Le Canada intensifie sa campagne contre la Chine alors que les États-Unis menacent de s’en prendre à Huawei

Le gouvernement libéral du Canada et les médias institutionnels ont intensifié leurs dénonciations de la Chine avant le Forum économique mondial à Davos, en Suisse. La campagne, lancée avec l'arrestation le 1er décembre par les autorités canadiennes de Meng Wanzhou, directrice financière de Huawei, la plus grande entreprise technologique de Chine, vise à aligner pleinement l'élite dirigeante canadienne sur ligne de confrontation agressive de l'impérialisme américain envers Pékin, tant sur le plan économique que militaire.

Jeudi, la ministre des Affaires étrangères Chrystia Freeland a déclaré que la délégation canadienne à Davos soulèverait la question de deux Canadiens sous garde à vue chinoise avec d'autres participants et leur demanderait de s'exprimer publiquement contre Pékin. Elle fait référence à l'ancien diplomate Michael Kovrig et à l'homme d'affaires Michael Spavor, qui ont été détenus en Chine dans les jours qui ont suivi l'arrestation de Meng et accusés de mettre en danger la sécurité nationale.

Un troisième Canadien, Robert Schellenberg, qui a récemment été condamné à 15 ans de prison pour une infraction liée à la drogue, a vu sa peine être rapidement transformée en peine de mort, lundi dernier, dans ce que le gouvernement canadien qualifie de représailles supplémentaires pour l'arrestation de Meng. Le premier ministre Justin Trudeau et Freeland ont tous deux publié des déclarations appelant à la clémence pour Schellenberg, le premier ministre dénonçant l'application de la peine de mort comme «arbitraire».

Freeland s'est vanté que le Canada a déjà obtenu des déclarations publiques dénonçant la Chine, notamment des États-Unis, de la Grande-Bretagne, de l'Union européenne, de la France et de l'Allemagne. Pour sa part, la Chine a attaqué le Canada pour avoir internationalisé la question des trois Canadiens détenus et a exigé qu'Ottawa respecte la souveraineté des tribunaux chinois.

L'arrestation de Meng, survenue le jour même où le président américain Donald Trump rencontrait le président chinois Xi Jinping en marge du sommet du G-20 pour négocier une solution au conflit commercial entre les États-Unis et la Chine, était sans précédent dans son effronterie. Même l'ancien vice-premier ministre libéral John Manley a reconnu qu'il aurait peut-être été plus sage d'avertir discrètement Meng de ne pas traverser le Canada en avion afin d'échapper à l'extradition américaine. L'administration Trump, qui a instigué l'arrestation de Meng, demande son extradition pour de fausses accusations de fraude bancaire liées aux sanctions illégales de Washington contre l'Iran. Si elle est déportée et condamnée, Meng risque 30 ans de prison.

Le gouvernement canadien estime qu'il peut agir de façon aussi provocatrice parce que sa diabolisation de la Chine s'inscrit dans une offensive plus large contre Pékin menée par l'impérialisme américain. Jeudi, un reportage a révélé que les États-Unis envisagent d'inculper Huawei de vol de secrets commerciaux, ce qui marquerait une escalade majeure du conflit entre Washington et Pékin. Les autorités allemandes ont également indiqué que Berlin envisage d'interdire Huawei de son réseau 5G.

Ces mesures s'inscrivent dans le contexte de l'intensification de la volonté de Trump à isoler économiquement la Chine. Des droits de douane sur des importations chinoises d'une valeur de 200 milliards de dollars ont été imposés par Trump, ainsi qu'une interdiction pour les agences gouvernementales américaines de faire des affaires avec Huawei pour des raisons de sécurité nationale. Cela s'est accompagné de commentaires de partisans de la stratégie agressive de Trump appelant l'économie américaine à se «découpler» du commerce avec la Chine, une politique qui rappelle le protectionnisme des années 1930 qui a joué un rôle majeur dans la préparation de la Deuxième Guerre mondiale.

L'élite dirigeante américaine, soutenue par son allié canadien, est déterminée à empêcher la montée de la Chine comme rival économique, une montée qui remet en question l'hégémonie mondiale des États-Unis. Ce faisant, Washington ne s'appuie pas seulement sur des moyens économiques, mais il est plus que prêt à recourir à une guerre totale. En octobre dernier, le vice-président Mike Pence a prononcé un discours belliqueux dans lequel il s'est prononcé contre l'expansion chinoise et a juré que les États-Unis se préparaient à un conflit militaire direct avec la Chine – un conflit qui serait combattu avec des armes nucléaires.

Ayant été le partenaire militaire stratégique le plus proche de l'impérialisme américain pendant plus de sept décennies, l'impérialisme canadien joue un rôle clé dans ce programme agressif. Elle est intimement impliquée dans les opérations militaires américaines en Asie-Pacifique depuis le «pivot» de l'administration Obama en Asie. Cela comprend un accord secret avec l'armée américaine sur la gestion conjointe des ressources et le déploiement de navires et de personnel canadiens dans la mer de Chine méridionale et la péninsule coréenne, qui sont très instables. En 2017, le gouvernement libéral a également identifié la Chine comme une «menace mondiale» dans sa nouvelle politique de défense.

Cependant, des fractions des establishments américains et canadiens, dirigées par les chefs du renseignement militaire et les médias institutionnels, demeurent insatisfaites de du Canada, qui ne serait pas allé assez loin dans sa lutte contre Pékin. Soulignant le caractère bipartite de la campagne anti-Chine aux États-Unis, le sénateur Mark Warner, vice-président du Comité sénatorial du renseignement, et le sénateur républicain Marco Rubio ont tous deux affirmé que si le Canada ne bannissait pas Huawei de son réseau 5G, comme l'ont fait les États-Unis, l'Australie et la Nouvelle-Zélande, cela entrainerait une dégradation du partage du renseignement entre Washington et Ottawa.

Ward Elcock, ancien directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, le principal organisme d'espionnage du pays, a déclaré jeudi au Globe and Mail que de telles menaces des États-Unis doivent être prises au sérieux. Dans le même article du Globe, on pouvait lire que le directeur adjoint du renseignement au SCRS, Michael Peirce, avait lancé en octobre dernier un avertissement aux universités de recherche du Canada au sujet de la possibilité de faire affaire avec Huawei.

Pour certains, même l'interdiction de Huawei, qui coûterait des centaines de millions de dollars aux fournisseurs de services de télécommunications canadiens pour remplacer les équipements fabriqués par Huawei, n'irait pas assez loin. Dans le Toronto Star, le chroniqueur d'affaires David Olive a exhorté le gouvernement Trudeau à rompre les liens diplomatiques avec Pékin au sujet de leur détention de Kovrig et Spavor. «La Chine a besoin de savoir avec force que son traitement brutal continu de Canadiens leur coûtera cher», a écrit Olive. «C'est le moment de rompre les relations diplomatiques avec la Chine. Il convient également qu'Ottawa révoque son approbation du mégaprojet de 40 milliards de dollars de LNG Canada en Colombie-Britannique, à moins que la société d'État PetroChina ne renonce à sa participation dans le consortium.»

Dans le National Post néoconservateur, Kelly McParland a attaqué la Chine pour son attitude «grossière, menaçante et irascible».

La presse bourgeoise a exacerbé encore plus le conflit entre le Canada et la Chine depuis l'arrestation de Meng. Le National Post et le Globe ont tous deux explicitement salué sa détention comme une occasion de faire évoluer l'opinion publique sur la politique du Canada envers la Chine. Bien que d'importantes sections de l'élite dirigeante fassent pression depuis un certain temps pour un accord de libre-échange avec Pékin pour ouvrir de nouveaux marchés aux exportations canadiennes d'énergie et de matières premières, les derniers mois ont démontré que l'écrasante majorité de l'establishment soutient sans réserve la campagne provocatrice anti-Chine de Washington.

Incapable d'appeler la classe ouvrière internationale à s'opposer à l'assaut impérialiste contre la Chine, le régime de Pékin, qui représente les intérêts d'une riche oligarchie capitaliste, a réagi en promouvant le nationalisme réactionnaire. Lors d'une conférence de presse jeudi, l'ambassadeur de Chine au Canada, Lu Shaye, a promis que Pékin riposterait contre le Canada s'il interdisait Huawei. «J'espère que les fonctionnaires canadiens et les autorités et organismes compétents prendront une sage décision sur cette question», a déclaré Lu. «Mais si le gouvernement canadien interdit à Huawei de participer aux réseaux 5G, je pense qu’il y aura des répercussions.»

En réponse à l'appel du gouvernement Trudeau à la libération des Canadiens arrêtés, Lu a dénoncé le Canada pour «suprématie blanche» et «égoïsme occidental». Pékin a également émis un avertissement à l'intention des voyageurs chinois en visite au Canada.

(Article paru en anglais le 19 janvier 2019)

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