Des milliers de personnes assistent à une manifestation anticatalane de droite à Madrid

Manuel Valls, l’ancien premier ministre français de François Hollande y a participé à côté des fascistes

Dimanche, des dizaines de milliers de personnes ont participé à une manifestation organisée par les principaux partis de droite espagnols sur la Plaza de Colón de Madrid. Le Parti Populaire (PP), les Citoyens (Cuidadanos) et le parti d'extrême droite Vox avaient affrété des centaines de bus pour amener des partisans de droite de toute l'Espagne, appelant à «dégager» le Premier ministre social-démocrate Pedro Sánchez pour ses entretiens avec les nationalistes catalans.

Entre 20 000 et 45 000 personnes ont assisté à la manifestation et ont écouté les discours des politiciens de droite. Des groupes comme le Hogar Social (foyer social) néonazi, la Falange espagnole, España 2000 et le principal syndicat de police d'Espagne, le Syndicat uni des policiers, y ont également participé. Le rôle de cette dernière organisation souligne le rôle crucial de la machine d'État dans la promotion de la protestation et de la montée générale de l'agitation néo-fasciste et anticatalane.

La manifestation a eu lieu quelques jours avant que 12 dirigeants sécessionnistes catalans ne soient jugés lundi et risquent jusqu'à 25 ans de prison pour rébellion et détournement de fonds publics pour avoir organisé le référendum sur l’indépendance catalane de 2017. Cependant, le gouvernement minoritaire du Parti socialiste espagnol (PSOE) de Sánchez compte sur Podemos et le soutien des nationalistes catalans au parlement pour tenter d'adopter son budget cette semaine.

Plus tôt dans la semaine, le PP et Ciudadanos soutenus par les médias de droite ont commencé à faire campagne en faveur de la manifestation et, comme les sondages le montrent, le PP et Ciudadanos sont bien placés pour les élections si elles ont lieu pour potentiellement faire tomber le gouvernement PSOE sur la question du budget. Le chef du PP Pablo Casado a accusé Sánchez de «haute trahison» pour avoir discuté du budget avec des séparatistes catalans. Il a dit que Sánchez «commet un acte criminel, c'est un criminel[agissant] contre la continuité démocratique même de la démocratie espagnole», comparant Sánchez à un trafiquant de drogue.

Le chef de Ciudadanos Albert Rivera a appelé à «défendre la Constitution au-delà des idéologies ou des acronymes». Il a ajouté: «Nous devons stopper Sánchez dans les rues.»

Le prétexte de la protestation était la décision du gouvernement du PSOE d'inclure un «médiateur» dans les pourparlers multipartites prévus en vue de créer un dialogue avec les nationalistes catalans. La décision du PSOE s'inscrivait dans le cadre de sa tentative d'obtenir l'appui des nationalistes lors du vote du budget à venir, après que les législateurs indépendantistes ont annoncé plus tôt cette semaine qu'ils pouvaient bloquer le budget espagnol pour 2019. Le «médiateur» était une revendication de longue date des nationalistes catalans.

Peu après, Casado a déclaré à l'agence de presse espagnole EFE que la nomination d'un médiateur était l'«événement le plus grave» en Espagne depuis la tentative de coup d'Etat ratée du 23 février 1981, lorsque plus de 200 gardes civils armés de mitraillettes ont retenu le parlement et le cabinet pendant 18 heures. Casado a qualifié Sanchez du «plus grand traître à la continuité historique de la démocratie espagnole» et de «criminel», tout en qualifiant son gouvernement d'illégitime.

Les commentaires de Casado ont incité la ministre des Finances du PSOE, María Jesús Montero, à déclarer que son langage «rappelait la guerre civile[espagnole]».

Cependant, certains politiciens du PSOE ont également attaqué Sánchez sur cette question. Le Premier ministre régional de Castilla-La Mancha Emiliano García-Page a déclaré que Sánchez doit «jouer son rôle, en défendant la Constitution», tandis que le Premier ministre régional d'Aragon Javier Lambán a déclaré «l'approbation d'un budget ne justifie pas des concessions qui remettent en question la Constitution, l'unité de l'Espagne, l'État de droit ou la décence.»

La tenue d'une telle manifestation d'extrême droite en Espagne, qui avait, de mémoire d'homme, encore un gouvernement fasciste il y a à peine quarante ans, est un avertissement pour la classe ouvrière. Les partis de droite et les partis néo-fascistes n'ont pas de soutien massif et dépendent du soutien direct de la machine d’État. Cependant, les événements confirment l'évaluation faite par le World Socialist Web Site qui affirmait que l'élite dirigeante espagnole s'empare du référendum catalan de 2017 pour restructurer radicalement la vie politique et s'orienter vers des formes autoritaires de gouvernement.

Tous les grands partis capitalistes espagnols craignent l'opposition croissante et les grèves dans la classe ouvrière et chez les jeunes, au niveau international et en Europe. Alors que le mouvement «gilet jaune» de la classe ouvrière met à genoux le gouvernement du président Emmanuel Macron en France voisine et que des centaines de milliers de personnes protestent contre le gouvernement d'extrême droite en Italie, les mouvements de grève de la classe ouvrière espagnole sont en plein essor.

Rien qu'en janvier, selon la fédération des entreprises espagnoles (CEOE) il y a eu 49 grèves, qui ont causé 2,9 millions d'heures de travail perdues. Selon les calculs de la CEOE, par rapport au même mois l'année dernière, le nombre de travailleurs participant à des grèves a augmenté de

622 pour cent et le nombre d'heures perdues par les grèves a augmenté de 575 pour cent. Cela était dû en grande partie à une grève des taxis à l'échelle nationale.

Aucune organisation politique en Espagne ne parle au nom de l'opposition croissante au gouvernement du PSOE dans la classe ouvrière. Ce qui prédomine dans ce qui passe pour la «gauche», ce sont les politiques de pseudo-gauche de Podemos et de ses divers alliés petits-bourgeois, et les partis nationalistes catalans et basques. Ce sont cependant des partis d'État largement orientés vers le PSOE, et tous craignent l'opposition sociale croissante dans la classe ouvrière bien plus qu'ils ne craignent l'influence croissante des forces d'extrême droite et autoritaires.

Ces forces, tout comme le PSOE lui-même au sein du gouvernement, s'adaptent et aident à superviser le mouvement vers l'austérité et un régime d'Etat policier. Hier, Sánchez a dit qu'il «respectait» la manifestation mais a exigé «la loyauté» de la part du PP et de Ciudadanos. Sánchez a ensuite rappelé que le PSOE a loyalement soutenu le gouvernement PP de Mariano Rajoy lorsqu'il a envoyé la police paramilitaire contre le référendum sur l'indépendance catalane-pour démolir les bureaux de vote, suspendre l'autonomie catalane et emprisonner les politiciens catalans comme prisonniers politiques pour sédition et rébellion.

Avant la manifestation, la vice-première ministre Carmen Calvo avait tenté de calmer la droite en prétendant sans conviction que ce que le PSOE appelle un «rapporteur» n'est «pas un médiateur». Elle a ajouté que la personne serait «quelqu'un qui peut prendre des notes, qui peut nous appeler aux réunions, qui peut coordonner».

Vendredi, le gouvernement du PSOE a annoncé qu'il faisait marche arrière. Calvo a déclaré que les pourparlers avec les partis séparatistes catalans sur le budget étaient terminés et que Madrid ne ferait plus de propositions. «Ce gouvernement a pris la ferme décision de construire autant de ponts que possible, mais pour l'instant, le cadre que nous avons créé n'est pas accepté par les partis indépendantistes», a déclaré M. Calvo.

«Sans budget, le mandat politique est raccourci», a-t-elle ajouté, avertissant que si, mercredi, les nationalistes catalans opposaient leur veto au budget au parlement, cela pourrait déclencher des élections anticipées.

Podemos n'a fait qu'enhardir la droite. Il a été l'architecte principal de l'installation du PSOE au gouvernement l'année dernière, s'adaptant aux menaces continues de Sánchez contre les nationalistes catalans. Aujourd'hui, alors que le PSOE débat de l'opportunité d'organiser des élections anticipées, Podemos s'accroche désespérément à son accord budgétaire avec le PSOE, pour montrer selon le journal digital Público, qu'il peut «influencer le PSOE vers la gauche».

Les événements révèlent une fois de plus la faillite des nationalistes catalans, qui ont également contribué à l'installation du gouvernement minoritaire du PSOE.

Le président catalan Quim Torra a demandé dimanche à Sánchez de «reconsidérer» le dialogue avec les nationalistes catalans. «Nous l'attendons à la table des négociations», a proposé Torra.
Les nationalistes catalans n'auraient menacé d'opposer leur veto au budget que pour tenter de renforcer leur position de négociation et ne s'attendaient pas à ce que le PSOE rompe les négociations. Le quotidien La Vanguardia note que les nationalistes catalans «ont calculé qu'il y avait du temps jusqu'à lundi ou mardi pour continuer à négocier, puisque le budget est mercredi». Il semble maintenant que le PSOE mise sur la survie de son gouvernement pour tenter d'obliger les nationalistes catalans à soutenir son budget d'austérité alors même que le PSOE continue à emprisonner les prisonniers politiques nationalistes catalans.

(Article paru en anglais le 11 février 2019)

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