Entretien avec un travailleur de l’auto persécuté en Inde, qui mène la lutte pour la libération de travailleurs piégés:

L’emprisonnement à vie des travailleurs de Maruti Suzuki «vise à encourager les capitalistes à réduire davantage la classe ouvrière à l’esclavage»

Jitender Dhankhar – un travailleur persécuté de Maruti Suzuki qui mène la lutte pour libérer 13 de ses anciens collègues de l’usine d’assemblage de voitures de Manesar, emprisonnés à vie suite à des accusations mensongères – a accordé l’entrevue suivante au World Socialist Web Site.

Deux ans se sont écoulés depuis qu’un tribunal de l’État d’Haryana, dans le nord de l’Inde, a condamné les 13 travailleurs, y compris toute la direction du syndicat des travailleurs de Maruti Suzuki (MSWU — Maruti Suzuki Workers Union), à passer le reste de leurs vies dans l’enfer que constitue le système pénal indien. [Voir: Il y a deux ans, un tribunal indien condamna ces travailleurs de l’automobile à la prison à vie dans une monstrueuse machination judiciaire]

Le MSWU a été formé en tant que syndicat indépendant dans une lutte acharnée contre un syndicat jaune reconnu par le gouvernement, qui était complice dans l’exploitation brutale des travailleurs.

Jitender est membre du Comité provisoire de la MSWU. Les travailleurs ont formé le comité après l’arrestation et l’emprisonnement des dirigeants de la MSWU en juillet-août 2012. La direction de l’usine avait aussi licencié 2.400 travailleurs de l’usine de Manesar, avec le soutien du gouvernement. Jitender est aussi responsable des affaires juridiques du Comité provisoire de la MSWU.

L'entretien s'est déroulé en hindi par courriel.

Jitender: Camarades, comme vous le savez, le 18 mars 2017, le tribunal de Gurgaon a rendu son verdict contre les travailleurs de Maruti et les dirigeants de la MSWU à propos de l’incident du 18 juillet 2012. Le tribunal a libéré 117 travailleurs sur 147 et a déclaré 31 ouvriers coupables. Le tribunal a condamné treize militants syndicaux, dont les 12 membres de la direction de la MSWU à la réclusion à perpétuité à l’aide de fausses accusations de meurtre. Cela a été fait en dépit du fait que le tribunal de première instance n’a pu trouver aucune preuve qui les impliquait dans le décès du directeur des ressources humaines Awanish Kumar Dev, ou dans le déclenchement de l’incendie.

Il y a beaucoup de mécontentement parmi les travailleurs au sujet des peines d’emprisonnement à perpétuité infligées à nos 13 camarades. Toute la classe ouvrière est assez mécontente du jugement.

Dans ces circonstances, où les attaques contre la classe ouvrière deviennent de plus en plus intenses, punir les travailleurs de Maruti Suzuki d’emprisonnement à vie relève d’une tentative d’encourager les forces capitalistes et impérialistes à asservir davantage la classe ouvrière.

La lutte courageuse des travailleurs de Maruti Suzuki avait donné un nouvel espoir à la classe ouvrière. Mais l’incident du 18 juillet 2012 a retardé la lutte des travailleurs de Maruti Suzuki et leur lutte pour construire leur syndicat.

À cause de la façon dont les travailleurs de Maruti Suzuki, permanents et contractuels, se sont unis, avec force et énergie, les capitalistes ont eu peur. C’est pourquoi ils ont concocté l’incident du 18 juillet et ont fait condamner les 13 travailleurs à la prison à vie. Ils voulaient envoyer un message à savoir que les capitalistes iront jusqu’au bout, y compris en utilisant les tribunaux et la prison, pour empêcher les travailleurs d’exercer leurs droits démocratiques.

WSWS: Comment peut-on décrire les derniers développements sur le plan juridique. Y a-t-il des appels en instance pour certains des travailleurs emprisonnés devant le tribunal de district ou devant la Cour suprême indienne?

Jitender: Trois de nos camarades ont demandé leur libération sous caution devant la Haute Cour de Chandigarh, en attendant le résultat de leur appel quant à leur condamnation pour meurtre. Mais cela a été rejeté. Le Cour l’a rejeté au motif que les investisseurs de ce pays seront découragés et qu'ils ne devraient donc pas être libérés sous caution. Notre avocat va demander la libération sous caution de ces camarades devant la Cour suprême. Toutefois, la date n'est toujours pas fixée.

WSWS: Le WSWS a mis sur pied un comité directeur composé de travailleurs de la base, dont des enseignants, des travailleurs de l’automobile et des travailleurs d’Amazon aux États-Unis, pour unir leurs efforts à ceux de tous les autres travailleurs à l’échelle internationale. Quel appel lanceriez-vous à d’autres travailleurs en Inde et à l’étranger pour soutenir la lutte en faveur de la libération des travailleurs de Maruti Suzuki victimes d’un coup monté?

Jitender: Camarades, en ce qui concerne le comité directeur de travailleurs de la base formé par les WSWS, les travailleurs de l'Inde et du monde entier devraient se battre ensemble. Je crois que c'est exact. Je dirais qu'à notre époque, les travailleurs d'un seul pays ne peuvent pas vaincre le capitalisme. En effet, tout comme les travailleurs d'une même entreprise ne peuvent lutter seuls contre leurs patrons, les travailleurs d'un même pays ne peuvent faire face tout seuls au capitalisme. Tout comme les capitalistes sont unis à travers le monde, nous devons former une organisation de tous les travailleurs du monde. Cet appel doit être entendu maintenant.

WSWS: Quelles leçons avez-vous tiré de votre propre lutte et que diriez-vous à vos frères et sœurs de la classe ouvrière d’autres pays sur ces leçons?

Jitender: Nous avons appris beaucoup de leçons de la lutte des travailleurs de Maruti-Suzuki. Cette lutte a complètement changé nos vies. Auparavant, lorsque nous travaillions dans l’entreprise, nous étions divisés par caste, régionalisme et religion. Nous soutenions ainsi la structure capitaliste. Nous avions l’habitude de considérer les politiciens, la police et les tribunaux comme un moyen de rendre justice aux pauvres et aux travailleurs. Mais pendant toute la lutte, ils ont révélé leurs vrais visages. Nous avons vu qu’ils se tiennent aux côtés des patrons capitalistes et qu’ils sont unis sur une base de classe. Puis, nous aussi, nous avons réalisé que nous formons une classe ouvrière unie et nous avons commencé à renforcer notre propre organisation et, aujourd’hui encore, ces efforts se poursuivent.

Je voudrais également saisir cette occasion pour faire un appel aux travailleurs du monde entier, par le biais du WSWS, à venir en aide et à défendre les travailleurs de Maruti Suzuki et d'autres travailleurs indiens qui se défendent contre la répression sauvage exercée par l'establishment politique indien à la demande des sociétés transnationales et des investisseurs.

Les grévistes de Maruti Suzuki en 2011

WSWS: Quelles sont les conditions dans lesquelles les 13 travailleurs sont maintenus en prison. Étant donné que la police les a torturés après leur arrestation en 2012, comment s’en tirent-ils? Ont-ils le droit de rencontrer régulièrement des visiteurs, en particulier les membres de leur famille et leurs collègues de travail?

Jitender: C’est très difficile d’être en prison et loin de sa famille. Ils font de leur mieux dans les circonstances. Néanmoins, je vais vous parler de la situation particulière de ces 13 camarades qui sont derrière les barreaux et qui risquent la prison à vie, puisque tous les camarades veulent le savoir.

Quand la police du Haryana les a arrêtés, après l’incident du 18 juillet 2012, elle les a violemment battus, comme ce que l’armée fait à ceux qu’elle soupçonne d’être des terroristes. Lorsque la cour a entendu ces camarades, certains d’entre eux ne pouvaient même pas marcher correctement parce que leurs blessures n’avaient pas guéri, même après plusieurs jours. Encore aujourd’hui, certains de nos camarades font toujours face à des problèmes. La police a agi ainsi sur les ordres de la direction de Maruti Suzuki.

Mais quand ces camarades ont été mis en prison, ils n’ont pas fait face à autant de problèmes que nous le craignions, car l’administration pénitentiaire savait qu’ils n’étaient pas des criminels professionnels. On leur a donné des emplois dans la prison, ce qui exige une certaine confiance de la part de la direction de la prison. Aujourd’hui, nos camarades travaillent dans différents endroits de la prison, et l’un de nos camarades, Amarjeet, est devenu un gardien de prison.

Un autre camarade, Ajmer, s’est vu décerner un prix de bon chanteur dans un programme culturel en prison. Tout cela a un peu facilité leur vie en prison. Les amis et les familles peuvent rendre visite aux travailleurs emprisonnés, mais la règle est que seules les personnes figurant sur une liste pré-approuvée sont autorisées à leur rendre visite, avec un maximum de 10 visiteurs autorisés par prisonnier.

WSWS: Pour les familles de ces travailleurs, leurs proches emprisonnés étaient souvent les seuls salariés. Comment les membres de la famille composent-ils avec ces difficultés?

Jitender: En ce qui concerne ceux de nos camarades qui souffrent de la prison à vie, nous saluons leurs familles du fond du cœur. Ces familles ont tellement souffert. Pourtant, elles ont participé avec enthousiasme à la lutte. La police les ont frappés avec leurs lathis (matraques de police), la police les a même emprisonnés, pendant un temps. C'est ce qui s'est passé en 2013. Alors qu'un dharna (protestation assise) se déroulait dans la ville de Kaithal, le ministre de l'Industrie du Haryana, Randeep Singh Surjewala du Parti du Congrès, a fait battre les manifestants par la police, qui a ensuite jeté 100 personnes en prison.

Malgré cela, nous n’avons toujours pas accepté la défaite. Dans la marche de Kaithal à Delhi, qui est de 560 kilomètres, les travailleurs de Maruti Suzuki et les familles de ces camarades qui étaient en prison ont marché ensemble. Nous avons organisé un grand rassemblement à New Delhi et avons ainsi informé la population du Haryana comment les capitalistes piègent les travailleurs dans de fausses affaires criminelles et les envoient en prison. Après cela, les gens ont appris la vérité sur les travailleurs de Maruti Suzuki.

En conséquence, les gens ont compris et accepté que l’incident du 18 juillet était une conspiration de la direction de Maruti Suzuki. Nos 13 camarades sont respectés dans la société encore aujourd’hui, et dans toute la région, on se souvient de ces gens et on en discute. Aujourd’hui encore, grâce à tout cela, le syndicat des travailleurs de Maruti Suzuki (MSWU) est connu comme une organisation militante et de combat dans toute la région.

(Article paru en anglais le 18 mars 2019)

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