L'Assemblée nationale française adopte la loi autoritaire «anticasseurs» contre les manifestations

L’Assemblée nationale française a voté à une écrasante majorité lundi pour approuver la loi «anticasseurs» du président Emmanuel Macron, sapant le droit de manifester et étendant encore plus les pouvoirs de la police.

Le premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé la loi pour la première fois en janvier en réponse aux protestations contre l’inégalité sociale par les «gilets jaunes». Elle marque une étape importante dans la transformation de la France en un État policier. La classe dirigeante française répond à la croissance de l’opposition sociale dans la classe ouvrière face à l’augmentation sans précédent des inégalités sociales en étendant ses pouvoirs de répression. Mais cela fait partie aussi des tournants similaires des gouvernements capitalistes en Europe et dans le monde: de la Hongrie, au Brésil, aux États-Unis et ailleurs.

Le projet de loi doit être approuvé par le Sénat, la chambre haute de la France, dans un délai d’un mois. Il stipule que:

Les préfets pourront interdire à toute personne d'assister à une manifestation publique pendant un mois. Tout ce qu'il faut, c'est que le gouvernement estime qu’«il existe des raisons sérieuses de penser que leur comportement constitue une menace particulièrement grave pour l'ordre public».

Toute personne à qui l'on interdit de manifester sera ajoutée à une liste de surveillance du gouvernement. Les ministres de l’Intérieur et de la Justice seront autorisés à «mettre en place un contrôle automatisé des informations personnelles, afin d’assurer la surveillance, au niveau national, des personnes interdites de participation aux manifestations publiques».

Sur l’ordre du procureur de la République, des policiers peuvent fouiller les sacs et les voitures de toute personne lors d’une manifestation ou dans «ses environs immédiats». Cela codifie en loi la pratique existante: la police fouille désormais régulièrement les voitures et les sacs des manifestants en «gilet jaune». Ils rechercheront tout objet qui, selon eux, pourrait servir d’«arme improvisée».

Cacher, «volontairement, totalement ou partiellement, son visage pour ne pas être identifié dans des circonstances qui feraient craindre une menace pour l’ordre public» sera désormais un délit. Le port d’un masque lors d’une manifestation était déjà passible d’une amende de 1.500 euros, mais ce plafond sera désormais porté à 15.000 euros et un an de prison.

L’interdiction de dissimuler «partiellement» son visage pouvait s’appliquer aux grandes lunettes de soleil et aux foulards. Les médias ont largement noté et commenté cet élément. Inclus également sont les masques respiratoires que certains ont pris l’habitude de porter lors des manifestations des «gilets jaunes» en prévision des agressions policières au gaz lacrymogène. Et cela comprend aussi les masques que portent les manifestants pour se protéger des balles en caoutchouc et des grenades assourdissantes tirées au visage et à la tête.

Le projet de loi stipulait à l’origine qu’il s’appliquait si la personne qui portait un masque facial le faisait dans le but de préparer un acte criminel. Mais un amendement a supprimé cette condition à la fin du mois dernier à l’Assemblée nationale, après que les députés ont déclaré qu’elle rendrait la loi «inapplicable». Au lieu de cela, la personne arrêtée devra désormais prouver qu’elle avait un «motif légitime» de se cacher le visage. Laurence Vichnievsky, du parti du Mouvement démocratique, qui a proposé l’amendement, a déclaré qu’il voulait «renverser le fardeau de la preuve» de l’État à l’accusé.

Les personnes bannies des manifestations pourront faire appel devant un juge administratif, mais les avocats cités dans les médias ont clairement indiqué que de tels appels sont pratiquement impossibles à mener pour un citoyen ordinaire. Bien que le gouvernement soit tenu de donner un préavis de 48 heures à toute personne exclue d’une manifestation, cela ne s’applique pas s’il est incapable de joindre la personne.

Personne ne croit les affirmations absurdes du gouvernement selon lesquelles ces changements sont dirigés contre les «casseurs». Le ministre de l’Intérieur Christopher Castaner a écrit dimanche soir sur Facebook qu’«Entre les insinuations, les approximations et les contre-vérités, des craintes et des doutes sont nés.». La loi visait à «protéger les manifestations», car «trop souvent, quelques brutes mettent en péril notre droit à manifester».

Castaner a fait référence aux plus de 1.200 manifestants blessés depuis le début des manifestations des «gilets jaunes» il y a 12 semaines. Ce que Castaner n’a pas ajouté est que c’est les agressions de la police antiémeute qui causent la majorité de ces blessures. La police attaque les manifestants avec des matraques et des grenades lacrymogènes. Les policiers tirent des grenades qui arrachent les mains des travailleurs quand ils explosent. Ils tirent également des balles à caoutchouc et d’autres projectiles. Déjà plus de 20 personnes ont perdu un œil en recevant un projectile au visage.

Quoi qu’il en soit, la députée Alice Thourot n’a même pas utilisé ce prétexte. Elle a déclaré au Figaro, le 31 janvier dernier, que «Les Français ne comprennent pas que l'on puisse retrouver dans les manifestations des individus qui viennent de groupuscules d'extrême-droite ou d'extrême-gauche que l'on connaît déjà, qui se rendent systématiquement coupables de violences.» Cela montre clairement que la loi vise en fin de compte à criminaliser l’opposition de gauche.

Le projet de loi a été voté par 392 voix pour et 92 contre. Le Parti socialiste (PS), la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon et le Rassemblement national néo-fasciste de Marine Le Pen ont voté contre. Tous ces partis soutiennent l’édification de l’État contre la classe ouvrière et ont voté contre le projet de loi uniquement parce que leurs votes n’étaient pas nécessaires pour assurer son adoption.

Le parti de Le Pen, les descendants du régime fasciste de Vichy, se présente comme défenseur de «libertés individuelles» contre cette loi de Macron. Ce n’est qu’une preuve supplémentaire que la capacité de l’extrême droite à gagner la moindre audience populaire dépend uniquement de la politique autoritaire et proaustérité des partis capitalistes prétendument plus modérés.

Les votes «non» de la France insoumise et du PS ne sont pas moins cyniques. En novembre 2015, le gouvernement du Parti socialiste de François Hollande a imposé l’état d’urgence, suspendant les droits démocratiques fondamentaux et dotant la police de vastes pouvoirs, sous prétexte des attentats terroristes de Paris. Le parti de Mélenchon a soutenu l’imposition de l’état d’urgence, que le parlement a prolongé à plusieurs reprises pendant deux ans et a utilisé à plusieurs reprises contre les manifestations des travailleurs et des étudiants.

Aucune fraction de l’establishment politique ne défend les droits démocratiques. Ceci s’étend à toutes les fédérations syndicales qui n’ont organisé aucune opposition à la loi «anticasseurs». Les syndicats reçoivent plus de 90 % de leur financement de l’État et des employeurs et jouent le rôle qu’on attend d’eux en tant que force de police industrielle pour les entreprises. Ils sont, depuis le début, explicitement hostiles aux manifestations des «gilets jaunes». Laurent Berger, président de la CFDT, la plus grande fédération syndicale française, a appelé à plusieurs reprises à des mesures gouvernementales plus sévères contre les manifestants «violents».

N’ayant pas réussi à mettre fin aux manifestations par la répression de l’État, les syndicats se sont tournés vers des appels à «fusionner» les manifestations des «gilets jaunes» avec les syndicats. Ils ont alors convoqué une «journée d’action» nationale le mardi, afin de prendre le contrôle des manifestations et de les étrangler.

Les nouvelles lois – venant après la récente visite de Macron en Égypte pour se solidariser avec le dictateur Abdel Fatah al-Sissi, et son salut au maréchal Pétain, le dictateur de Vichy, comme «un grand soldat» – soulignent les graves dangers auxquels la classe ouvrière est confrontée en France et dans le monde. La classe dirigeante, confrontée à un effondrement économique de plus en plus profond du système capitaliste, répond au mouvement croissant des travailleurs et des jeunes contre la guerre et la pauvreté en créant un État policier.

(Article paru en anglais le 7 février 2019)

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