Après les violences sur les Champs-Élysées, l’État cible le droit de manifester

L’escalade de la répression par Macron après les échauffourées samedi sur les Champs-Elysées lors de l’Acte 18 des «gilets jaunes» soulève les questions les plus graves sur le rôle du gouvernment. On n’a apporté aucune preuve que les violences étaient le fait des «gilets jaunes». Mais l’Élysée veut toutefois fouler aux pieds leur droit de manifester au prétexte de ces violences non éclaircies, que des éléments de l’appareil d’État eux-mêmes traitent d’action d’extrême-droite menée grâce à l’incurie des forces de l’ordre.

Hier, le gouvernement a annoncé que les manifestations seraient interdites dans les quartiers ayant connu des violences, si les forces de l’ordre déclaraient que des «éléments ultras» pourraient être présents aux côtés des manifestants. Mais précisément c’est l’action des forces de l’ordre qui est en question dans les violences troubles de samedi, qui ont vu la mise à feu de nombreuses enseignes, notamment celle du restaurant Fouquet’s.

La police, qui a été filmée en train de dévaliser la boutique saccagée du club Paris Saint Germain sur les Champs-Élysées, menace les «gilets jaunes» d’une escalade majeure des violences. Frédéric Lagache, le secrétaire général adjoint du syndicat de police Alliance, qui est lié aux néo-fascistes, a appelé à blesser les manifestants: «Il faut assumer d'aller au contact et peut-être d'avoir des blessés. En face de nous, ce ne sont pas des enfants de choeur».

Le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner a ajouté: «Samedi, sur les Champs-Elysées, il n’y avait pas de ‘gilets jaunes’, mais juste des gens dans une logique de guerre qui voulaient reprendre l’Arc de triomphe. Il y avait 10 000 casseurs sur les Champs-Elysées». C’est à dire que les unités «anti-casseurs» dont le gouvernement annonce la formation menacent de traiter tous les «gilets jaunes», y compris des manifestants pacifiques, de casseurs à attaquer et à blesser.

Cet amalgame grossier, établi alors que des soupçons graves planent sur les forces de l’ordre elles-mêmes, soulève les questions les plus sérieuses. Le gouvernement utilise-t-il des provocations organisées avec le soutien d’éléments au sein des forces de l’ordre pour justifier une intensification de la répression? Ces questions ressortent non des spéculations de citoyens qui s’informent via les médias, mais de déclarations faites par des responsables aux sommets de l’appareil d’État, qui disposent d’informations considérables fournies par la police et le renseignement intérieur.

Samedi, la maire PS de Paris, Anne Hidalgo, a réagi aux violences en déclarant: «Ce que j'ai vu ce soir, ce sont des groupes d'extrême droite qui veulent fragiliser les démocraties, et des groupes de pilleurs.»

Elle a aussi pointé la responsabilité des forces de l’ordre dans les violences qui avaient éclaté sur les Champs-Élysées: «On devrait effectivement être capable de maîtriser une situation comme celle que nous venons de vivre.»

Hidalgo pesait ses mots et a pris soin de ne pas mettre en cause le rôle de personnalités aux sommets de l’appareil d’État, dont elle est elle-même un rouage important. Mais il est nécessaire de poser les questions évidentes que soulève ses déclarations.

Si des groupes d’extrême-droite sont responsables, desquels s‘agit-il, qui les dirige, et qui a pris la décision de brûler les différentes enseignes? Y a-t-il un lien entre les groupes d’extrême-droite qui ont saccagé les Champs-Elysées selon Hidalgo et ceux, par exemple, qui font actuellement appel des condamnations de leur ex-militants pour l’assassinat fasciste de Clément Méric?

Vu la puissance des technologies dont dispose l’État pour surveiller les transmissions électroniques et les téléphones portables, pourquoi fait-il le silence sur l’identité des responsables?

Et si, comme le dit Hidalgo, la responsabilité pour les violences relève de forces d’extrême-droite qui menacent la démocratie, que dire du rôle du gouvernement? Pourquoi fait-il le silence sur le rôle de l’extrême-droite – à part le fait évident que cela met en cause son affirmation que ce sont les "gilets jaunes" et leurs soutiens, y compris 70 pour cent des Français, qui sont responsables? Et pourquoi menace-t-il des droits démocratiques fondamentaux?

Alors qu’il est largement impopulaire à cause de sa politique d’austérité et de militarisme au service des ultra-riches, le gouvernement utilise-t-il des provocations d’extrême-droite pour tenter d’écraser par la force l’opposition des travailleurs et des jeunes à son diktat?

L’analyse des commentaires du secrétaire d’État à l’Intérieur, Laurent Nuñez, lundi au micro de RTL, soulève les mêmes questions que les remarques de Hidalgo.

Interrogé pour savoir pourquoi les forces de l’ordre n’étaient pas intervenues avec plus de force contre les casseurs, Nuñez a répondu: «Dans la direction de la manœuvre, on a été moins offensif que d’habitude, moins réactif.»

Toutefois, il a défendu totalement le bilan des forces de l’ordre: «Le travail des forces de l’ordre n’est absolument pas remis en cause.» Mais ce travail est bel et bien mis en cause, car les réseaux sociaux ont largement diffusé des vidéos qui montrent des policiers en train de participer au pillage des magasins sur les Champs-Élysées. Par ses commentaires, Nuñez couvre le rôle trouble de ses propres troupes.

Vu les accusations faites par Hidalgo sur l’implication des néo-fascistes dans les violences samedi, on a le droit de demander si les sympathies d’extrême-droite notoires des forces de l’ordre ont joué un rôle dans leur décision d’être «moins offensif» contre les casseurs.

Nuñez a prétendu sur RTL que l’hostilité populaire envers les flash-ball, qui éborgnent des dizaines de manifestants, aurait effectué un «travail de sape», laissant la police démoralisée et sans défense face aux manifestants. Cette explication ne tient pas la route. En fait, samedi le dispositif de police a été offensif et réactif contre les «gilets jaunes»; c’est contre les casseurs qu’il y a eu une démobilisation des forces de l’ordre.

Samedi, la préfecture de Police de Paris avait prévu 5.000 agents des forces de l’ordre, soit environ une quarantaine de compagnies de CRS et d’escadrons de gendarmes mobiles, dont 1.500 dédiés à l’interpellation de manifestants violents. À la veille du week-end, une source policière confiait au JDD qu’elle prévoyait la présence de Black-blocs qui auraient «envie d’en découdre». En prévision, des contrôles ont été effectués sur les routes en direction de la capitale et aussi dans les gares parisiennes afin d’interpeller les casseurs.

La répression policière a commencé plus tôt que d’habitude samedi, les forces de l’ordre faisant usage dès 11h de lances à eau ainsi que de gaz lacrymogènes «incapacitants», stockés dans les blindés de la gendarmerie. Un hélicoptère survolait les Champs-Elysées.

Mais malgré ce large dispositif de police, y compris des barricades et des contrôles de police établis tout autour des Champs-Elysées, des casseurs cagoulés et armés ont pu arriver sur l’avenue et se livrer au pillage, alors que certains policiers semblent bien s’y être adonnés en même temps.

Aucune investigation sérieuse n’a été menée de ces déclarations et de ces faits largement rapportés, qui mettent en cause le gouvernement Macron, l’État et la classe politique dans son ensemble.

Mais les travailleurs et les jeunes ont le droit de s’opposer à des tentatives d’installer un régime autoritaire d’État policier qui bafoue des droits démocratiques fondamentaux, et que l’élite dirigeante tente de justifier en faisant porter à des centaines de milliers de «gilets jaunes» la responsabilité de violences qu’ils n’ont pas commises.

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