Les ouvriers algériens en France solidaires des mobilisations contre Bouteflika

La montée de manifestations en Algérie contre un 5e mandat de Bouteflika suscite un profond soutien et un élan de solidarité à travers la France. Plus de 6.000 personnes ont manifesté leur soutien aux mobilisations en Algérie à Paris avant-hier, et 1.500 à Marseille.

Alors que des centaines de milliers de «gilets jaunes» sont mobilisées pour exiger la démission de Macron et un changement profond et plus égalitaire de la société européenne, de nombreux Français suivent de près les mobilisations contre le régime algérien corrompu qui pille le pays. Hier, le WSWS a interviewé des travailleurs d’origine algérienne en région parisienne sur le mouvement et la décision de Bouteflika de se présenter pour un 5e mandat dimanche.

Itchir a dit: «Ça fait 20 ans comme cela, et maintenant il demande un 5e mandat. Pourquoi il demande un 5e mandat? Pour garder le contrôle du pétrole, garder le contrôle de l’argent. Ce n’est pas un pays, on veut un changement radical pour tout le peuple algérien. … Il faut balayer le gouvernement d’abord, avec ses racines, voilà. On va constuire une autre page.»

Il poursuivi sur le pouvoir algérien: «D’abord Bouteflika il est mort, son frère est en Amérique et il se fait soigner. Ils ont déclaré qu’il a un cancer. Ceux eux qui sont avec lui, son bras doit (le premier ministre) Ahmed Ouyahia par exemple, c’est un salaud. Il n’a rien fait. … Le régime Bouteflika fait du détournement de fonds, que pour eux. Vous allez sur les Champs-Elysées, vous allez trouver la fille (de l’ex-premier ministre Abdelmalek) Sellal. Pour avoir son appartement sur les Champs Elysées, il faut avoir des centaines de milliers d’euros.»

Itchir a souligné que les syndicats et l’ensemble de la classe politique algérienne ne sont guère différents du clan au pouvoir: «Les syndicats, ils sont tous, tous des salauds, je vous dis. Les syndicats, et les partis politiques qui sont allés à table pour les ramener. … Tous ils sont dans le même sac, ce sont des mangeurs, des voleurs. Ils ne pensent qu’à eux, qu’à leurs familles. Ils ne pensent pas à nous, aux jeunes, aux Algériens.»

Il a relevé qu’en Algérie, «Il n’y a rien pour les jeunes. Il y a aussi beaucoup de jeunes Algériens ici en Europe, à l’occasion ils seront là, derrière vous, à revendre des cigarettes à la sauvette.» Il a ajouté: «Pour le gouvernement algérien, vous avez volé, vous avez pris, vous avez des châteaux en France et un peu partout en Europe. Maintenant c’est un changement radical, inchallah.»

Face au mouvement simultané des «gilets jaunes» contre Macron et en Algérie contre Bouteflika, Itchir a souligné que les problèmes des travailleurs en Europe et en Afrique sont communs.

Itchir a dit: «C’est la même chose là-bas qu’ici. Ici on court, là-bas on court. Là-bas si tu ne travailles pas, tu ne manges pas; ici si tu ne travailles pas, tu ne manges pas. Je fais mes calculs et c’est la même chose. Je suis là, je n’ai pas dû prendre le bateau comme les autres, j’ai eu la chance de faire une demande de visa. Ils m’ont répondu par un oui. Sinon pour les autres, ils doivent prendre les bateaux pour venir. On dit que la France c’est le paradis, mais ce n’est pas le paradis. J’espère qu’il y aura un bon changement en Algérie.»

Itchir a souligné son manque total de confiance envers les élections, que le pouvoir compte truquer avec la complicité des puissances imperialistes européennes, dont la France: «Les élections commencent le 19 mars, c’est Bouteflika qui va sortir. Ils font cela avec le trafic, ce n’est pas avec les voix du peuple. Tout est préparé, avec des casiers, les feuilles, tout est préparé. C’est à eux Algérie, mais on espère que ça va changer. On ne souhaite que du bonheur pour notre pays.

Il a ajouté qu’il mettait ses espoirs dans la poursuite et l’intensification des luttes en Algérie: «Ils ont manifesté la nuit dans 48 wilayas; il faut un changement radical.»

Le WSWS a aussi interviewé deux Algériens originaires de Kabylie, région à majorité berbère, Djilali et Elwan. Ils ont fait part de leur volonté de changement et de leur colère envers le régime bourgeois du Front de libération nationale (FLN) qui a confisqué les luttes révolutionnaires de la guerre d’Algérie pour lindépendance contre la France en 1954-1962.

«L’Algérie est à nous», a dit Djilali, avant de souligner la situation intolérable des travailleurs en Algérie: «Le kilo de patates est à 80 dinars, les piments 200 dinars, les haricots verts 300 dinars, la semoule c’est 5.000 dinars le quintal. Il n’y a pas de logement, il n’y a pas de travail. Nous on demande ça. ... Tu gagnes 18.000 dinars (le SMIC algérien). Tu paies l’électricité, le loyer, et le gaz, et les 18.000 dinars, ils sont partis. On ne peut pas vivre comme cela, c’est comme en France.»

Elwan a durement critiqué la trajectoire historique du régime algérien: «Combien de générations ont-ils sacrifiées? Moi je suis né en 1966, je n’ai rien vu de la guerre d’indépendance. Mais de 1966 jusqu’en 2019, on n’a pas eu de chance. Si l’Algérie se portait bien, pensez-vous que je serais venu en France, vivre dans cette misère-là? C’est la misère ici aussi, quand même.»

«En 2019, le peuple se révolte», a-t-il ajouté. «C’est maintenant qu’ils ont la conscience.»

Il a pointé les difficultés d’unir les luttes des travailleurs et des masses opprimées arabes et berbères au Maghreb, en évoquant la révolte berbériste de 1949: «Nous on s’est révoltés en 1949. A chaque fois, les autres régions du pays disent qu’on veut diviser le pays, mais ce n’est pas vrai. On ne veut pas diviser le pays.»

Ceci soulève en fait l’unification des luttes en Europe et au Maghreb en un mouvement politique socialiste et ouvrier, contre les partis établis. Sur le Parti communiste français (PCF) stalinien, qui a voté les crédits pour la torture pendant la guerre d’Algérie, et les partis petit-bourgeois français alliés au FLN, Elwan a déclaré: «Sur l’élite française, je ne peux rien dire. Je ne connais pas la politique française. Mais c’est la France qui soutient cette dictature-là. Parce que sinon, comment se fait-il qu’il y a tellement d’élections en Algérie mais c’est toujours les mêmes têtes?»

Mais il a souligné que les partis établis en Algérie n’offrent aucune perspective: «Ce sont des partis du pouvoir. C’est cela leur langage, diviser pour régner. Ils créent des partis pour eux, une élite d’opposition, mais au fond il n’y a pas d’opposition. Cela fait plus de 20 ans que Louisa Hanoune est à la tête du Parti des travailleurs.»

Interrogé sur la décision dimanche de Hanoune et du PT de ne pas participer aux élections, Elwan a dit: «Elle a vu que le peuple s’est réveillé; elle a peur. Mais ce n’est pas une révolutionnaire. A l’heure actuelle, vraiment dans tout le monde c’est pareil.»

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