Perspective

Les pourparlers de paix en Afghanistan et la débâcle de la guerre contre le terrorisme

L’envoyé spécial du gouvernement Trump pour l’Afghanistan, Zalmay Khalilzad, a annoncé lundi la rédaction d’un «cadre» pour un accord de paix avec les talibans, contre lequel les troupes américaines se battent depuis plus de 17 ans.

Khalilzad a une longue expérience dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques criminelles américaines qui ont entraîné la mort de millions d’Afghans au cours des quatre dernières décennies, tout en faisant de millions d’autres réfugiés.

En 1979, il a été un proche collaborateur de Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale du gouvernement Carter, dans l’organisation de l’opération «Cyclone». C’était le nom de code de la guerre secrète orchestrée par la CIA, qui a fourni des milliards de dollars d’armes et de fonds pour soutenir les moudjahidin. C’était une collection de milices islamistes qui ont finalement donné naissance aux talibans et à Al Qaeda. Afin de tenter de renverser le gouvernement de Kaboul soutenu par l’Union soviétique, Brzezinski avait utilisé l’opération «Cyclone» pour obliger l’URSS à s’engager davantage en Afghanistan. Il avait caractérisé ce piège comme «le Vietnam» de l’URSS. Khalilzad a continué à travailler sous le gouvernement Reagan pour coordonner les politiques qui soutenaient cette opération sanglante.

Les Talibans ont mené une guerre civile brutale au cours de laquelle ils ont finalement établi leur contrôle sur la majeure partie du pays. Khalilzad a rejoint en tant que «consultant» le conglomérat énergétique Unocal – qui fait maintenant partie de Chevron – afin de mener les négociations avec le taliban sur un accord pour un gazoduc trans-Afghanistan.

En 1996, il a écrit une note de service où il a souligné le fait que: «les talibans ne pratiquent pas le fondamentalisme antiaméricain pratiqué par l’Iran. Nous devrions […] être prêts à offrir reconnaissance et aide humanitaire et à promouvoir la reconstruction économique internationale», c’est-à-dire à promouvoir des accords pour les grandes compagnies pétrolières.

En 2001, il a été l’un des architectes de l’invasion illégale du 7 octobre par les États-Unis pour renverser les talibans. L’invasion était justifiée au nom de la vengeance des attaques du 11 septembre contre New York et Washington. En dernière analyse, l’invasion de l’Afghanistan, comme la guerre criminelle contre l’Irak qui a débuté en 2003, n’était pas une affaire de terrorisme. Elle était plutôt une guère pour la domination militaire américaine sur la production du pétrole et du gaz des deux régions majors de la planète: le bassin Caspienne et le Moyen-Orient.

Khalilzad, un défenseur fiable de ces intérêts, a été nommé en décembre 2001 envoyé des États-Unis en Afghanistan. En tant que proconsul impérialiste, il a travaillé à Kaboul pour consolider le régime fantoche de Hamid Karzaï, un de ses anciens associés à l’Unocal.

Il va sans dire que Khalilzad n’est guère un apôtre fiable de la paix. Il reste à voir si les pourparlers qu’il a supervisés avec une délégation talibane de haut rang au Qatar aboutiront au retrait des 14.000 soldats américains en Afghanistan – ainsi que des 8.000 soldats d’un certain nombre d’autres pays.

Ce qui est incontestable, cependant, c’est que son annonce marque un changement dans la politique militariste et géostratégique américaine. Ce changement est lié d’une part à la débâcle de plus de 17 ans de «guerre contre le terrorisme» et à l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan – de loin la plus longue guerre des États-Unis. Mais, en même temps, il est lié à la préparation de la confrontation militaire avec la Chine, la Russie et les autres «grandes puissances» aux armes nucléaires.

Les grandes lignes du «cadre» discuté au Qatar impliqueraient un retrait de 18 mois des forces américaines. En échange les États-Unis reçoivent du taliban une garantie qu’il empêcherait le pays de «de devenir une plate-forme pour les groupes terroristes internationaux», a expliqué Khalilzad.

Une telle demande pourrait être encore plus justifiée pour Washington, qui a utilisé les milices liées à Al-Qaïda comme forces de substitution dans ses guerres pour le changement de régime en Libye et en Syrie et qui, selon certains témoignages, n’a pas hésité à promouvoir les activités de l’État islamique en Afghanistan comme contrepoids aux talibans.

Un haut responsable cité par le New York Times a rapporté la position américaine. À savoir: le retrait des troupes américaines n’aurait lieu qu’après que les talibans aient entamé des négociations avec le gouvernement soutenu par les États-Unis à Kaboul et accepté un cessez-le-feu.

Dans le passé, la direction du taliban avait rejeté de telles négociations avec le régime soutenu par les États-Unis. Il les considère comme une marionnette de l’occupation étrangère. Un point de vue confirmé par Khalilzad, qui tient les pourparlers au Qatar dans le dos de la cabale corrompue à Kaboul.

Qu’ont produit plus de 17 ans d’intervention directe des États-Unis en Afghanistan? Selon des estimations prudentes, 175.000 personnes sont mortes directement à la suite de la guerre, alors que si l’on tient compte des décès indirects, ce chiffre est probablement proche d’un million. Des millions d’autres ont dû abandonner chez eux.

La guerre s’est déroulée sous la forme d’une série interminable d’atrocités. Cela a commencé par un massacre où l’on a assassiné 800 prisonniers talibans en novembre 2001. Dans le dernier acte dans ce drame, l’Administration Trump a ordonné une escalade sauvage des bombardements américains. Lors de cette offensive, les avions et drones américains ont largué près de 6000 munitions sur des cibles en Afghanistan rien qu’au cours des dix premiers mois de cette dernière année.

Ce bilan a également fait près de 2300 morts parmi le personnel militaire américain ainsi que 1100 autres troupes étrangères et un grand nombre d’entrepreneurs privés. Les blessés et mutilés sont au moins dix fois plus nombreux. Beaucoup d’autres sont restés avec le syndrome de stress post-traumatique en raison de leur service dans une sale guerre coloniale, le taux de suicide chez les anciens combattants américains atteignant un niveau de 20 par jour.

En ce qui concerne le coût matériel, la guerre en Afghanistan a drainé, selon des estimations prudentes plus de 1000 milliards de dollars. De ressources qu’on pourrait utiliser en temps normal pour répondre aux besoins sociaux vitaux de la population américaine, des emplois et des conditions de vie décentes à l’éducation et aux soins médicaux.

La «guerre contre le terrorisme», lancée avec l’invasion de l’Afghanistan, a servi de prétexte à une attaque frontale contre les droits démocratiques. Ceci inclut: l’adoption de la loi «Patriote» de 2001; la prolifération de l’espionnage sauvage; «l’extradition extraordinaire»; la détention illimitée; et les tribunaux militaires associés à Guantanamo et aux sites noirs de la CIA où on pratique la torture, et où la seule justice est les tribunaux militaires; la militarisation des services policiers; et la persécution des musulmans et immigrants. Les gouvernements du monde entier ont suivi l’exemple des États-Unis, se préparant tous, comme Washington lui-même, à une confrontation avec leur ennemi le plus dangereux, la classe ouvrière.

Une guerre lancée dans le but d’affirmer la domination américaine d’une région riche en pétrole afin d’inverser le déclin de l’impérialisme américain par des moyens militaires n’a rien donné de ses objectifs initiaux. La monstruosité à deux têtes qui constitue le gouvernement afghan, l’un des plus corrompus au monde, est détestée et isolée, les talibans contrôlant plus de territoire qu’à tout autre moment depuis 2001.

Quant aux réserves stratégiques de pétrole et de gaz de l’Asie centrale, elles sont de plus en plus dominées par la Russie et la Chine.

Il ne fait guère de doute que l’impérialisme américain tentera de continuer à exercer son influence en Afghanistan. Les États-Unis continueront: que ce soit par des bombardements aériens; ils maintiendront de bases stratégiques comme celle de Bagram; ou bien ils déploieront de mercenaires privés. Les discussions sur le retrait des troupes sont plutôt liées à un changement de stratégie américaine vers un affrontement militaire avec la Russie et la Chine.

C’est ce qui ressort du document «Stratégie de sécurité nationale» dévoilé par le gouvernement Trump il y a un peu plus d’un an. Le nouvel axe de la stratégie globale américaine qui est celle de la «concurrence des grandes puissances» où il faut contrer des États dits «révisionnistes», comme la Russie et la Chine. Ce nouvel axe supplante la prétendue «guerre au terrorisme».

Dans l’establishment au pouvoir aux États-Unis aucune section ne s’oppose à la campagne en faveur d’une nouvelle guerre mondiale. Une opposition existe au sein du Parti démocrate. Elle reflète les vues l’appareil militaire et de renseignement. Mais cette opposition se fonde sur le récit totalement réactionnaire de la prétendue «collusion» de Trump avec la Russie. Elle met en cause son incapacité supposée à poursuivre avec une force suffisante les guerres américaines en cours, notamment en Syrie et en Afghanistan. En effet, dans un éditorial publié lundi par le Washington Post, l’hostilité à l’égard des négociations de Khalilzad avec les talibans était basée sur l’accusation que la guerre prendrait fin «selon les termes de l’ennemi», trahissant «l’ordre politique qu’ils [les forces américaines] ont passé 17 ans à défendre, à un prix énorme». Le fait que cet «ordre politique» pourri repose uniquement sur des baïonnettes étrangères n’est pas mentionné.

Le seul moyen de mettre fin aux «guerres sans fin» de l’impérialisme américain et de prévenir l’éclatement d’un cataclysme mondial réside dans la croissance de la lutte des classes aux États-Unis et dans le monde. Les conditions émergent rapidement pour la construction d’un mouvement politique de masse de la classe ouvrière, en opposition à la guerre impérialiste et à sa cause, le système capitaliste.

(Article paru d’abord en anglais le 29 janvier 2019)

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