La conspiration du silence de la pseudo-gauche américaine sur la rébellion des travailleurs de Matamoros

Cela fait trois semaines que 70 000 travailleurs de la maquiladora de Matamoros, au Mexique, ont entamé la grève vaillante et que les médias soi-disant «socialistes» aux États-Unis n’ont toujours pas écrit un seul article sur cet arrêt du travail.

Seul le World Socialiste Web Site a publié de nombreux reportages sur la grève et s'est battu pour mobiliser le soutien aux travailleurs mexicains aux États-Unis, au Canada et dans le monde.

Le magazine Jacobin, étroitement lié aux Socialistes démocrates américains (DSA), le Socialist Worker, publication de l'Organisation socialiste internationale (ISO) et Socialist Alternative sont tous impliqués dans une conspiration du silence à l’égard des dizaines de milliers de travailleurs mexicains très exploités qui mènent une lutte historique contre des entreprises américaines et canadiennes, encaissant des milliards de profits.

La pseudo-gauche est restée silencieuse alors que les voyous des entreprises tabassent les travailleurs, des centaines d’ouvriers ont été renvoyés et la police menace les travailleurs de violence.

Ces publications n'ont pas signalé le fait que les travailleurs ont réussi à ralentir la production à des milliers de kilomètres de là aux États-Unis et au Canada. Ils n’ont pas signalé que les grévistes, en débrayant, ont infligé aux entreprises des pertes journalières d’environ 40 à 50 millions de dollars et obtenu un très large soutien des travailleurs américains et canadiens du secteur automobile travaillant des conditions d’exploitation similaires, avec la collaboration des syndicats.

Le silence de la pseudo-gauche n'est pas le résultat de l'ignorance. Le WSWS a largement fait connaître le mouvement de grève en anglais en publiant 29 articles sur les grèves depuis le 15 janvier, soit environ 1,5 articles par jour.

Ce silence est plutôt un effort conscient visant à empêcher les travailleurs et les jeunes d’apprendre la vérité, parce que la vérité menace les intérêts matériels de la classe moyenne supérieure aisée au nom de laquelle la pseudo-gauche parle.

La grève de Matamoros a débuté comme une grève sauvage organisée en opposition aux syndicats mexicains. Les travailleurs ont manifesté en masse devant le siège du Syndicat des ouvriers de l'industrie des maquiladoras (SJOIIM) le 12 janvier. Outragés d’apprendre qu’ils n’allaient pas recevoir une augmentation de salaire ni prime annuelle, ils ont défié le dirigeant syndical Juan Villafuerte, en criant: «Nous ne voulons plus de notre syndicat» et «Vous ne faites que de nous voler».

Les syndicats de la maquiladora, comme leurs homologues du monde entier, sont détestés par les travailleurs, car les syndicats empochent 4 pour cent des rémunérations hebdomadaires des travailleurs et n’ont pas d’autre rôle que de servir de gendarmes pour maintenir la paix dans les usines. En organisant leurs débrayages en dehors du contrôle des syndicats, principalement par le biais des médias sociaux, les travailleurs de la maquiladora ont reconnu que seule leur force indépendante et unifiée leur permettait de réaliser leurs revendications. L’une des banderoles les plus populaires des grévistes lisait: «Le syndicat et les entreprises tuent la classe ouvrière».

Les travailleurs ont rapidement crée des comités d’usines indépendants et se sont déplacés d’une usine à l’autre pour informer leurs collègues de ce qui s’était passé. Vingt-quatre heures après la manifestation initiale, 70.000 travailleurs de 45 usines étaient en grève.

Les organisations de pseudo-gauches s'opposent aux travailleurs de Matamoros car elles soutiennent les syndicats et occupent de plus en plus de postes de premier plan dans l'appareil corrompu de ces derniers. Elles exigent que les travailleurs acceptent l'autorité de ces organisations de droite, nationalistes et pro-capitalistes, qui ont consacré leurs efforts au cours des quarante dernières années à réprimer la lutte de classe et à imposer la fermeture d'usines, de licenciements, de réductions de salaires et d'autres concessions, menant à un transfert record de richesse des 90 pour cent inférieur de la population aux 10 pour cent les plus riches.

Les groupes de pseudo-gauche soutiennent régulièrement toutes les trahisons des syndicats, notamment celle de la récente grève des enseignants de Los Angeles, les qualifiant de «victoires».

La rébellion des travailleurs de la maquiladora a complètement fait voler en éclat leur récit menteur. La grève a démontré que le pouvoir de la classe ouvrière ne peut être mobilisé que par une rébellion contre les syndicats. À Matamoros, les syndicats ont cherché à empêcher les travailleurs de se mettre en grève, puis les ont menacés de licenciement. Les travailleurs ont organisé leurs propres comités d'entreprise pour se battre – et gagner – une augmentation de salaire de 20 pour cent et une prime de 1700 dollars.

La pseudo-gauche a également salué le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) en tant que figure transformatrice et défenseur de la classe ouvrière mexicaine. Le jour de l'inauguration d'AMLO en décembre 2018, Jacobin a écrit qu'AMLO «représenterait le peuple». Il a salué la «représentation égale des femmes au sein du gouvernement et du Congrès».

Un article du 5 décembre de Socialist Worker indiquait que l'élection d'AMLO avait montré «des ouvertures démocratiques» et pouvait «améliorer les conditions économiques des travailleurs mexicains».

Ces mensonges perfides ont été pleinement démasqués à Matamoros. Dès le début, l'augmentation du salaire minimum d'AMLO était un stratagème visant à camoufler la création d'une nouvelle zone économique franche pro-patronat près de la frontière américaine.

Lorsque la vague de grève s'est déclenchée à la consternation de la classe dirigeante, AMLO et son parti, le Mouvement pour la régénération nationale (Morena), sont intervenus pour mettre fin au débrayage. Le 27 janvier, le chef Morena du Sénat a appelé la militante de Morena et juriste en droit de travail, Susana Prieto, et a ordonné qu’on mette fin à la grève «pour que l’économie de l’État et de la municipalité ne s’effondre pas». Une information de l’Associated Press du 1er février a fait état de dirigeants de Morena et AMLO lui-même cherchant à «décourager activement le syndicat de Matamoros de poursuivre la revendication de l'augmentation de salaire».

Le silence de la pseudo-gauche sur Matamoros révèle la faillite de son orientation nationaliste. Le DSA, l'ISO et l'Alternative socialiste promeuvent le «socialiste démocratique» Bernie Sanders, qui fait écho à la rhétorique anti-immigrés et au nationalisme économique de Trump et critique les travailleurs mexicains comme responsables des pertes d'emplois et des bas salaires aux États-Unis. Les grévistes de Matamoros, au contraire, ont directement sollicité le soutien des travailleurs américains et canadiens, et ont reçu une réponse conséquente.

La grève de Matamoros sape également l'agenda de la politique identitaire des organisations de pseudo-gauche, qui soutiennent que les questions sociales doivent être expliquées principalement à travers le prisme de l’ethnicité ou du genre. Les travailleurs de Matamoros, cependant, s'identifient comme une classe et exigent qu'ils soient tous traités sur un pied d'égalité, sans distinction de nationalité, de traits physiques ou d'orientation sexuelle.

À la base, le silence de la pseudo-gauche s'explique par sa position de classe. La DSA, l'ISO et l'Alternative socialiste représentent les intérêts des couches privilégiées de la classe moyenne, dont les dirigeants syndicaux, qui constituent les 10 pour cent les plus riches de la société américaine. Ces couches tirent de plus en plus leur richesse de la hausse du marché boursier, de l’exploitation de la classe ouvrière et de la position dominante du capitalisme américain.

Un phénomène comme Matamoros menace leur source de revenu et leur position sociale. Une rébellion des travailleurs contre les syndicats ferait cesser les rentrées de fonds provenant des cotisations syndicales, source essentielle de la richesse personnelle de milliers de dirigeants syndicaux. Une forte réduction des cotisations syndicales est une revendication explicite des grévistes de Matamoros!

Deux processus mondiaux opposés se heurtent à Matamoros.

D'une part, la classe ouvrière s'efforce de libérer son pouvoir social par une action indépendante en brisant la camisole de force imposée par les syndicats nationalistes. Son élan est vers l'unité internationale, alors que les travailleurs partout dans le monde reconnaissent de plus en plus que pour faire face aux entreprises internationales, il faut une stratégie internationale.

D'autre part, pour arrêter ce processus, la classe dirigeante s'appuie de plus en plus sur des soi-disant «populistes de gauche», c'est-à-dire des politiciens nationalistes et pro-capitalistes, ainsi que de la pseudo-gauche, pour détourner les troubles civils dans des voies sûres du système politique capitaliste. Par son silence malhonnête, la pseudo-gauche américaine manifeste son hostilité absolue à la lutte vitale de l'une des sections les plus opprimées de la classe ouvrière internationale.

Le Parti de l'égalité socialiste et le World Socialist Web Site appellent les travailleurs à constituer leurs propres comités de base élus démocratiquement, indépendants des syndicats, et d'assister et de soutenir le Manifestation du 9 février en opposition aux fermetures d'usines de General Motors. La manifestation vise à armer la lutte de classe croissante avec une perspective et un programme socialistes internationaux.

(Article paru en anglais le 4 février 2019)

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