Le Canada donne le feu vert à l'extradition de la dirigeante de Huawei vers les États-Unis

Les autorités canadiennes ont donné leur feu vert à l'extradition de la directrice financière de Huawei, Meng Wanzhou, pour faire face aux accusations portées par les autorités américaines selon lesquelles la société chinoise aurait violé des sanctions unilatérales imposées par les États-Unis contre l'Iran et aurait volé des secrets commerciaux à la société de télécommunications T-Mobile.

Les accusations ont été déposées par les ministères américains de la Justice, du Commerce et de la Sécurité intérieure et doivent être entendues à New York et dans l'État de Washington.

La directrice de Huawei a été arrêtée par les autorités canadiennes à la demande des États-Unis au début du mois de décembre, au moment même où le président américain Trump rencontrait le président chinois Xi Jinping à Buenos Aires pour des négociations commerciales.

Les États-Unis ont déposé une demande officielle d'extradition à la fin de janvier et le ministère de la Justice du Canada s'est conformé à cette demande vendredi soir.

Dans une déclaration, les avocats de la défense de Meng ont exprimé leur déception à l'endroit de la décision canadienne face à ce qu'ils ont appelé «la nature politique des accusations américaines».

«Notre cliente soutient qu'elle est innocente de tout acte répréhensible et que la poursuite et l'extradition américaines constituent un abus des processus juridiques.»

La prochaine comparution de Meng en cour à Vancouver aura lieu le 6 mars, date à laquelle le ministère de la Justice devrait procéder à l'audience d'extradition qui pourrait nécessiter de longs processus juridiques.

La décision du Canada de donner le feu vert à l'extradition survient alors que les États-Unis mènent une campagne mondiale pour exclure le géant chinois des télécommunications de l'établissement de réseaux de téléphonie mobile 5G et d'autres formes de communications, affirmant qu’il s’agit d’une question de sécurité.

La campagne américaine est centrée sur l'affirmation que la Chine pourrait utiliser Huawei pour mener des opérations de cyberespionnage. Dans un courriel envoyé la semaine dernière, le sénateur démocrate Mark Warner, qui siège au Comité spécial du renseignement des États-Unis, a déclaré que «les États-Unis et leurs alliés doivent maintenir un front commun contre le risque que représente la chaîne d’approvisionnement des équipements provenant de pays qui ne respectent pas la règle de droit et imposent régulièrement des exigences extrajudiciaires aux entreprises nationales».

Mais en fait, le pays qui correspond le mieux à cette description est les États-Unis.

Dans un article d'opinion publié cette semaine dans le Financial Times, Guo Ping, directeur général de Huawei, a exposé les motivations de la campagne américaine. Huawei, a-t-il noté, a longtemps fait l'objet d'attaques calomnieuses de la part des services de renseignement américains, mais jusqu'à récemment, ces attaques avaient été relativement modérées. Maintenant, ils sortent l'«artillerie lourde» et dépeignent Huawei comme une «menace pour la civilisation occidentale».

Il a déclaré que les raisons se trouvaient dans les documents publiés par le lanceur d’alerte Edward Snowden en 2013, qui montraient que l'Agence de sécurité nationale (NSA) américaine avait pour politique de «tout collecter», c'est-à-dire de recueillir des données sur tous les appels téléphoniques et toutes communications électroniques effectuées par quiconque dans le monde.

Les documents de Snowden ont montré que la NSA a maintenu des «partenariats d'affaires» avec de grandes entreprises américaines de technologie et de télécommunications qui lui ont permis «d'avoir accès à des câbles à fibre optique, commutateurs ou routeurs internationaux de grande capacité à travers le monde».

En 2010, la NSA a mené une opération de piratage sur les serveurs de Huawei sur la base que nombre de ses cibles «communiquent sur des produits fabriqués par Huawei» et que nous «voulons nous assurer de savoir comment exploiter ces produits».

Depuis l'opération de piratage, il y a près de neuf ans, la situation a considérablement changé, Huawei fournissant une proportion croissante des réseaux du monde.

«De toute évidence, plus le matériel Huawei est utilisé dans les réseaux de télécommunications mondiaux, plus il est difficile pour la NSA de “tout collecter”. Huawei, en d'autres termes, entrave les efforts des États-Unis pour espionner qui ils veulent», a écrit Guo.

C'était la première raison de la campagne américaine. La seconde, a-t-il soutenu, concernait la technologie de téléphonie mobile 5G qui non seulement augmentera les vitesses de transmission de données, mais jouera un rôle vital en fournissant les réseaux de communication pour les usines et l'infrastructure vitale.

Huawei a beaucoup investi dans la technologie 5G au cours de la dernière décennie et a, selon Guo, «environ un an d'avance sur ses concurrents».

«Si les États-Unis peuvent tenir Huawei à l'écart des réseaux 5G mondiaux en nous présentant comme une menace pour la sécurité, ils peuvent conserver leur capacité d'espionner qui ils veulent» et «l'Amérique y gagne si elle peut écraser une entreprise qui réduit sa domination numérique».

L'une des principales affirmations faites par les États-Unis dans leur campagne est que la loi chinoise exige que les entreprises technologiques collaborent avec le gouvernement sur demande. Mais la même loi s'applique aux États-Unis dans la mesure où toute ordonnance est émise sur la base d'une enquête en matière de contre-espionnage ou de contre-terrorisme.

Guo a conclu que la campagne mondiale américaine n'avait pas grand-chose à voir avec la sécurité nationale et «tout à voir avec le désir de l'Amérique de se débarrasser d’un concurrent technologique qui gagne en importance».

Et cette campagne a subi des coups importants au cours de la période récente. Le Royaume-Uni ne s’est pas immédiatement rangé derrière les États-Unis. Des sections importantes de l'appareil du renseignement soutiennent que tout risque pour la sécurité peut être atténué, tandis que d'autres insistent sur le fait qu'il serait naïf d'ignorer ce danger.

L'Allemagne n'a pas exclu l'utilisation de la technologie Huawei et considère ses équipements moins chers et de haute qualité comme un moyen de surmonter son retard relatif dans le développement des communications Internet.

L'Inde envisage également d'utiliser Huawei et la semaine dernière, les Émirats arabes unis, un allié majeur des États-Unis au Moyen-Orient, ont annoncé qu'ils utiliseraient un réseau 5G développé par Huawei. La décision a été particulièrement contrariante parce qu'elle a été annoncée lors du Mobile World Congress à Barcelone, auquel les États-Unis avaient envoyé une délégation pour faire pression contre l'utilisation de la technologie Huawei.

Mais ces coups ne ralentiront pas la campagne américaine. Au contraire, plus les obstacles se multiplieront, plus elle s’intensifiera, avec des menaces accrues non seulement contre la Chine et les entreprises chinoises, mais aussi contre ceux qui utilisent leur technologie.

L’arrestation de Meng Wanzhou et les tentatives d'extradition pour l'inculper ne sont qu'un avant-goût des méthodes qui vont être employées à l'avenir.

(Article paru en anglais le 2 mars 2019)

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