Perspectives

La France rappelle son ambassadeur d’Italie

Hier, pour la première fois depuis la 2e Guerre mondiale, le Quai d’Orsay a rappelé l’ambassadeur français de Rome. Un prétexte immédiat était la réunion du vice-premier ministre italien Luigi di Maio le 5 février à Paris avec un groupe de «gilets jaunes». Mais le communiqué a démontré que des conflits internationaux bien plus larges avaient motivé cette décision:

«La France a fait, depuis plusieurs mois, l’objet d’accusations répétées, d’attaques sans fondement, de déclarations outrancières que chacun connaît et peut avoir à l’esprit. Cela n’a pas de précedent, depuis la fin de la guerre. Avoir des désaccords est une chose, instrumentaliser la relations à des fins électorales en est une autre. Les dernières ingérences constituent une provocation supplémentaire et inacceptable.»

Tout en proposant une «relation d’amitié et de respect réciproque» avec l’Italie, il ajoute: «Tous ces actes créent une situation grave qui interroge sur les intentions du gouvernement italien vis-à-vis de sa relation avec la France. À la lumière de cette situation sans précédent, le gouvernement français a décidé de rappeler l’ambassadeur de France en Italie pour des consultations.»

Ce rappel – un geste indiquant en général le danger d’un effondrement des relations diplomatiques, voire d’une guerre – met en évidence l’effondrement des relations au sein de l’Union européenne (UE) provoquée par l’incitation continuelle du militarisme et de la xénophobie par la bourgeoisie.

Les conflits entre Paris et Rome se sont envenimés alors qu’ils rivalisaient d’influence dans l’UE et qu’ils appuyaient des factions rivales dans le conflit déclenché en Libye par la guerre de l’OTAN en 2011. En 2017 Macron a nationalisé les chantiers navals pour empêcher l’italien Fincantieri de les racheter. Quand l’extrême-droite italienne a pris le pouvoir en 2018, Macron l’a traitée de «lèpre», tentant de se faire passer pour un représentant d’un axe Berlin-Paris éclairé et anti-néo-fasciste.

Plus récemment, Rome a violemment attaqué Macron. Après avoir organisé avec le régime brésilien fascisant de Jair Bolsonaro l’extradition de l’ancien gauchiste italien Cesare Battisti, qui a d’abord fui en France, le ministre de l’Intérieur italien Matteo Salvini a attaqué Paris à propos de la Libye le mois passé. «En Libye, la France n’a aucun intérêt à stabiliser la situation, probablement parce qu’elle a des intérêts pétroliers qui sont contraires à ceux de l’Italie», a-t-il déclaré.

Tout en construisant des camps de concentration pour les réfugiés en Libye, une ancienne colonie italienne, Rome attaque les guerres néocoloniales de Paris en Afrique. «Certains pays européens, la France en particulier, n’ont jamais cessé de coloniser l’Afrique», a déclaré di Maio en janvier. Il a dénoncé le franc CFA, aligné sur la monnaie française et utilisé dans les anciennes colonies françaises d’Afrique: «Il y a des dizaines de pays africains où la France imprime une monnaie, le franc des colonies, et avec cette monnaie elle finance la dette publique française».

Rome a aussi critiqué le coup américain au Venezuela, que Paris soutient. La presse française l’a mis sur le compte des sympathies de Rome pour la Russie et la Chine, les alliés du Venezuela.

Ce n’est pas pour rien que le Quai d’Orsay a cité la 2e Guerre mondiale en tant que référence pour comprendre la crise actuelle entre Paris et Rome. Aujourd’hui, plus d’un quart de siècle après sa fondation en 1992, l’UE n’a pu résoudre aucune des contradictions inter-impérialistes qui ont poussé l’Italie à attaquer la France le 10 juin 1940.

Les troupes italiennes et françaises se sont affrontées dans les Alpes alors que l’armée nazie écrasait l’armée française au nord. Après l’armistice entre Hitler et le dictateur collaborationniste Philippe Pétain, l’agriculture et l’industrie française ont été réorientées vers les besoins allemands et italiens, qui ont mené une guerre contre l’Union soviétique. Berlin et Rome ont occupé une part de l’empire colonial français au Maghreb, et Rome a pu occuper des portions du sud-est de la France.

La ressemblance en politique étrangère entre l’Europe fasciste du 20e siècle et l’actuel impérialisme européen est frappante. Après des décennies de guerres suite à la dissolution de l’Union soviétique par le Kremlin en 1991, les menaces de guerre contre la Russie et la Chine, la lutte pour dominer l’Europe et le pillage des pays ex-coloniaux atteignent un pic d’intensité extraordinaire.

En 2011, alors que le président Nicolas Sarkozy, Washington et Londres attaquaient la Libye, malgré l’opposition de Berlin et de forces significatives à Rome, le WSWS a souligné les conséquences inattendues qu’auraient les guerres impérialistes en Europe:

Le front commun de ce que l'ex-secrétaire à la défense américain, Rumsfeld, appelait la «vieille Europe» a éclaté. Cependant il n'est pas certain qu'Obama ait saisi toutes les implications de son soutien pour les projets de Sarkozy. En participant à une guerre à laquelle Berlin s'oppose, Washington renie sa politique, menée pendant des décennies de maintenir l'unité politique et militaire de l'Europe de l'Ouest. Cela aggrave les tensions sur un continent déjà perturbé par des conflits sur les politiques économiques. Comme au passé, l'Allemagne – par crainte que ses adversaires historiques ne l'emportent sur elle ou ne l'isolent – cherchera d'autres moyens de protéger ses intérêts. Une fois de plus, Washington a déclenché des événements qui auront des conséquences désastreuses.

Cette mise en garde s’est avérée juste. En 2014 Berlin a lancé la remilitarisation de sa politique étrangère, et en 2016 le Brexit et l’élection de Trump ont révélé la crise profonde de l’alliance atlantique. A présent, les puissances européennes dépensent des centaines de milliards d’euros sur leurs appareils militaires. Macron a dit l’année dernière que les pays européens doivent être prêts à combattre la Russie, la Chine ou les USA; mais ils se préparent aussi à se battre entre eux.

Alors que le Brexit se prépare en mars, l’UE sombre dans le chaos. Des divisions persistent à Berlin, la puissance hégémonique en Europe. Alors que la chancelière Angela Merkel s’est liée à Macron, les milieux dirigeants allemands et autrichiens ont aussi lancé des appels pour un «Axe» Berlin-Vienne-Rome, reprenant le nom de l’alliance entre Berlin et Rome pendant la 2e Guerre mondiale. Sous ces conditions, la décision soudaine de Macron hier de ne pas participer à la Conférence de sécurité de Munich le mois prochain est un signe supplémentaire de crise profonde.

Aucune des puissances impérialistes européennes n’a quoi que ce soit à offrir aux travailleurs, qui ne peuvent se laisser embrigader dans ces différents camps. Toutes représentent l’austérité sociale, le militarisme, et la défense de l’héritage du fascisme européen – des professeurs militaristes allemands qui tentent de réhabiliter Hitler, aux ministres italiens d’extrême-droite qui encensent Mussolini, en passant par Macron qui a déclaré son admiration pour Pétain.

La question critique est l’unification de la classe ouvrière européenne et internationale en lutte contre la guerre sur un programme révolutionnaire et socialiste. A la poussée des militaristes européens vers la guerre, le Comité international de la IVe International oppose la lutte pour les Etats-unis socialistes d’Europe.

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