La présidence de Trump: de la pègre de Manhattan à la Maison Blanche

«L’aristocratie financière, dans son mode de gain comme dans ses jouissances, n’est pas autre chose que la résurrection du lumpenprolétariat dans les sommets de la société bourgeoise» – Karl Marx, Les luttes de classes en France 1848-1850.

Ce que Marx a décrit, dans son analyse de la corruption de la bourgeoisie en France menant à la révolution de 1848, s’applique encore plus aux États-Unis en 2019, où la bourgeoisie doit faire face à son propre rendez-vous avec des bouleversements sociaux et des luttes de classes explosives.

C’est ainsi qu’un marxiste comprend le spectacle de l’audience de mercredi devant la commission de surveillance de la Chambre des représentants, dans laquelle Michael Cohen, ancien avocat et «homme à tout faire» de Donald Trump pendant plus d’une décennie, a témoigné pendant six heures sur la manière dont lui et son patron ont travaillé pour escroquer les partenaires d’affaires et les percepteurs d’impôts, intimider les critiques et dissiper les critiques sur les activités de Trump dans les domaines de l’immobilier, des jeux de casino, de la télé-réalité et par la suite, de la politique électorale.

Ce que Cohen a décrit est une version plus miteuse d’une opération que la plupart des Américains reconnaîtraient en regardant des films comme Le Parrain: Trump en tant que capo di tutti capi, l’autorité incontestée qui doit être consultée pour chaque décision; les enfants, Donald Jr., Ivanka et Eric, jouant chacun un rôle important dans l’entreprise criminelle familiale en cours; Allen Weisselberg, directeur financier de l’Organisation Trump, le consigliere en charge des finances, cité par Cohen plus de 20 fois au cours des six heures de témoignage, comme l’homme qui a facilité les combines de Trump pour échapper aux impôts, tromper les banques ou les partenaires en affaires trop coriaces.

Cohen lui-même était un exécutant: de son propre aveu, il a menacé au moins 500 fois des personnes en agissant au nom de Trump sur une période de dix ans, notamment des partenaires en affaires, des hommes politiques, des journalistes et tous ceux qui cherchaient à porter plainte ou à obtenir un remboursement après avoir été fraudés dans l’une ou l’autre entreprise de Trump. L’avocat, maintenant radié de l’Ordre des avocats, a avoué avoir plus de 100 fois fait des enregistrements de clients, y compris Trump mais aussi biens d’autres, pendant cette période.

Les incidents relatés par Cohen vont de la farce (l’intimidation par Trump des universités et même son école privée militaire de ne pas divulguer ses notes ou ses résultats aux tests), aux choses minables (Trump ayant obligé sa propre fondation «charitable» à acheter un portrait de lui pour 60 000 dollars), en passant par la criminalité effrontée (le gonflement délibéré de la valeur des propriétés lors de la demande de prêt bancaire, tout en faisant le contraire pour les mêmes propriétés jusqu’à vingt fois moins de leurs vraies valeurs pour échapper à la fiscalité).

L’une des révélations les plus remarquables est l’affirmation sans broncher par Cohen selon laquelle Trump lui-même ne s’est pas lancé dans la course à la présidence en espérant pouvoir remporter l’investiture républicaine ni de la présidence. Au lieu de cela, la «star» milliardaire de la télé-réalité avait régulièrement déclaré à ses collaborateurs les plus proches que la campagne présidentielle serait la «plus grande publicité de l’histoire politique», servant à promouvoir sa marque, lui créant des opportunités commerciales sur des secteurs auparavant hors de portée.Ces détails peu flatteurs ont rempli les pages des quotidiens jeudi et ont fourni de nombreuses heures de reportages aux chaînes de télévision. Mais dans tout ce vaste volume de reportages et de commentaires, on chercherait en vain toute évaluation sérieuse de ce que cela signifie, en termes de développement historique et de trajectoire future de la société américaine, qu’une famille telle que les Trump occupe désormais la première place dans le système politique américain.

Le World Socialist Web Site rejette les efforts des démocrates et des grands médias pour qualifier Trump d’aberration, de figure accidentelle dont l’élévation inattendue à la présidence en 2016 sera «corrigée» par le biais de la destitution, de la démission forcée ou de la défaite électorale de 2020. Nous insistons sur le fait que l’administration Trump est le signe d’une crise prolongée et d’un effondrement de la démocratie américaine, dont le parcours remonte à au moins deux décennies, à l’échec de la destitution de Bill Clinton en 1998-1999, suivie de l’élection présidentielle volée de 2000.

Le système politique américain, toujours dominé par les intérêts de la classe dirigeante capitaliste qui contrôle les deux partis, les démocrates comme les républicains, s’effondre sous le poids de tensions sociales croissantes, motivées avant tout par une montée en flèche des inégalités économiques. Il est impossible de maintenir la prétention que des élections qui se tiennent tous les deux ou quatre ans confèrent une véritable influence populaire sur le fonctionnement d’un gouvernement aussi complètement subordonné à l’aristocratie financière.

Les chiffres sont biens connus, mais il convient de les rappeler: au cours des trois dernières décennies, presque toute la croissance de la richesse dans la société américaine a été accaparée par la couche infime au sommet. Trois méga-milliardaires, Jeff Bezos, Warren Buffett et Bill Gates, contrôlent désormais plus de richesses que la moitié de la population américaine. Ce processus de polarisation sociale est mondial: selon le dernier rapport Oxfam, 26 milliardaires contrôlent plus de richesses que la moitié la plus pauvre de l’humanité.

Ces milliardaires n’ont pas accumulé leurs richesses en concevant de nouvelles technologies ou en faisant de nouvelles découvertes scientifiques qui ont accru la richesse et le bonheur de l’humanité dans son ensemble. Au contraire, leur enrichissement s’est fait aux dépens de la société. Bezos est devenu l’homme le plus riche du monde grâce à l’émergence d’Amazon en tant que plus grande entreprise d’ateliers de misère de l’histoire, où chaque seconde possible de la force de travail est extraite d’une main-d’œuvre brutalement exploitée.

La classe des milliardaires dans son ensemble, après avoir précipité l’effondrement financier mondial de 2008 par des spéculations téméraires et des escroqueries par la vente de produits dérivés et d’autres «produits financiers» obscurs, a été sauvée, d’abord par le républicain Bush, puis par le démocrate Obama, à hauteur de milliards de milliards de dollars. En même temps, les emplois, le niveau de vie et les conditions sociales de la grande masse de travailleurs ont fortement diminués.

Quant à Donald Trump, l’escroc immobilier, le fraudeur de casino et le nabab de la télé-réalité, il incarne la démonstration vivante de la vérité de l’aphorisme de Balzac: «Derrière toute grande fortune se cache un grand crime.»

Trump envisagea de se présenter à la présidentielle de 2000 en tant que candidat du Reform Party d’extrême droite, après une longue période où il était adhérent au Parti démocrate et donateur aux deux partis capitalistes. Lorsqu’il a décidé de briguer la présidence en tant que républicain en 2016, il avait radicalement viré vers la droite. Sa candidature a marqué l’émergence d’un mouvement nettement fascisant, à mesure qu’il vomissait des préjugés anti-immigrants et du racisme en général, tout en lançant un appel populiste de droite aux travailleurs, en particulier dans les régions désindustrialisées du Midwest et des Appalaches, sur la base du nationalisme économique.

Comme David North, le président du comité de rédaction du World Socialist Web Site, l’avait expliqué bien avant les élections de 2016 :

«Le candidat républicain à la présidence des États-Unis ne sort pas d’une taverne à bière munichoise version américaine. Donald Trump est un milliardaire qui a fait fortune dans les escroqueries immobilières à Manhattan, les opérations semi-criminelles des casinos et le monde bizarre de la « télé-réalité »; il amuse et stupéfie ses adeptes en fabriquant des situations “véridiques” absurdes, dégoûtantes et essentiellement fictives. On pourrait dire que la candidature de Donald Trump représente un transfert des techniques de la télé-réalité vers la politique.»

Le principal développement des deux années écoulées depuis que Trump est entré à la Maison-Blanche est l’émergence de la classe ouvrière américaine dans des luttes majeures, à commencer par la vague de grèves d’enseignants en 2018, initiée par la base en défiant les syndicats bureaucratiques. La réaction de l’élite dirigeante américaine est un recours paniqué vers des méthodes autoritaires de gouvernement.Le milliardaire à la Maison Blanche est maintenant engagé dans un assaut systématique contre les fondements de la démocratie américaine. Il a déclaré une urgence nationale afin de contourner le Congrès, qui détient le «contrôle des dépenses» constitutionnel, et de détourner des fonds de l’armée et d’autres ministères fédéraux pour construire un mur le long de la frontière américano-mexicaine.

Qu’il réussisse ou non à court terme dans cette tentative, il est clair que Trump s’oriente vers l’instauration d’un régime autoritaire, avec ou sans la caution du résultat des urnes. Comme Cohen l’a fait remarquer dans sa déclaration de clôture – dans des propos généralement minimisés par les médias et ignorés par les démocrates –, il craignait que si Trump perd l’élection de 2020, «il n’y aura jamais de transition pacifique du pouvoir».

L '«opposition» de Trump au sein du Parti démocrate n’en est pas moins hostile aux droits démocratiques. Ils ont axé leur campagne anti-Trump sur de fausses allégations selon lesquelles il serait un agent russe, tout en dépeignant l’émergence de divisions sociales aux États-Unis comme une conséquence de «l’ingérence» russe, et non de la crise du capitalisme, et en agissant en faveur de la censure d’internet tous azimuts.

La défense des droits démocratiques et la véritable résistance à la marche de Trump vers un régime autoritaire doivent passer par le développement d’un mouvement politique de la classe ouvrière indépendant, dirigé contre les deux partis du grand patronat, les démocrates autant que les républicains, et contre le système de profit qu’ils défendent tous les deux.

(Article paru en anglais le 1ᵉʳ mars 2019)

Loading