Perspectives

Un budget américain pour faire la guerre mondiale

La proposition de budget rendue publique lundi par la Maison Blanche doit être considérée comme un avertissement grave par la classe ouvrière internationale. Le gouvernement américain se prépare à une guerre totale à l’étranger et à de violentes attaques sur le niveau de vie et les prestations sociales des travailleurs en Amérique. Le plus puissant État impérialiste cherche à réaliser un niveau record de dépenses militaires, tout en exigeant des réductions sans précédent des dépenses consacrées aux besoins sociaux tels que les soins de santé, l’éducation et l’environnement.

L’administration Trump entend donner au Pentagone une augmentation presque deux fois supérieure à celle recherchée par le commandement de l’armée lui-même – une augmentation de 4,7 pour cent par rapport aux dépenses actuelles, soit le double de l’augmentation de 2,4 pour cent prévue par les responsables du ministère de la Défense. L’augmentation en dollars est de 34 milliards de dollars, alors que le Pentagone n’avait demandé que 17 milliards de dollars.

Les dépenses militaires américaines totales de 750 milliards de dollars seraient supérieures aux dépenses militaires de 2018 des 14 pays suivants réunis: Chine, Arabie saoudite, Russie, Inde, Grande-Bretagne, France, Japon, Allemagne, Corée du Sud, Brésil, Australie, Italie, Israël et Irak.

Le chiffre le plus surprenant et le plus inquiétant dans la proposition de budget est celui pour les opérations de contingence à l’étranger (OCO), la catégorie fourre-tout pour les interventions militaires comme les guerres américaines en Afghanistan, en Irak et en Syrie, la guerre par drones à travers le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, et le renforcement militaire américain aux frontières de la Russie (Initiative de la dissuasion européenne). Alors que le budget de l’exercice 2019 prévoit 69 milliards de dollars pour l’OCO, la proposition faramineuse pour l’exercice 2020 grimpe à 164 milliards de dollars.

Selon de premières informations parues dans la presse, citant des sources à la Maison-Blanche, il s’agirait d’un stratagème comptable, reclassant une partie importante du budget ordinaire du Pentagone en poste d’OCO afin de permettre aux forces militaires de respecter à priori les plafonds de dépenses fixés en 2011 dans le cadre d’un accord budgétaire bipartite conclu entre le l’administration Obama et les républicains du Congrès, mais qui a été depuis lors systématiquement contourné lors des marchandages budgétaires au Congrès. Selon ce scénario, l’administration Trump déclarerait qu’elle observait maintenant les plafonds, les imposant aux dépenses intérieures par le biais d’une réduction brutale généralisée d’au moins cinq pour cent. Entre temps, les dépenses militaires globales augmenteraient considérablement, car l’argent destiné à l’OCO n’est pas comptabilisé dans les plafonds de dépenses.

Quels que soient le bien fondé de telles assertions, injecter près de 100 milliards de dollars de plus dans les opérations de contingence à l’étranger a des implications bien au-delà des manœuvres de Trump avec le Congrès et provoquerait certainement l’alarme à Téhéran, Moscou et Beijing. Cela donnerait au Pentagone plus qu’il ne faudrait d’argent pour mener une guerre majeure, comme une invasion de l’Iran ou du Venezuela, tous deux des cibles des menaces de Trump ces derniers mois, ou de la Corée du Nord, si les négociations en cours entre Washington et Pyongyang s’effondraient complètement. Cette somme considérable pourrait même servir à financer les premières étapes d’une guerre avec la Chine ou la Russie, si un tel conflit ne dégénérait pas immédiatement en un holocauste nucléaire destructeur de la planète.

En outre, étant donné les efforts constants de Trump pour utiliser la déclaration d’une «urgence nationale» fictive à la frontière américano-mexicaine pour réorienter les fonds du Pentagone vers la construction de son mur frontalier, la création d’une gigantesque caisse noire de 164 milliards de dollars fournirait au commandant en chef quasiment toute liberté pour les opérations militaires dans le monde ou aux États-Unis. Pour donner une idée de l’ampleur de l’allocation budgétaire de guerre, le fonds OCO de 164 milliards de dollars à lui seul équivaut à peu près au budget militaire total de la Chine, soit 168 milliards de dollars, et près de trois fois le budget militaire de 63 milliards de dollars de la Russie. Cela financerait la construction du mur frontalier de Trump de nombreuses fois.

Parmi les catégories de dépenses militaires signalées en particulier figurent 104 milliards de dollars pour la recherche et le développement, en mettant l’accent sur les armes hypersoniques (missiles et avions volant beaucoup plus vite que le son), sur les systèmes d’intelligence artificielle (guerre cybernétique et armes de champs de bataille automatisées) et «les technologies de l’espace». La Marine passera une commande pour deux nouveaux porte-avions géants de la classe Gerald Ford, d’une valeur supérieure à 13 milliards de dollars chacun. L’armée de l’air aérienne achètera des avions de combat F-15 améliorés auprès de Boeing et davantage de F-35 auprès de Lockheed Martin. Des dizaines de milliards seront alloués pour mettre à jour et moderniser les armes nucléaires américaines.

Il existe ensuite un poste de «besoins urgents» de 9,2 milliards de dollars qui «traiterait de la sécurité des frontières et des remises en état après un ouragan». La partie consacrée aux «remises en état après un ouragan» concerne les dommages passés et futurs causés aux installations militaires américaines et le coût du déploiement des ressources militaires américaines pendant et après une tempête, et non pas pour des besoins civils. Et la «sécurité frontalière» donnerait à Trump un autre magot pour financer le mur frontalier américano-mexicain, en plus des 8,6 milliards de dollars demandés officiellement dans le budget à cette fin.

Tout en proposant cette aubaine pour le Pentagone, le budget Trump imposerait les plus importantes réductions de Medicaid et Medicare (couverture médicale des retraités et pauvres) de l’histoire, soit près de 2000 milliards de dollars sur 10 ans. Medicaid serait converti en subventions globales aux États fédérés, avec des augmentations de dépenses limitées au taux d’inflation globale, et non au taux beaucoup plus élevé de l’inflation des coûts des soins de santé, ce qui impliquerait des réductions de dépenses presque immédiates de la part des États. En outre, l’extension de Medicaid dans le cadre Obamacare (assurance médicale privée obligatoire par les particuliers du président Obama) serait abrogée, ce qui aurait pour effet de supprimer la couverture maladie de plus de 10 millions de personnes. Les économies totales sur 10 ans sont estimées à 1,1 billion de dollars. Medicare réduirait encore de 845 milliards de dollars le montant des remboursements aux hôpitaux et aux autres prestataires de soins de santé et l’élimination du «gaspillage, de la fraude et des abus».

Selon un résumé de la Maison Blanche publié par le Washington Post, les autres dépenses sociales fédérales seraient réduites encore plus en pourcentage, bien que par des montants moindres: 327 milliards de dollars en moins sur 10 ans pour de bons d’alimentation, d’aide au logement et d’autres programmes de minima sociaux; 200 milliards de dollars en moins pour des plans de retraite des employés fédéraux et des postes; 207 milliards de dollars en moins pour les programmes de prêts aux étudiants, y compris ceux qui fournissent une aide alimentaire et au logement; 32 pour cent en moins pour l’Agence pour la protection de l’environnement, 22 pour cent du ministère des Transports, 11 pour cent du ministère de l’Intérieur, 12 pour cent du ministère de l’Éducation et 12 pour cent du ministère de la Santé et des Services sociaux.

La réaction des démocrates du Congrès et des médias au budget de Trump se concentre sur la demande de 8,6 milliards de dollars pour le mur frontalier, le sujet qui avait déclenché l’arrêt partiel du fonctionnement gouvernement fédéral pendant 35 jours qui s’est terminé fin janvier. C’est une diversion délibérée, permettant aux démocrates de se présenter comme des opposants intransigeants à Trump en se disputant avec lui pour un montant représentant moins de deux millièmes d’un budget de 4600 milliards de dollars.

Les dirigeants démocrates ont pleinement adopté le budget militaire de Trump dans le cadre d’un accord bipartite conclu l’année dernière. Ils appuient avec autant d’enthousiasme le Pentagone cette année. En fait, les démocrates ont généralement attaqué Trump avec des arguments encore plus à droite en matière de politique étrangère, réclamant une position plus agressive à l’égard de la Russie en Syrie et en Europe de l’Est, contre la Corée du Nord et contre la Chine, notamment en matière de commerce.

Même en ce qui concerne la sécurité frontalière, les démocrates sont totalement favorables à une nouvelle augmentation massive des dépenses pour déployer davantage de technologies et embaucher davantage de voyous des Agences de Douanes et de la Protection des frontières, de l’Immigration pour persécuter les immigrants, à condition que cela ne soit pas qualifié d’argent pour le mur de Trump.

L’exécution du budget proposé par Trump marque le début d’une bataille entièrement fictive prévisible et cynique à Washington. Les démocrates vont dénoncer les réductions proposées dans Medicaid, Medicare et d’autres programmes sociaux et s’engager à les combattre à mort. Ils concluront finalement un accord avec Trump qui comprend de nouvelles coupes dans les programmes sociaux, qui ne vont toutefois pas aussi loin que les propositions de la Maison Blanche, en contrepartie du financement intégral de l’armée et des services de renseignement américain, les forces les plus réactionnaires et dangereux sur la planète.

(Article paru en anglais le 12 mars 2019)

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