Alors que de plus en plus de travailleurs appellent à une lutte internationale

Les entreprises et les syndicats demandent une intervention fédérale contre la grève à Matamoros

Après douze jours de grève, des dizaines de milliers de travailleurs de Matamoros au Mexique, la plupart produisant de pièces détachées, continuent de paralyser près de la moitié des 110 usines « maquiladoras » de la ville.

La grève a provoqué des ondes de choc dans l'industrie automobile nord-américaine. Les travailleurs de Ford et de GM aux États-Unis signalent des pénuries de pièces détachées au WSWS Autoworkers Newsletter (Bulletin des travailleurs de l'automobile du WSWS) alors que les médias américains et internationaux censurent la grève.

Une partie du rassemblement de masse de mardi (crédit Cecilia Escalante)

Mardi, les entreprises ont envoyé des appels au président Andrés Manuel López Obrador (surnommé AMLO) pour qu'il intervienne directement et en la réprimant et en demandant aux travailleurs d'accepter un compromis pourri.

Le Conseil de coordination des entreprises (CCE), qui comprend les plus grands groupes patronaux du Mexique, a envoyé un communiqué à López Obrador disant: « En faisant appel à votre mandat et à votre autorité, nous vous demandons d'intervenir puisque ce moment d'instabilité que vivent les secteurs du travail et des affaires à Matamoros peut avoir des conséquences irréversibles sur l'économie régionale ». Sans vergogne, la déclaration admet que « les contrats comportent une clause liant directement leurs primes au salaire minimum » que les entreprises ont refusé de payer.

Peu de temps après, Juan Villafuerte, chef du syndicat principal, le SJOIIM, a « soutenu » cet appel. « C'est très, très, très, nécessaire maintenant, l'intervention du ministre du Travail ou du président lui-même... Les gens n'écouteront personne d'autre », a déclaré Villafuerte aux médias locaux.

Ces appels à l'intervention de l’État fédéral sont lancés alors que les ‘maquiladoras’ menacent de licencier les travailleurs et d’arrêter la production; de nombreux travailleurs signalent des licenciements massifs. La police et la marine ont été déployées pour intimider les grévistes. Lundi soir, un gréviste, Juan José, a été violemment attaqué par des voyous non identifiés alors qu'il rentrait chez lui après avoir participé à une manifestation de masse.

Juan Jose après l'attaque

Les grévistes ont réagi à ces actes de violence calculés avec une grande bravoure, en continuant d'assister à des assemblées de masse et en appelant à une plus grande unité et coordination entre les travailleurs pour leur protection et pour que la grève prenne de l'ampleur.

Dans le dos des travailleurs, les entreprises mènent des discussions secrètes avec les syndicats et les responsables gouvernementaux pour étouffer la grève. Les revendications des travailleurs pour une augmentation salariale de 20 % et une prime de $1700 ont été intégralement rejetées par les entreprises, même si les pertes dues à la grève ont dépassé de loin le coût de la prime et de l'augmentation demandées.

Mais en public, l'establishment politique a avancé l'avocate Susana Prieto Terrazas pour qu’elle demande aux travailleurs de maintenir leur lutte dans un cadre « acceptable ». La semaine dernière, Prieto a explicitement dit aux travailleurs de ne pas former leurs propres organisations indépendantes pour faire appel aux travailleurs à l’international: « Camarades travailleurs, vous devez tout d’abord faire pression sur le syndicat. Vous ne pouvez pas vous libérer de Villafuerte pour l'instant » a-t-elle déclaré.

Hier, elle s'est adressée à des milliers de travailleurs lors d'une nouvelle assemblée de masse sur la grand-place de Matamoros. Tout en feignant d'être solidaire des travailleurs et en critiquant les syndicats, Prieto a reproduit les arguments du syndicat et des entreprises et a insisté, disant « nous avons besoin du gouvernement fédéral ». Elle a affirmé que López Obrador défendrait les intérêts des travailleurs, citant son augmentation du salaire minimum de 4,5 dollars à 9 dollars par jour dans la région bordant les États-Unis.

Les travailleurs qui veulent savoir à quoi pourrait ressembler « l'intervention fédérale » à Matamoros doivent étudier l'exemple du massacre de 2016, dans l’État d’Oaxaca, par la police fédérale, d’enseignants qui faisaient grève pour défendre l'éducation publique à Nochixtlán. En 2014, des membres de l'armée mexicaine ont enlevé et fait « disparaître » 43 élèves qui protestaient contre les conditions scolaires à Iguala, dans l’État de Guerrero.

Comme le savent bien maintenant les travailleurs, l'augmentation par AMLO du salaire minimum était une couverture mise en place pour permettre aux entreprises de réduire les primes et autres avantages sociaux tout en violant les contrats stipulant des augmentations de salaire générales proportionnelles à l'augmentation de 100 pour cent du salaire minimum. De plus, le plan d'AMLO pour la région frontalière réduit l'impôt sur le chiffre d'affaires et l'impôt sur le revenu de 40 à 20 % et créera de nouvelles mesures incitatives pro-entreprises qui priveront davantage encore ces régions du financement nécessaire pour les soins de santé, l'éducation, les transports publics et autres services sociaux essentiels.

En tant qu'avocate, Prieto a des liens politiques étroits avec le Mouvement national de régénération (Morena) de López Obrador, le parti au pouvoir au niveau national. Selon un article paru le 20 août 2018 dans El Paso Inc. en langue anglaise, Prieto travaillait lors des élections de 2018 en étroite collaboration avec le candidat à la mairie de Ciudad Juárez, Javier González Mocken membre de Morena.

Dans un article du 6 juin 2018, 915 Noticias El Paso rapporte que Mocken s'est engagé à soutenir les propriétaires des maquiladoras, disant à INDEX-AMEC, une de leurs principales associations, que le gouvernement devait avoir « l'intelligence de faire des affaires avec les sociétés ». Il a dit à ces représentants patronaux: « Je vous demande de vous joindre à moi pour faire partie du gouvernement municipal si le résultat des élections est en notre faveur ». Selon l’article, l'un des thèmes abordés lors de cette réunion a été l’« atmosphère de travail » – un mot-code pour la réduction des salaires, des primes et des avantages sociaux pour assurer les bénéfices des entreprises.

Selon l’article d'El Paso Inc. publié après l'élection, Prieto était « derrière un effort pour organiser une marche dans le centre-ville de Juárez » pour soutenir la candidature de Mocken après avoir perdu une élection serrée.

Le maire de Matamoros, Mario López, qui est également membre de Morena, a participé à l'élaboration des coupes dans les primes des travailleurs et a récemment dénoncé les revendications d’augmentations des travailleurs.

De plus en plus d’ouvriers prennent conscience du mensonge selon lequel AMLO et Morena vont défendre leurs intérêts et qui s’oppose totalement à leur expérience dans la grève jusque-là; et si les travailleurs cèdent l'initiative au gouvernement, ils ouvriront la voie au désastre.

Comme l'a déclaré mardi au WSWS un travailleur anonyme du secteur équipementier en grève: « Tout est de la faute d'AMLO! C'est pour ça qu'il ne s'est pas mouillé pour nous. Et si c'est le cas, j'espère que ce conflit finira bien pour nous, les travailleurs qui sommes la classe que personne ne défend. »

Des voisins distribuent de la nourriture et des boissons aux grévistes sur la place centrale de Matamoros.

Toutes les propositions de soutien et d'aide de la part des politiciens ou des partis pro-capitalistes s'avéreront être des pièges pour les travailleurs. Les travailleurs ne peuvent mettre fin aux conditions abusives des ateliers de misère, aux salaires de misère, à la rareté des services sociaux et à une répression d’État policier qu'en luttant pour mobiliser leur force indépendante en tant que classe contre la source de l'exploitation, le système capitaliste.

Il est essentiel que les travailleurs continuent à développer leur lutte indépendante pour élire des représentants de la base, en opposition aux syndicats et à tous les partis capitalistes et leurs représentants, et pour former un nouveau comité de grève démocratique au niveau de la ville. Les travailleurs ne doivent pas laisser le contrôle de ces organisations tomber entre les mains de bureaucrates syndicaux, d'avocats liés à Morena ou d'agents du gouvernement fédéral.

Les travailleurs mexicains ont comme alliés leurs frères et sœurs de classe partout en Amérique du Nord et dans le monde. C'est à ces millions de personnes que les travailleurs doivent faire appel.

Un travailleur de GM à Detroit a exprimé ainsi son soutien aux travailleurs de Matamoros au WSWS Autoworker Newsletter: « Je suis fier d'eux, là-bas. Ils ont un impact. Cela aura un effet d'entraînement. Je me fiche de savoir si cela va bloquer tout le pays... Il faut bien que ça commence quelque part et c'est l'endroit parfait pour ça. Nous devons trouver une voie qui nous permette à tous de nous unir autour du monde, comme un seul ensemble.

Stephen Townsend, ancien travailleur de l'automobile chez International Harvester, a écrit une lettre ouverte à l'Iowa Quad-City Times pour soutenir la rébellion de Matamoros contre « les entreprises et les syndicats qui, comme ici, agissent comme une police des travailleurs » où il fait une déclaration bien nette: « Les travailleurs américains se sont vus offrir un choix. Accrochez-vous au nationalisme qui nous a menottés ou joignez-vous à nos frères et sœurs qui cherchent la justice partout. »

Nick, un travailleur de Fiat-Chrysler à Detroit et membre du comité directeur de la Coalition of Rank-and-File Committees (Coalition des comités de base), a invité les travailleurs de Matamoros, et de toute l'Amérique du Nord, à participer à une manifestation organisée par le comité au siège social de General Motors à Detroit contre les licenciements massifs et la fermeture annoncés de l'usine.

« Nous sommes aux côtés de nos courageux frères et sœurs de la classe ouvrière du Mexique », a déclaré Nick. « Nous organisons la manifestation du 9 février pour aider à surmonter les divisions et à nous unir en tant que main-d'œuvre mondiale dans notre cause commune contre l'exploitation, l'oppression et la tyrannie des sociétés automobiles et de leurs 'partenaires' syndicaux d’opposition contrôlée. Détruisons les séparations mensongères et l’illusion des frontières et unissons nous en une seule classe ouvrière afin de créer par nos efforts un monde meilleur. »

(Article original en anglais du 23 janvier 2019)

Loading