L’Évaluation américaine des menaces mondiales vise la Chine

Dans un contexte d’escalade bipartite de la pression américaine sur la Chine, la «communauté du renseignement» américaine a publié mardi son « Evaluation annuelle des menaces mondiale » (Worldwide threat assessment), avant que les responsables du renseignement américain ne témoignent devant la commission sénatoriale du renseignement ce jour-là.

Alors que les médias de radiodiffusion se sont largement concentrés sur les différences entre l’évaluation fournie dans le document et les déclarations de la Maison-Blanche, l’évaluation de la menace reflète en réalité une escalade bipartite des efforts américains pour bloquer le développement économique, militaire et technologique de la Russie et de la Chine, avec une attention particulière pour la Chine.

La publication de ce document est intervenue le lendemain même de l’annonce par le ministère américain de la Justice d’une série de fausses accusations contre la société technologique chinoise Huawei, alléguant qu’elle avait conspiré pour aider à échapper aux sanctions américaines contre l’Iran et volé la technologie du transporteur américain T-Mobile.

La publication de ce rapportassorti des accusations portées contre Huawei a donné le ton aux négociations commerciales de la Maison-Blanche avec la Chine, dont l’issue jeudi n’a pas été concluante.

Dans un développement par rapport au document de l’an dernier, l’évaluation de la menace de cette année commence par une mise en garde contre un alignement croissant entre la Russie et la Chine, déclarant que les deux pays «sont plus alignés que jamais depuis le milieu des années 1950, et la relation est susceptible de se renforcer au cours de l’année à venir, car la compréhension en certains domaines des deux pays de leurs intérêts et des menaces dont ils sont l’objet convergent, notamment en ce qui concerne l’unilatéralisme et l’interventionnisme reconnus des États-Unis.»

Le rapport ajoute que, «en même temps, certains alliés et partenaires américains cherchent à obtenir une plus grande indépendance par rapport à Washington en réponse à leur perception de l’évolution des politiques américaines en matière de sécurité et de commerce et ils sont de plus en plus ouverts à de nouveaux partenariats bilatéraux et multilatéraux.»

L’évaluation déclare : «Pour 2019 et au-delà, les innovations qui favorisent la compétitivité militaire et économique proviendront de plus en plus de l’extérieur des États-Unis, à mesure que l’avance globale des États-Unis en science et technologie (S&T) se réduira, que l’écart de capacités entre les technologies commerciales et militaires s’évaporera et que les acteurs étrangers intensifieront leurs efforts pour acquérir les meilleurs talents, entreprises, données et propriétés intellectuelles par des moyens licites et illicites. De nombreux dirigeants étrangers, dont le président chinois Xi Jinping et le président russe Vladimir Poutine, considèrent que de solides capacités scientifiques et technologiques autochtones sont essentielles à la souveraineté, aux perspectives économiques et à la puissance nationale de leur pays.»

Le rapport souligne le rôle critique de la technologie de l’intelligence artificielle dans cette

«concurrence stratégique», déclarant que «la course mondiale au développement de l’intelligence artificielle (IA) – des systèmes qui imitent certains aspects de la cognition humaine – est susceptible d’accélérer le développement de systèmes d’IA hautement performants, spécifiques aux applications, ayant des implications pour la sécurité nationale.»

Le rapport continue : «La production et l’adoption à l’étranger de technologies de communication avancées, telles que les réseaux sans fil de cinquième génération (5G), mettront très probablement en péril la compétitivité et la sécurité des données aux États-Unis, tandis que les progrès de l’informatique quantique préfigurent les défis aux méthodes actuelles de protection des données et des transactions. Les données américaines circuleront de plus en plus à travers les équipements produits à l’étranger et les réseaux sous contrôle étranger, ce qui augmentera le risque d’accès étranger et de déni de service.»

Le rapport affirme que «la Chine et la Russie étendent leur coopération entre elles et par l’intermédiaire d’organismes internationaux afin d’élaborer des règles et des normes mondiales à leur avantage et font contrepoids aux États-Unis et à d’autres pays occidentaux.»

Les deux pays «présenteront aux États-Unis et à leurs alliés une grande variété de défis économiques, politiques, militaires, diplomatiques et de contre-espionnage. Nous prévoyons qu’ils collaboreront pour contrer les objectifs américains.»

Le rapport met en garde: «Nous estimons que les dirigeants chinois essaieront d’étendre la portée économique, politique et militaire mondiale du pays tout en utilisant les capacités militaires de la Chine et les investissements dans les infrastructures et l’énergie à l’étranger dans le cadre de la nouvelle route de la soie pour diminuer l’influence des États-Unis.»

Il avertit en outre que «la mise en œuvre réussie de la nouvelle route de la soie pourrait faciliter l’accès de l’Armée populaire de libération (APL) à des dizaines de ports et d’aéroports supplémentaires et accroître considérablement la pénétration de la Chine dans les économies et les systèmes politiques des pays participants.»

Commentant le document, le New York Times souligne sa correspondance avec l’accent mis par Trump sur la Chine. «Le rapport fait également une évaluation raisonnée de certaines des questions sur lesquelles M. Trump s’est concentré dans ses déclarations publiques […] La Chine vole des secrets commerciaux, espionne et étend sa portée militaire et économique. De la construction d’îles dans la mer de Chine méridionale à la collaboration plus étroite avec la Russie qu’à tout autre moment depuis le milieu des années 1950, la Chine a une « stratégie à long terme pour atteindre la supériorité mondiale."»

En réponse aux événements de cette semaine, la principale préoccupation du Washington Post était de louer la position belliqueuse de Trump à l’égard de la Chine, tout en veillant à ce qu’il ne renonce pas à son conflit avec elle en échange de concessions commerciales tactiques de Beijing.

«M. Trump est sur des bases beaucoup plus solides pour réclamer une refonte structurelle du système injuste de la Chine», écrit le Post. «De plus, il mérite d’être félicité dans la mesure où sa tactique de dur labeur a au moins forcé la Chine à discuter de ces questions.»

Mais il conclut: «Maintenant qu’une crise est arrivée, il ne faut pas la gaspiller. M. Trump et ses négociateurs ne doivent pas se contenter de moins qu’un début de changement structurel de bonne foi en Chine.»

Le rapport et la réponse qu’il provoque montrent clairement que l’élite dirigeante américaine a l’intention de réagir au déclin de son hégémonie militaire et économique mondiale en intensifiant son conflit économique, géopolitique et militaire avec la Russie et la Chine par tous les moyens à sa disposition.
Dans un avertissement inquiétant, les États-Unis et la Russie ont annoncé l’échec des pourparlers visant à empêcher les États-Unis de se retirer du traité FNI, ouvrant la voie à une nouvelle course mondiale aux armements nucléaires.

(Article paru en anglais le 1ᵉʳ février 2019)

Loading