Les faussetés et les esquives du «Green New Deal»

Le mois dernier, la représentante de New York, Alexandria Ocasio-Cortez, membre des Socialistes démocrates d’Amérique (DSA), et le sénateur du Massachusetts, Ed Markey, tous deux démocrates, ont présenté devant les deux chambres du Congrès une résolution non contraignante appelant à un «Green New Deal» (nouvel accord vert) pour effectuer la transition de la production d’énergie américaine vers des sources non carboniques à l’intérieur d’une période de 10 ans. Il est actuellement coparrainé par 89 démocrates sur 235 à la Chambre des représentants et 11 sur 47 au Sénat.

Outre les appels lancés au gouvernement fédéral pour qu'il agisse afin d’empêcher le changement climatique et d'autres menaces écologiques, le document propose une mobilisation fédérale comparable au New Deal des années 1930, qui «a créé la plus grande classe moyenne que les États-Unis n’aient jamais vue». On y considère la situation actuelle comme une «opportunité historique» de garantir à tous les habitants du pays les éléments suivants: «un air et une eau propres», «une alimentation saine», un «environnement durable», «des soins de santé de haute qualité», «un logement abordable, sûr et convenable», «la sécurité économique» et«un emploi avec un salaire suffisant pour subvenir aux besoins d’une famille, des congés familiaux et médicaux, des congés payés et une sécurité à la retraite».

La tentative même de soulever de tels problèmes sociaux et économiques a provoqué une réaction brutale des politiciens au sein des deux partis de la grande entreprise. Pratiquement tout le Parti républicain l'a dénoncé et le chef de la majorité républicaine au Sénat, Mitch McConnell, a prévu un vote au Sénat pour forcer les démocrates à s'aligner publiquement sur le projet de loi ou à s'en dissocier. La présidente du Congrès, la démocrate Nancy Pelosi, a dit sur un ton de dérision que la résolution était un «rêve vert». Le chef de la minorité sénatoriale, Charles Schumer, a indiqué que les démocrates voteront «présents» afin d’éviter d’aborder la question lors d’un vote.

De nombreux partisans démocrates et instigateurs du Green New Deal ont depuis lors fait marche arrière, qualifiant la proposition de «simple aspiration». L’une des commanditaires du projet et aspirante à la présidentielle, la sénatrice démocrate Amy Klobuchar, a qualifié le projet d’au mieux «quelque chose vers lequel nous devrions nous diriger».

En d'autres termes, ils n'ont aucune intention de le mettre en œuvre.

Pour être clair, il est impensable que cette proposition, même si elle était adoptée à l’unanimité par les deux chambres du Congrès, ait un impact réel sur la politique intérieure ou étrangère des États-Unis. Son statut non contraignant signifie qu'aucun législateur ne sera en aucun cas obligé de travailler pour atteindre les objectifs déclarés de la résolution.

La nature radicale de la résolution, cependant, a généré un intérêt populaire compréhensible et un soutien parmi les travailleurs et les jeunes. Le Green New Deal propose «d'atteindre des émissions nettes de gaz à effet de serre nul», de «créer des millions de bons emplois bien rémunérés et d'assurer la prospérité et la sécurité économique de tous», et «d'investir dans les infrastructures et l'industrie des États-Unis».

Ocasio-Cortez a soulevé certaines des principales préoccupations des 90% les plus pauvres de l’échelle des revenus aux États-Unis, qui constituent la classe ouvrière. Ils doivent faire face à une lutte quotidienne pour survivre et subvenir aux besoins de leurs familles, tandis que les 10% les plus riches, en particulier les 1% les plus riches, 0,1% et 0,01%, monopolisent une part de plus en plus importante des revenus et de la richesse.

Il est donc d'autant plus crucial de clarifier le caractère politique et le contexte historique du Green New Deal. Ses prémisses, bien que non énoncées, sont les suivantes: 1) le réchauffement planétaire peut être stoppé et inversé à l'échelle nationale; (2) le Parti démocrate peut être contraint de mener un tel programme; et (3) cela peut être réalisé dans le cadre du système économique et politique existant.

Nationalisme et crise climatique

C’est un fait scientifique établi que les changements climatiques induits par l’homme ont déjà coûté des milliards de dollars et causé des milliers de morts, et qu’ils sont sur le point de causer une souffrance sociale encore plus grande si la tendance n’est pas immédiatement atténuée et inversée. Des études répétées ont montré que cela nécessiterait la coordination des ressources scientifiques et techniques les plus avancées du monde afin de commencer même à réduire sérieusement le réchauffement planétaire. De telles mesures nécessiteraient une réorganisation internationale du secteur énergétique mondial.

La résolution du Green New Deal, cependant, n'appelle ni à la coopération des nations du monde ni à la limitation des activités des sociétés énergétiques. Bien au contraire, il insiste pour «faire des États-Unis le chef de file international de l'action pour le climat» en appelant à «des investissements pour stimuler le développement économique [et] approfondir et diversifier l'industrie et les entreprises dans les économies locales et régionales». Ces investissements seraient alloués par moyens de «subventions communautaires, banques publiques et autres financements publics». En d’autres termes, davantage de fonds publics seront remis aux monopoles américains de l’énergie et à d’autres entreprises, qui sont les premières responsables du changement climatique. Toute mesure visant ostensiblement à réduire le changement climatique devra être acceptable aux yeux des entreprises et de leurs riches actionnaires.

Loin de faire progresser une perspective internationaliste, la résolution du Green New Deal est clairement nationaliste. Elle lance un appel sans ambiguïté aux agences de sécurité nationale de l'État américain, tout d'abord en citant comme modèle «les mobilisations menées par le gouvernement fédéral pendant la Seconde Guerre mondiale» et, en second lieu, en affirmant que le changement climatique «constitue une menace directe pour le pays en menaçant la sécurité nationale des États-Unis en influant sur la stabilité économique, environnementale et sociale des pays et des communautés du monde entier et en agissant comme un multiplicateur de menaces».

La suggestion, pas si subtile, est que l’adoption du Green New Deal est un élément essentiel des préparatifs de l’impérialisme américain à la guerre contre ses rivaux pour la domination mondiale et nécessaire à la stabilité du capitalisme américain. Il ne faut pas oublier que la «mobilisation menée par le gouvernement pendant la Seconde Guerre mondiale» comprenait l'incarcération de masse d’Américains d'origine japonaise et se terminait par l'incinération par l’arme nucléaire d'Hiroshima et de Nagasaki.

La «sécurité nationale», un euphémisme pour le maintien du pouvoir de la classe capitaliste et la poursuite de ses intérêts mondiaux, est incompatible avec toute mobilisation sérieuse de ressources pour répondre aux besoins sociaux des travailleurs, y compris celui d’un environnement sain et vital. De nombreuses études de groupes de réflexion sur la sécurité nationale ont souligné la nécessité de réduire considérablement les dépenses dites de «droit», c’est-à-dire le financement de la sécurité sociale et de l’assurance-maladie, ainsi que les dépenses consacrées à d’autres programmes sociaux, afin de poursuivre le développement militaire nécessaire pour se préparer à la guerre contre les principaux rivaux de l'impérialisme américain, en premier lieu la Russie et la Chine.

Le Parti démocrate

Ensuite, il y a la question du Parti démocrate. La notion selon laquelle ce parti peut servir de véhicule à un effort sérieux pour inverser le changement climatique, ou pour toute autre réforme sociale progressiste, est contredite par son histoire et les intérêts sociaux qui le contrôlent.

Historiquement, le Parti démocrate est le cimetière des mouvements progressistes. Du mouvement populiste du tournant du XXe siècle au mouvement syndical industriel des années 1930, en passant par le mouvement des droits civiques et le mouvement antiguerre de l'après-guerre, les mouvements de masse en faveur d'un changement social progressiste ont été contenus, dissipés et trahis par leur subordination à ce parti capitaliste, le plus ancien des États-Unis.

Aucune réforme sociale significative n'a été adoptée aux États-Unis depuis plus de 50 ans. Les démocrates ont depuis longtemps abandonné tout programme de réforme sociale ou toute politique orientée vers les intérêts sociaux de la classe ouvrière. Au cours des cinquante dernières années, le Parti démocrate s’est dirigé régulièrement de plus en plus à droite, cherchant et réussissant dans une large mesure à déloger les républicains en tant que parti favori de Wall Street et de l'appareil militaire et du renseignement. Sur la base de politiques raciales, sexuelles et de genre – conçues pour nier la division de classe centrale de la société moderne –, il s'est orienté vers les couches les plus riches et les plus privilégiées de la classe moyenne. Lors de la dernière élection présidentielle, Hillary Clinton a remporté la majorité des voix dans les banlieues aisées de la classe moyenne et parmi les couches les plus riches de la population.

Les gouvernements démocrates, autant que les républicains, ont imposé des politiques d’austérité et poursuivi la contre-révolution sociale qui dure depuis des décennies et qui se poursuit aujourd’hui. Obama, dont l'élection a été saluée par l'Organisation socialiste internationale (ISO) – l'un des soutiens de Bernie Sanders et Ocasio-Cortez aujourd'hui – comme un moment «transformationnel» de l'histoire américaine, a supervisé le plan de sauvetage de plusieurs milliards de dollars de Wall Street, l'imposition des réductions de salaire sur les travailleurs de l'automobile et des fermetures d'écoles en masse, et la plus grande redistribution de la richesse de bas en haut dans l'histoire des États-Unis. Sous Obama, la part des travailleurs dans le revenu national atteignait des creux sans précédent, et il se vantait de ramener les dépenses intérieures, outre la défense et la sécurité sociale et la santé, au plus bas niveau depuis les années Eisenhower dans les années 1950.

Il est difficile de dire lequel des deux grands partis des grandes entreprises est le plus réactionnaire. Les démocrates basent leur opposition à Trump sur la revendication d’une politique plus agressive à l’égard de la Russie et d’une escalade de la guerre au Moyen-Orient, tout en soutenant le relèvement du budget du Pentagone à un niveau presque record. Dans toutes les luttes de la classe ouvrière, ils travaillent main dans la main avec les républicains pour nier les revendications des travailleurs, y compris les grèves des enseignants pour obtenir un salaire décent et la défense de l'éducation publique, affirmant qu'il «n'y a pas d'argent» pour des écoles décentes tout en accélérant la privatisation du système d’éducation.

Au même moment, ils glorifient la CIA, le FBI et l’armée et mènent la campagne de censure d’Internet et de suppression des points de vue opposés. Leur principale cible nationale est la chasse aux sorcières du sexe #MeToo (Moi aussi), de droite, basée sur le déni de justice et de la présomption d'innocence, et la promotion de la politique raciale afin de diviser la classe ouvrière.

Les références au «New Deal» d'Ocasio-Cortez et d'autres promoteurs du «Green New Deal» sont grossièrement trompeuses. Ils retirent cette période de réformes sociales limitées de son contexte historique et en faussent à la fois les origines et les résultats. Le New Deal était la réponse d'une classe dirigeante effrayée par la menace de la révolution sociale aggravée par deux facteurs: l'effondrement global du capitalisme lors de la Grande Dépression des années 1930 et l'impulsion révolutionnaire fournie par la révolution russe et l'existence de l'Union soviétique. Les réformes de Roosevelt n'ont pas été accordées d'en haut par une élite dirigeante bienveillante. Ils ont été tirés d'une classe capitaliste impitoyable par un mouvement semi-insurrectionnel de la classe ouvrière, sous la forme d'un mouvement syndical de masse dirigé en grande partie par des travailleurs inspirés par le socialisme.

Cela a eu lieu à un moment où le capitalisme américain était la puissance industrielle montante et dominante du monde et où la classe dirigeante disposait de réserves économiques considérables, même en pleine dépression. Même à ce moment-là, les réformes instituées n’ont jamais permis de surmonter les inégalités économiques ou de satisfaire les besoins fondamentaux de la classe ouvrière. Les syndicats formés ou consolidés par la vague de grèves ont rapidement fait la paix avec le capitalisme, ont adhéré à la chasse aux sorcières antisocialiste de la guerre froide d'après-guerre et sont devenus, au cours des décennies suivantes, des partenaires juniors des entreprises en facilitant les réductions de salaire, les licenciements et la destruction des conditions de travail. Ce processus a été institutionnalisé par leur alliance avec le Parti démocrate.

Depuis 40 ans, le capitalisme américain est en déclin rapide. Il a depuis longtemps démantelé une grande partie de sa base industrielle afin de devenir le leader mondial du parasitisme et de la criminalité financière. Pendant toute cette période, chaque réforme sociale des années 1930 et 1960 a été attaquée sans relâche dans le cadre d'une contre-révolution sociale dirigée par les deux partis contre la classe ouvrière, faisant des États-Unis le pays le plus inégalitaire des grandes économies. Donald Trump est la personnification fascisante de l'oligarchie financière et l'expression toxique de la dégradation prolongée de la démocratie américaine.

Où les démocrates obtiennent-ils leur argent? Lors des élections de mi-mandat de l'année dernière, le secteur des valeurs mobilières et des investissements a versé 62% de ses contributions aux démocrates, poursuivant ainsi la tendance observée depuis 2016, lorsque Wall Street avait donné beaucoup plus à Hillary Clinton qu'à Donald Trump. L’industrie pétrolière et gazière, qui verse depuis longtemps l’essentiel des pots-de-vin aux républicains, a néanmoins versé 6 millions de dollars aux candidats démocrates en 2018.

La présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, a une valeur estimée à 16 millions de dollars et entretient des relations privilégiées avec Wall Street via la firme de crédit de son mari. Elle a dirigé la campagne fructueuse de 2015 visant à mettre fin à l’interdiction des exportations de pétrole brut qui durait depuis quarante ans, ouvrant ainsi le marché mondial aux entreprises américaines. Pour sa part, le chef de la minorité du Sénat, Charles Schumer, surnommé le «sénateur de Wall Street», a reçu 310.020 dollars de l'industrie pétrolière et gazière tout au long de sa carrière politique.

Inégalité sociale et capitalisme

Toute la structure sociale des États-Unis, et donc son système politique, est ancrée dans la vaste concentration de la richesse au sommet. L'économiste Gabriel Zucman a récemment écrit en parlant d'un retour aux «niveaux d'âge doré» de l'inégalité: «Les données montrent que la concentration de la richesse aux États-Unis est revenue au niveau de 1920. Quarante pour cent de la richesse totale revient aux ménages du 1% supérieur. Environ 20% appartiennent aux 0,1% les plus riches, ce qui correspond à peu près à la part des 90% inférieurs».

Cela fait partie d'un processus international. Plus tôt cette année, l'organisation caritative britannique Oxfam a signalé qu'en 2018, seulement 26 personnes contrôlaient autant de richesse que les 3,8 milliards de personnes qui composent la moitié inférieure de la population mondiale.

Aucune véritable réforme sociale ne peut être adoptée aujourd'hui en dehors d'un assaut direct contre l'inégalité sociale, la richesse et le pouvoir enracinés de l'oligarchie financière et des entreprises. Cela inclut les partis politiques qu’elle contrôle.

L’autre obstacle fondamental à la résolution de la crise climatique et de tous les autres maux sociaux qui pèsent sur l’humanité est la division de l’économie mondiale de plus en plus intégrée entre États-nations rivaux, qui sont les formes politiques à travers lesquelles les cliques rivales des capitalistes luttent pour le contrôle des ressources mondiales, des marchés et des sources de main-d’œuvre bon marché. Le changement climatique est un problème mondial qui ne peut être résolu que par la mobilisation systématique et intelligente des ressources et du savoir-faire scientifique et technologique de la planète entière.

Le Green New Deal n'est pas un programme destiné à répondre aux besoins sociaux urgents des travailleurs américains. C'est un slogan creux et un paquet de revendications destiné à détourner la lutte de la classe ouvrière dans l'impasse du Parti démocrate. La solution au changement climatique, avec l’inégalité sociale, la pauvreté et la menace croissante de dictature et de guerre, est le renversement révolutionnaire du système capitaliste, tant aux États-Unis qu’internationalement.

Les oligarques financiers doivent être expropriés et leurs sociétés et banques transformées en services publics sous le contrôle démocratique de la population travailleuse. La force sociale capable de mener à bien une telle transformation est la classe ouvrière. Elle doit être mobilisée et armée d'un programme socialiste révolutionnaire pour prendre le pouvoir politique et créer un État ouvrier dans le cadre de la révolution socialiste mondiale. Le Parti de l'égalité socialiste doit être construit pour mener cette lutte.

(Article paru en anglais le 5 mars 2019)