialisme international et pour le pouvoir des travailleurs.

La RCL-SEP a été la seule force qui s’est battue pour mobiliser la classe ouvrière contre près de trois décennies de guerre civile (1983-2009), provoquée et menée par la bourgeoisie sri-lankaise. Face à la répression de l’État et aux attaques violentes du JVP (Janatha Vimukthi Peramuna – chauviniste cinghalais), et des nationalistes-séparatistes tamouls du LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul), la RCL-SEP a lutté pour armer la classe ouvrière, en s’appuyant sur la compréhension que la guerre était dirigée non seulement contre les masses tamoules mais contre la classe ouvrière dans son ensemble – elle était une arme politique et idéologique pour inciter le communalisme, pour diviser la classe ouvrière, et pour élargir considérablement les pouvoirs de répression de l’État.

Tirant les leçons de la Révolution russe, de la lutte contre le régime colonial britannique en Asie du Sud et de toute l’expérience de la décolonisation de l’après-guerre, la RCL-SEP a fait une critique systématique de la politique petite-bourgeoise des LTTE. Elle a ainsi démontré que les droits démocratiques des Tamouls pouvaient être et seront garantis par l’ensemble de la classe ouvrière uniquement par la révolution socialiste et le renversement du système réactionnaire des États communautaires d’Asie du Sud.

La répression de la lutte anti-impérialiste, l’Etat sri-lankais et le chauvinisme anti-tamouls

La lutte contre le populisme cinghalais et contre l’adaptation éhontée à cette tendance par le LSSP pabliste, ainsi qu’en faveur de l’unité de classe de la classe ouvrière sur la base de l’internationalisme socialiste, ont été au cœur de la fondation de la RCL en 1968.

Lors de sa conférence de fondation, la RCL a mis en garde que la coalition – l’alliance entre la LSSP et le SLFP bourgeois, qui sera bientôt élargie pour inclure le Parti communiste stalinien du Sri Lanka (CPSL) – organisait une « campagne nationaliste » qui « préparait le terrain politique pour une dictature cinghalaise bouddhiste » au Sri Lanka.

En définissant les tâches révolutionnaires de la classe ouvrière, la RCL a relancé et développé l’analyse que le Parti bolchévique-léniniste de l’Inde avait faite en 1947-1948 du système réactionnaire d’État érigé en Asie du Sud par les seigneurs coloniaux britanniques du sous-continent avant leur départ, de concert avec diverses factions ethniques et définies par la communauté de la bourgeoisie autochtone.

Hostile à une union des masses sur la base d’un appel à leurs intérêts de classe dans une lutte commune contre l’impérialisme, contre les propriétaires terriens et contre l’exploitation capitaliste, et de toute façon organiquement incapable de lancer un tel mouvement, le Congrès national indien mené par la fraction Gandhi-Nehru a trahi son propre programme pour une Inde laïque et unie et, en 1947, il a réalisé la partition communautaire de l’Asie du Sud entre un Pakistan musulman et une Inde hindoue.

La bourgeoisie sri-lankaise était encore plus éhontée. Alors que l’Inde britannique était secouée par les luttes de masse contre la domination coloniale dans les années 1930 et 1940, elle s’accrocha aux structures de l’État colonial sous lesquelles Ceylan était gouvernée séparément du continent ; à la fois par espoir qu’elles lui fourniraient une base pour étendre ses propres privilèges et par crainte que la lutte anti-impérialiste sur le continent ne mette les masses en mouvement au Sri Lanka aussi.

À peine les Britanniques ont-ils cédé le contrôle politique de l’île à la bourgeoisie sri-lankaise que cette dernière a dépouillé les travailleurs des plantations tamouls – la partie la plus importante et la plus puissante de la classe ouvrière – de leur citoyenneté. Le prétexte de cet acte antidémocratique était qu’ils étaient des « étrangers », parce que leurs ancêtres avaient été amenés sur l’île depuis le sud de l’Inde pour servir de main-d’œuvre dans les plantations des colons britanniques.

Les trotskystes sri-lankais, en nette opposition avec l’élite politique tamoule, ont dénoncé l’attaque contre les droits des travailleurs des plantations tamouls. Ils ont mis en garde que la conception selon laquelle « l’État doit correspondre à la nation et la nation à la race » était fasciste. « Parmi la population ouvrière de ce pays, nous ne sommes pas prêts à faire la distinction entre les hommes sur la base de leurs origines raciales. Nous disons qu’un travailleur est d’abord et avant tout un travailleur, » déclaraient-ils.

Dans les décennies qui suivirent, la promotion du poison chauvin anti-tamouls devint de plus en plus vitale pour la bourgeoisie sri-lankaise en crise dans la défense de son pouvoir.

Dans le sillage de la grève générale de 1953, Bandaranaike, un homme politique bourgeois de premier plan qui avait quitté le gouvernement en 1951, et son Parti de la liberté du Sri Lanka (SLFP) a lancé une agitation chauvine exigeant un pays « Cinghalais exclusivement ». À cela s’ajoutaient des promesses populistes de réforme sociale et des dénonciations démagogiques du régime de droite du Parti national uni (UNP).

La LSSP s’est opposée à l’agitation pour un pays « Cinghalais exclusivement », mais elle s’est de plus en plus adaptée au SLFP et à son populisme cinghalais. Ainsi, lorsque Bandaranaike, arrivé au pouvoir en 1956, a fait du cinghalais la seule langue officielle du pays, la LSSP s’y est opposé non pas du point de vue de l’unité de classe de la classe ouvrière, mais au motif que les politiques du SLFP faisant passer en priorité les cinghalais mettraient en péril l’unité de l’État sri-lankais.

Plus la LSSP adoptait la conception nationale-réformiste selon laquelle le « socialisme » pouvait être réalisé en faisant pression sur le SLFP et que les réformes pourraient être mises en œuvre par l’État sri-lankais, plus elle cédait du terrain au SLFP sur la question des droits démocratiques de la minorité tamoule.

En 1964, la LSSP a rejoint le gouvernement populiste cinghalais du SLFP, sauvant le pouvoir capitaliste et trahissant un mouvement insurgé de la classe ouvrière. Plus tard dans l’année, il a entériné un accord indo-sri lankais qui a conduit à la déportation d’un demi-million de travailleurs des plantations tamouls et de membres de leur famille vers l’Inde.

La transformation de la LSSP en un pilier du pouvoir bourgeois a ouvert la porte à la montée du JVP petit-bourgeois, qui combinait de façon éclectique le stalinisme, le castrisme et le chauvinisme cinghalais. En même temps, son alliance contre-révolutionnaire avec le parti qui s’était fait le champion des « Cinghalais d’abord » a brisé la confiance des masses tamoules dans le fait qu’elles pouvaient compter sur la classe ouvrière sous une direction révolutionnaire socialiste, pour défendre leurs droits démocratiques. En fin de compte, cela allait mener à l’émergence de LTTE et d’autres groupes nationalistes-séparatistes tamouls parmi les jeunes étudiants de la péninsule de Jaffna.

La lutte de la RCL pour mobiliser la classe ouvrière dans la défense des masses tamoules

En mai 1970, moins de deux ans après la fondation de la RCL, un deuxième gouvernement de coalition entre le SLFP, le LSSP et le Parti communiste (CP) est arrivé au pouvoir.

Face à une classe ouvrière dont le militantisme était alimenté par la crise économique mondiale et une offensive ouvrière internationale, illustrée par la grève générale française de 1968, la coalition dirigée par le SLFP a immédiatement augmenté la pression communautariste.

Ce gouvernement a convoqué un simulacre d’assemblée constituante et, en 1972, il a fait adopter à toute vapeur une nouvelle constitution antidémocratique. Rédigée par le dirigeant de la LSSP, Colvin de Silva, la nouvelle constitution exaltait encore davantage le statut privilégié du cinghalais et intronisait le bouddhisme comme religion d’État. Elle a conduit à imposer des quotas d’admission à l’université pour les tamouls et à rendre le cinghalais obligatoire pour tous les employés de l’État.

Seule la RCL s’est battue pour mobiliser la classe ouvrière contre cette constitution chauvine, et pour cette raison elle a été attaquée. Lorsque les membres de la RCL à la tête du Syndicat des imprimeurs de la fonction publique ont obtenu l’adoption d’une résolution s’opposant à la nouvelle constitution, la LSSP a réagi par une chasse aux sorcières contre les cadres de la RCL.

Dès 1970, lorsque Colombo a envoyé des troupes dans le Nord et l’Est de l’île – où la majorité de la population est Tamoule – pour intimider les masses tamoules, la RCL a demandé le retrait immédiat des forces de sécurité. Il s’agirait là d’une revendication centrale de la RCL-SEP pendant toute la durée de la guerre civile et dans des conditions où des dizaines de milliers de soldats continuent d’y être déployés, elle le reste encore à ce jour.

La RCL est intervenue énergiquement auprès de la jeunesse tamoule radicalisée par les actions répressives de l’État. Conformément aux écrits de Lénine sur la question nationale, la RCL a soulevé en juin 1972 la revendication « négative » de l’autodétermination du peuple tamoul. C’était un moyen de souligner l’opposition implacable de la RCL à la suprématie cinghalaise et à l’État sri-lankais, et de dénoncer la bourgeoisie tamoule qui cherchait à exploiter la colère des masses tamoules contre l’atteinte à leurs droits pour inciter au nationalisme tamoul et poursuivre ainsi ses propres objectifs égoïstes de classe.

« Nous, marxistes », a déclaré la RCL, « reconnaissons le droit de la nation tamoule à l’autodétermination. Dans le même temps, nous soulignons que ce droit ne peut être conquis qu’en mobilisant les travailleurs cinghalais et tamouls pour l’établissement d’un gouvernement ouvrier et paysan fondé sur des politiques socialistes et reconnaissant ce droit. »

En 1977, un gouvernement ouvertement de droite du parti UNP, dirigé par J. R. Jayewardene, est arrivé au pouvoir en exploitant l’opposition massive à la coalition SLFP-LSSP-CP. Il avait prononcé des « phrases socialistes » tout en travaillant sans relâche pour placer le fardeau de la crise capitaliste sur le dos de la classe ouvrière et des masses rurales. Le régime de l’UNP a ouvert le Sri Lanka à l’exploitation sans entraves du capital mondial, a brisé la grève générale des travailleurs du secteur public de 1980 et a mis en avant le communautarisme cinghalais afin de canaliser dans une direction réactionnaire les tensions et la colère sociales croissantes.

La montée de l’opposition armée chez les jeunes Tamouls a servi de prétexte au gouvernement pour déployer l’armée dans le Nord et l’Est, faire adopter des lois antiterroristes draconiennes et inciter les foules à attaquer la minorité tamoule. En 1979, un cadre dirigeant de la RCL, R.P. Piyadasa, a été sauvagement assassiné par des voyous de l’UNP pour s’être opposé à l’agression du gouvernement contre la classe ouvrière et à la répression de la minorité tamoule.

En juillet 1983, le gouvernement de l’UNP s’est emparé d’une attaque des LTTE contre un convoi militaire pour lancer un horrible pogrom contre les tamouls à Colombo.

En raison de son opposition intransigeante à la campagne anti-tamouls du gouvernement et de son inlassable défense de l’unité de la classe ouvrière, la RCL était une cible privilégiée de la violence orchestrée par l’État. La maison de K. Ratnayake, rédacteur en chef du journal en cinghalais de la RCL, Kamkaru Mawatha, a été réduite en cendres. Des voyous du gouvernement ont également tenté de détruire l’imprimerie du parti.

Dans une déclaration de guerre, le gouvernement a fait adopter à toute vapeur le sixième amendement constitutionnel au début du mois d’août 1983, faisant de la création de l’Eelam tamoul, c’est-à-dire d’un État tamoul distinct, une infraction criminelle. Il a ensuite utilisé cette loi antidémocratique pour dépouiller tous les députés du Front de libération unie tamoul (TULF) de leur siège parlementaire.

La RCL a défié la censure de l’État et publié une longue déclaration intitulée « Réponse à la guerre raciste », qui accusait le gouvernement et les partis d’opposition d’inciter au pogrom et d’appeler la classe ouvrière à venir à la défense des Tamouls.

Avec l’île plongée dans la guerre civile, la RCL a redoublé sa lutte pour mobiliser la classe ouvrière en faveur du retrait immédiat et inconditionnel de toutes les forces de sécurité du Nord et de l’Est. En même temps, elle a systématiquement réfuté la propagande de guerre du gouvernement et montré comment la guerre – qui était soutenue par toutes les sections de l’élite politique de Colombo, y compris la LSSP et les staliniens – était utilisée pour attaquer les droits sociaux et démocratiques de toute la classe ouvrière.

La trahison de la Révolution permanente par le WRP

La lutte de la RCL pour rallier la classe ouvrière au programme de l’internationalisme socialiste, dans des conditions de réaction, de polarisation ethnique et communautaire, et finalement de guerre civile, fut énormément compliquée par la trahison du trotskysme par le WRP (Workers Revolutionnary Party) britannique. Le WRP, dans lequel le SLL s’était liquidée en 1973, succombait de plus en plus au nationalisme et à l’opportunisme comme en témoigne son abandon du programme de la Révolution permanente.

Répudiant les positions qu’ils avaient vaillamment défendues contre les Pablistes dans les années 1950 et 1960, Gerry Healy et les autres dirigeants expérimentés du WRP ont vanté la myriade de mouvements nationalistes bourgeois, dont l’Organisation de libération de la Palestine et la ZANU et la ZAPU du Zimbabwe, comme des instruments pour obtenir la libération nationale, et ont fait la publicité du président irakien Saddam Hussein, et du président libyen Muammar Khadafi, qui prétendaient combattre l’impérialisme. De plus, le WRP a abusé gratuitement de l’autorité politique qu’il avait acquise en raison du rôle de premier plan joué par la SLL dans l’opposition à l’opportunisme pabliste, pour imposer sa nouvelle ligne de droite aux autres sections du Comité international.

Dans le dos de leurs camarades de la RCL, les dirigeants du WRP ont établi des relations avec le LTTE, l’ont promu sans critique et l’ont aidé à fabriquer des vitrines « socialistes » pour son programme bourgeois séparatiste. En 1979, la Revue du travail du WRP publiait un article du théoricien des LTTE Anton Balasingham dans lequel il déformait les écrits de Lénine, le présentant comme un vulgaire représentant du nationalisme bourgeois et non comme l’implacable défenseur de l’internationalisme socialiste pour qui la question principale était toujours « l’autodétermination de la classe ouvrière ».

La RCL a lutté sans relâche pour fonder son opposition à la guerre et à la bourgeoisie sri-lankaise sur la lutte pour unir la classe ouvrière, cinghalaise et tamoule, afin de défendre ses intérêts de classe indépendants. C’est pour cette raison qu’elle a fait face à des tentatives de plus en plus flagrantes de la part du WRP pour la détruire, y compris une motion visant à expulser arbitrairement la RCL du CIQI. Le soutien non critique du WRP aux LTTE a affaibli la RCL, l’empêchant de soumettre la politique nationaliste bourgeoise du LTTE et des autres groupes armés tamouls à un examen systématique pour les démasquer.

En 1985, lorsqu’elle a appris la critique que la Ligue ouvrière (WL) américaine avait faite, à partir de 1982, du cours opportuniste du WRP, la RCL s’est rapidement ralliée au soutien de la majorité du CIQI dirigée par la WL.

Au centre de la scission de 1985-1986 avec le WRP se trouvait la défense de l’internationalisme socialiste et la théorie de la Révolution permanente comme fondement de toute politique de classe indépendante et de toute stratégie révolutionnaire à l’époque impérialiste. Par la suite, le CIQI et toutes ses sections intensifieront leurs efforts pour intégrer cette compréhension dans tous les aspects de leur travail.

L’Accord Inde-Sri Lanka de 1987

Une tâche politique majeure à laquelle la RCL a dû faire face immédiatement après la scission avec le WRP, et dans laquelle l’offensive renouvelée du CIQI pour l’internationalisme socialiste a trouvé une expression puissante et concrète, a été l’élaboration d’une réponse prolétarienne à l’Accord Inde-Sri Lanka de 1987.

Ce changement a stupéfié les groupes nationalistes tamouls, qui avaient uniformément fondé leur perspective séparatiste sur le soutien de la bourgeoisie indienne.

En vertu de l’Accord Inde-Sri Lanka de juillet 1987, initialement appuyé par tous les groupes tamouls, y compris les LTTE, les troupes indiennes ont été déployées sur l’île, apparemment pour maintenir la paix, mais en réalité pour réprimer les insurgés tamouls et assurer l’unité de l’État capitaliste sri-lankais.

La RCL a été la seule à s’opposer à l’Accord Inde – Sri Lanka du point de vue des intérêts de la classe ouvrière. À l’issue d’intenses discussions avec les dirigeants de la RCL, le CIQI a publié une déclaration détaillée intitulée « La situation au Sri Lanka et les tâches politiques de la RCL ».

Cette déclaration n’a pas seulement exposé les manœuvres sordides de Jayewardene et du Premier ministre indien Rajiv Gandhi. Elle expliquait la logique de classe qui se cachait derrière l’impasse sanglante dans laquelle les LTTE avaient conduit les masses tamoules. La « bourgeoisie d’une nation opprimée », explique la déclaration du CIQI, « conçoit l’autodétermination exclusivement dans l’optique de garantir ses propres privilèges nationaux et d’établir les meilleures conditions pour l’exploitation des travailleurs et des paysans dans le « pays indépendant"». Hantée par la crainte que la lutte de libération ne devienne une menace pour le pouvoir capitaliste, elle « place continuellement des limites à la mobilisation des masses opprimées » et poursuit une « voie d’exclusivisme national », la rendant « organiquement incapable d’atteindre l’universalisme » requis pour « libérer leurs nations de l’oppression impérialiste ».

La déclaration plaçait l’évaluation des événements au Sri Lanka dans le cadre d’un bilan historique plus large des États indépendants établis après la Seconde Guerre mondiale en Asie, en Afrique et au Moyen-Orient sous l’autorité de la bourgeoisie nationale. « Invariablement », expliquait-il, « la prétendue indépendance validée par les impérialistes a signifié la création d’États bâtards dont les fondements mêmes ont été construits sur un compromis fatal des principes démocratiques. Dans ce processus, la bourgeoisie nationale a fonctionné non pas comme le libérateur des masses opprimées, mais comme un partenaire minoritaire dans le pillage impérialiste. »

« C’est dans de telles conditions, avec l’approbation joyeuse de la bourgeoisie, que naissent les horreurs de la guerre entre communautés. Cet état de fait ne pourra être modifié tant que la domination bourgeoise prévaudra. L’histoire d’après l’indépendance de l’Inde, du Pakistan, du Sri Lanka, du Bangladesh, de la Birmanie – en fait, de tous les anciens pays coloniaux du monde – prouve de façon décisive que la bourgeoisie ne peut établir une véritable unification nationale et une indépendance politique. »

La déclaration du CIQI, tout en réaffirmant l’opposition implacable de la RCL à la guerre communautaire menée par Colombo, affirmait sans ambiguïté que les droits démocratiques des Tamouls ne pouvaient être réalisés que par la lutte unie de la classe ouvrière pour le socialisme. En opposition aux fractions sri-lankaise et tamoule de la bourgeoisie et à leurs nationalismes rivaux, elle a lancé un appel en faveur des États socialistes unis du Sri Lanka et de l’Eelam tamoul.

Malheureusement, c’était la dernière grande déclaration sur laquelle le camarade Keerthi Balasuriya, secrétaire général de la RCL depuis sa fondation en 1968, allait travailler. Sa mort d’une thrombose coronarienne en décembre 1987 a privé la classe ouvrière sri-lankaise et internationale d’un brillant stratège de la révolution socialiste mondiale. Il n’avait que 39 ans.

Sur la base de la ligne politique élaborée dans cette déclaration, la RCL a pu intervenir auprès de jeunes militants tamouls qui avaient été contraints de se réfugier en Europe. Les plus clairvoyants en ont tiré la conclusion que ce n’est que sur la base de la perspective du CIQI et d’une orientation vers la classe ouvrière internationale que l’oppression des Tamouls pourrait prendre fin. Ces forces se sont jointes au CIQI, renforçant son travail en Europe et en Asie du Sud.

La lutte continue de la RCL/SEP contre l’État sri-lankais, la suprématie cinghalaise et le nationalisme tamoul

Le LTTE avait entériné l’accord Inde-Sri Lanka, mais est rapidement entré en conflit avec les troupes indiennes envoyées pour le désarmer. Colombo, pour sa part, s’est emparé des combats dans le Nord pour répudier son propre soutien à l’accord, estimant qu’une nouvelle guerre civile lui permettrait de mettre fin aux concessions limitées que l’accord accordait à l’élite tamoule.

Les développements ultérieurs n’ont fait qu’exposer davantage la faillite politique du LTTE et son caractère anti-ouvrier. Dans le sillage de la restauration du capitalisme par les bureaucraties staliniennes dans l’ex-URSS et en Chine, le LTTE s’est rapidement débarrassés de toute prétention socialiste restante, dans le cadre de leurs efforts pour courtiser Washington, les autres puissances occidentales et la bourgeoisie indienne. Après 1991, le LTTE a embrassé la mondialisation capitaliste et cherché à établir des liens stratégiques avec Washington.

Cette orientation pro-impérialiste a été combinée à des attaques terroristes dans le sud du pays qui visaient délibérément les travailleurs cinghalais, intensifiant ainsi le communautarisme et renforçant politiquement la bourgeoisie basée sur le suprémacisme cinghalais. Dans les régions du nord et de l’est de l’île qu’ils contrôlaient, les LTTE ont impitoyablement réprimé la classe ouvrière et ranimé l’animosité communautaire contre les musulmans.

En raison de sa lutte pour armer politiquement la classe ouvrière d’un programme socialiste internationaliste visant à s’opposer à la guerre et à garantir les droits démocratiques des Tamouls, les LTTE se sont battus contre le SEP, le nouveau nom de la RCL depuis 1996. Au cours de l’été 1998, les LTTE ont détenu trois membres du SEP – Rajendran Sudarshan, Thirugnana Sambandan et Kasinhathan Naguleshwaran – en captivité pendant 50 jours, et un quatrième, Rasaratnam Rajavale, pendant 17 jours.

Leur libération sans dommage a été le résultat d’une campagne de défense menée par le SEP et Le Comité international de la Quatrième Internationale qui a rallié le soutien des travailleurs du monde entier, notamment de nombreux Tamouls de la diaspora en Europe, Amérique du Nord et Australie.

Au début des années 1990, le CIQI a entrepris un examen critique de l’attitude du mouvement marxiste à l’égard de la question nationale et en particulier de la revendication « du droit à l’autodétermination ». Cela s’inscrivait dans le cadre d’un remaniement de son programme, poussé par l’intensification de la contradiction entre le système des États-nations et l’économie mondiale engendrée par la mondialisation, l’adhésion des staliniens à la restauration capitaliste et la chute parallèle des syndicats.

Cet examen a mis en lumière plusieurs questions cruciales. Tout d’abord, en raison de sa déformation systématique par les staliniens, les opportunistes pablistes et d’autres, l’« autodétermination » en était venue à être assimilée populairement au soutien à la séparation et à la conception rétrograde et anti-marxiste selon laquelle la classe ouvrière est tenue de soutenir tout mouvement séparatiste bourgeois.

Deuxièmement, la répétition dogmatique du slogan « pour le droit des nations à l’autodétermination » ne saurait se substituer à une analyse historique, socio-économique et politique concrète des revendications nationales. L’échec manifeste de la bourgeoisie nationale dans les pays historiquement opprimés par l’impérialisme à résoudre les tâches démocratiques clés avait donné naissance à de nombreux mouvements séparatistes dans les « États indépendants » créés par la décolonisation en Asie et en Afrique. Ces mouvements cherchaient à exploiter les doléances des masses afin de diviser les États selon des lignes exclusives sur les plans ethnique, linguistique et religieux dans l’intérêt des exploiteurs locaux.

De même, dans les Balkans, alors qu’ils restauraient le capitalisme, diverses factions staliniennes, travaillant de concert avec Washington et Berlin, élevaient la bannière de « l’autodétermination nationale » pour s’assurer et accroître leur richesse et leur pouvoir. « Ces mouvements, explique le CIQI, n’ont rien à voir avec la lutte contre l’impérialisme et n’incarnent pas les aspirations démocratiques des masses opprimées. Ils servent à diviser la classe ouvrière et à détourner la lutte de classe en guerre ethno-communautaire ».

Troisièmement, la mondialisation de la production a fourni une base socio-économique à la prolifération de ces mouvements séparatistes nationaux en réduisant considérablement l’importance des marchés et de la production nationaux. Même les petits territoires avaient désormais la capacité de se connecter au marché mondial et de fournir potentiellement une base lucrative pour les opérations du capital mondial et de ses agents bourgeois locaux.

Ces développements n’ont pas fait disparaître l’urgence de la lutte contre l’oppression nationale. Ils n’ont fait qu’étayer davantage la perspective de la Quatrième Internationale selon laquelle, comme les autres tâches de la révolution démocratique en suspens, l’éradication de toute oppression nationale et l’instauration d’une véritable égalité entre les peuples et les nations ne sont possibles que par une révolution sociale menée par la classe ouvrière.

Dans le cadre de la réévaluation du CIQI, la RCL a conclu que le soutien au « droit à l’autodétermination du peuple tamoul » ne pouvait signifier, en termes politiques pratiques, qu’un soutien au projet national-séparatiste du LTTE et était donc dépourvu de tout contenu progressiste.

Dans le même temps, grâce à l’agitation continue de la RCL-SEP, face à la répression de l’État sri-lankais et à sa guerre, ainsi qu’au retrait de toutes les forces de sécurité du Nord et de l’Est de l’île, tout ce qui était véritablement progressiste dans la revendication d’autodétermination a été maintenu et exprimé positivement.

La RCL et les dernières étapes de la guerre civile : Des faux pourparlers de paix à une « guerre d’extermination ».

Au début de 2002, le LTTE a entamé des pourparlers de paix facilités par le gouvernement norvégien et soutenu par les États-Unis, la Grande-Bretagne et d’autres grandes puissances. Le LTTE l’a fait parce qu’il craignait l’intensification stratégique de son isolement dans des conditions où Washington avait envahi l’Afghanistan au nom d’une « guerre contre le terrorisme » mondiale. Il espérait aussi que ses offres de devenir garant de la stabilité capitaliste en Asie du Sud inciteraient les puissances impérialistes et New Delhi à faire des concessions à Colombo.

Les aspirations des LTTE à devenir un partenaire subalterne de l’exploitation impérialiste ont été incarnées par leurs prétentions incessantes qu’un Eelam tamoul indépendant deviendrait « une économie de tigre ». Il s’agissait d’une référence sans équivoque aux « Tigres asiatiques » (Singapour, Corée du Sud et Taïwan) qui, pendant des décennies, ont fourni au capital américain et japonais une main-d’œuvre bon marché, tout en supprimant brutalement la classe ouvrière sous des régimes autocratiques.

Cependant, l’Inde et les puissances impérialistes demeuraient fermement opposées à la création d’un État tamoul indépendant, calculant que cela irait à l’encontre de leurs intérêts en encourageant les insurrections séparatistes en Asie du Sud. Par conséquent, le LTTE a de nouveau changé de position. En septembre 2002, il a renoncé à l’objectif d’un État séparé, indiquant sa volonté d’accepter une part du pouvoir au sein d’un État capitaliste sri-lankais réorganisé et « fédéral ».

Le WSWS a expliqué dans un communiqué du comité de rédaction de septembre 2002 que, en abandonnant son propre programme pour mieux poursuivre les objectifs égoïstes de classe de la bourgeoisie tamoule, le LTTE rejoignait « la longue lignée des mouvements de libération nationale qui ont échangé leurs tenues de combat contre une carte d’entrée dans les administrations gouvernementales et les salles de conférence des entreprises ».

Le SEP s’est opposé aux pourparlers de paix, qui ont été salués par les partis de la pseudo-gauche, le NSSP et le Parti socialiste unifié, et une myriade d’ONG, mettant en garde qu’ils n’avaient rien à voir avec les aspirations démocratiques et les besoins sociaux des masses sri-lankaises, tamoules ou cinghalaises. Tout accord de partage du pouvoir serait une division du butin entre les factions bourgeoises rivales et viserait à renforcer le pouvoir capitaliste à travers l’île. De plus, a expliqué le SEP, dans les coulisses, l’élite cinghalaise au pouvoir se préparait fébrilement à la reprise de la guerre.

En 2006, après une série de provocations contre les masses tamoules et le LTTE, le président Mahinda Rajapakse et son gouvernement du SFLP ont repris la guerre totale avec le plein soutien des États-Unis, de l’Inde et des autres puissances impérialistes.

Le LTTE a réagi en intensifiant ses appels aux impérialistes et à la bourgeoisie indienne. À aucun moment, il n’a tenté de rallier les travailleurs et les travailleurs du Sri Lanka, de l’Inde et de la communauté internationale contre la guerre raciste.

Le SEP, quant à lui, redouble d’efforts pour mobiliser la classe ouvrière contre la guerre, que Colombo promeut désormais cyniquement comme faisant partie intégrante de la « guerre contre le terrorisme » de Bush. Dans un communiqué du 21 octobre 2006 accusant Colombo de sa brutale offensive militaire, la Commission politique du SEP a appelé la classe ouvrière à « lancer sa propre campagne politique indépendante pour rallier les ruraux pauvres, les jeunes et les classes moyennes afin de mettre un terme à la guerre et au système de profit, qui est la source du militarisme et du communalisme ».

La déclaration appelait les travailleurs du sous-continent indien, d’Asie et d’ailleurs à s’opposer à l’agression violente de Colombo et à soutenir leurs frères et sœurs de classe au Sri Lanka. « La base essentielle pour unifier la classe ouvrière contre la guerre et le capitalisme, insiste la déclaration, est l’opposition intransigeante à toutes les formes de nationalisme, de communalisme et de racisme, y compris la suprématie cinghalaise des politiciens de Colombo et le séparatisme tamoul des LTTE ».

La guerre s’est terminée en 2009 comme elle l’avait fait plus d’un quart de siècle auparavant. Seuls les crimes commis par la classe dirigeante sri-lankaise et son appareil d’État ont été beaucoup plus vastes et graves, des dizaines de milliers de civils ayant été tués dans un dernier bain de sang en avril-mai 2009.

Leçons essentielles pour aujourd’hui

La défaite du LTTE, comme l’a expliqué le SEP dans le document adopté lors de son congrès fondateur de 2011, n’était pas « principalement militaire, mais le produit de la faiblesse inhérente de leur perspective politique […] La seule force sociale dans la société capable de mener une lutte pour de véritables droits démocratiques contre la bourgeoisie sri-lankaise et ses partisans impérialistes est la classe ouvrière. Cependant, les LTTE ont toujours été organiquement opposés à toute orientation visant à unir les travailleurs – tamoul et cinghalais – sur une base de classe. »

Dix ans plus tard, aucun des problèmes sous-jacents qui ont mené à la guerre civile n’a trouvé de solution progressive. Les fameux « dividendes de la paix » de l’élite de Colombo se sont révélés être un canular cruel. Les forces de sécurité continuent d’occuper le Nord. La machine d’État militarisée et les lois répressives développées pendant la guerre restent intactes pour être utilisées contre une classe ouvrière de plus en plus rebelle.

Au lendemain de la guerre, la bourgeoisie tamoule est passée d’un soutien aux LTTE à un soutien à l’Alliance nationale tamoule (TNA), ouvertement proaméricaine, qui est devenue un pilier de l’establishment politique de Colombo. La TNA compte parmi les partisans les plus fervents de Washington au sein de l’élite sri-lankaise. Elle a joué un rôle important dans l’opération américaine de changement de régime qui a conduit à Rajapakse, que les États-Unis jugeaient trop proche de Pékin, étant remplacé en janvier 2015 par ses hommes de main de longue date Sirisena. En quête de la faveur de Washington et de la richesse et du pouvoir à Colombo, la TNA a effectivement mis de côté sa demande d’enquête sur les horribles crimes de guerre que l’État sri-lankais a infligés au peuple tamoul.

Dans les récentes luttes contre les mesures d’austérité approuvées par le FMI et approuvées par le gouvernement, les travailleurs cinghalais et tamouls se sont tenus côte à côte. Cette unité de classe instinctive doit être politiquement renforcée par le programme socialiste internationaliste qui a animé la lutte de la RCL-SEP au cours des cinq dernières décennies, y compris dans les conditions les plus difficiles de la guerre civile et de la répression étatique.

Aujourd’hui – dans les conditions de l’effondrement du capitalisme mondial, de la résurgence de la violence impérialiste et du passage de l’élite dirigeante capitaliste à la politique chauvine et nationaliste d’extrême droite – la lutte du RCL-SEP pour l’internationalisme socialiste et l’élaboration, basée sur la défense et le développement de la Révolution permanente, de la réponse révolutionnaire de la classe ouvrière à la « question nationale tamoule », pour assurer les droits démocratiques des masses tamoules, constitue des leçons stratégiques essentielles, non seulement pour les travailleurs et les jeunes du Sri Lanka, du Sud asiatique, mais dans le monde.

(Article paru d’abord en anglais le 28 décembre 2018)

À lire également (en anglais) :

The Historical and International Foundations of the Socialist Equality Party (Sri Lanka) (1ère partie)

[26 mars 2012]

The SEP and the fight for the Socialist United States of Sri Lanka and Eelam

[1ᵉʳ décembre 1998]

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