May demande à Bruxelles un report du Brexit alors que la crise politique s'aggrave

La première ministre Theresa May a demandé hier un report avant l'entrée en vigueur de la sortie de la Grande-Bretagne de l'Union européenne (UE). Si cette proposition est rejetée par Bruxelles lors du sommet prévu jeudi, le Brexit est programmé pour le 29 mars, dans neuf jours à peine.

May a demandé hier une courte prolongation du Brexit au 30 juin : pas au-delà de l'été, ce qui aurait nécessité la participation du Royaume-Uni aux élections européennes. Il est cependant loin d'être certain que l'UE acceptera un tel report. Ses dirigeants ont clairement indiqué qu'ils souhaitaient que May fournisse une raison crédible, insistant sur le fait que cela entraînerait des coûts politiques et financiers pour le Royaume-Uni.

May avait réuni son cabinet mardi, après que son projet de présenter son accord sur le Brexit au Parlement pour un troisième «vote significatif» ait été coupé court par l'intervention du président du Parlement, John Bercow.

Ce dernier, un conservateur pro-UE a jugé mardi qu'une convention parlementaire remontant à 1604 rendait inacceptable de voter à nouveau sur un accord déjà rejeté deux fois – la deuxième avec une majorité de 149 voix. Les députés avaient décidé que May n'avait pas obtenu les concessions nécessaires sur le droit du Royaume-Uni de quitter unilatéralement le « backstop » (filet de sécurité) qui maintien l’Irlande du Nord dans le régime douanier de l’UE et déjà convenu avec l'UE.

Bercow a décidé que tout vote supplémentaire exigeait « une nouvelle proposition qui ne soit ni la même ni sensiblement la même que celle présentée par la Chambre le 12 mars… ». Il a ajouté que cette décision « ne devait pas être considérée comme mon dernier mot sur le sujet », suggérant un compromis possible. Mais l’Avocat général Robert Buckland a décrit son intervention comme une « crise constitutionnelle » et May a été du même avis.

La réunion d’une heure et demie du cabinet ministériel conservateur fut une âpre dispute. Un initié l'a comparé aux «derniers jours de Rome».

May a le soutien de ceux parmi ses députés qui craignent un «Brexit sans accord » et la perte d'un accès sans tarifs douaniers au Marché unique européen. Son but est à présent de forcer les députés conservateurs partisans du Brexit sans accord et le Parti unioniste démocrate (DUP) – dont les voix lui garantissent une majorité parlementaire – à accepter que l'alternative probable à son « Brexit doux » ne soit pas un « Brexit sans accord», mais une longue période de maintien dans l’UE. Elle compte également sur leur peur d'un délai pouvant créer les conditions d'un deuxième référendum pour annuler le résultat de 2016 ou même d'une élection générale.

Les alliés les plus proches de May ont fait part de leurs appréciations contradictoires. Le secrétaire chargé du Brexit, Stephen Barclay, a suggéré qu'un troisième vote sur son accord pourrait encore avoir lieu la semaine prochaine si suffisamment de rebelles conservateurs et les 10 députés du DUP changeaient d'avis. Barclay a averti que « Le Parlement ne laisse aucune autre option, sauf celle de révoquer [l'article 50 encadrant la sortie de l’UE], si vous retirez l'accord [de May] et si une sortie sans accord n'est plus une option. »

Un porte-parole officiel du parti a réitéré l'avertissement précédent de May selon lequel le rejet de son accord provoquerait une crise nationale, tandis que d'autres sources ont émis l'hypothèse que la reine pourrait proroger le Parlement – clôturant cette session puis rouvrant le Parlement – de sorte que la décision de « refus d’un second vote » de Bercow ne soit plus valable.

Tout report du Brexit avant d’invoquer l’article 50 de la constitution de l’UE devra être approuvée par les 27 États membres. La chancelière allemande Angela Merkel s'est engagée à « se battre jusqu'à la dernière heure de la date butoir du 29 mars pour une sortie ordonnée », mais son ministre des Affaires européennes, Michael Roth, a déclaré que la patience de l'UE « était réellement mise à l'épreuve » et a insisté sur une « proposition concrète » expliquant pourquoi le Royaume-Uni « cherche à obtenir une prolongation ».

Des calculs frénétiques sont en cours pour déterminer s'il existe une majorité parlementaire pour un deuxième référendum, vu que le dirigeant du parti travailliste Jeremy Corbyn a accepté la tenue d’un tel référendum si l'accord renégocié de May était toujours inacceptable et si on risquait un Brexit sans accord. Les clivages sur le Brexit au parti travailliste sont liés au mélange toxique de luttes factionnelles du parti conservateur. Il y a un pan de députés travaillistes représentants des circonscriptions favorables au Brexit que May essaie de rallier à son projet.

Entre temps, Corbyn n'a toujours pas dit qu'il soutiendrait un vote pour rester dans l’UE si un deuxième référendum était organisé. Il rencontre les dirigeants du Parti national écossais, des libéraux-démocrates, de Plaid Cymru [du Pays de Galles] et du parti des verts, qui l'exhortent unanimement à soutenir un vote pour rester dans l’UE. Mais il discute également avec des députés réclamant un accord « Norvège Plus » de libre-échange avec l’UE sans adhésion à l'UE. Ce groupe comprend Nick Boles et Oliver Letwin du parti conservateur, ainsi que Stephen Kinnock et Lucy Powell du parti travailliste.

Corbyn laisse toujours entendre qu'il veut se battre pour sa propre stratégie en faveur du Brexit, y compris un accès à l’UE sans tarifs douaniers. Dimanche, il a suggéré la possibilité de déposer une autre motion de censure contre le gouvernement si les propositions de May échouaient. «À ce moment là, nous devrions dire qu'il doit y avoir des élections générales pour que les citoyens de ce pays puissent décider: veulent-ils qu'un gouvernement travailliste investisse dans les quartiers, pour s'attaquer aux inégalités, aux injustices et établir une relation avec l'Europe qui protège les emplois et garantisse notre commerce pour l'avenir », a-t-il déclaré.

Cela ne fait que confirmer que pour ses adversaires blairistes de droite, qui veulent la fin du Brexit et sont tout aussi véhéments dans leur opposition à un éventuel gouvernement travailliste sous sa direction, Corbyn est l’ennemi. Il n'y a pas de réel clivage politique entre la phalange des députés travaillistes qui ont quitté le Parti travailliste pour former le Groupe indépendant (TIG pro-UE) et les opposants plus nombreux qui ont créé une opposition interne au parti sous le nom de Groupe pour l'avenir, dirigée par le leader adjoint du Labour Tom Watson.

Alors même que May se battait pour sa survie politique, les «caciques» du cabinet fantôme du Labour informaient l’Evening Standard que Corbyn était «fatigué et en avait marre» et prêt à démissionner en tant que chef du parti. Le même jour, le Mouvement ouvrier juif (JLM), une organisation sioniste qui a joué un rôle clé dans la campagne blairiste pour éjecter Corbyn et chasser ses partisans, a annoncé qu'il proposerait une motion de censure à l’égard de Corbyn lors de son congrès le mois prochain.

La motion poursuit les efforts visant à calomnier Corbyn en tant qu'antisémite. Si cette proposition était adoptée, JLM aurait l'intention de mettre fin à toute campagne en faveur de candidats travaillistes qui ne sont pas des «alliés» dans la lutte contre l'antisémitisme, c'est-à-dire ceux qui soutiennent Corbyn. La motion déclare que « Jeremy Corbyn est responsable de cette crise d'antisémitisme et de l'incapacité du parti de s’en occuper. Il est donc inapte à être premier ministre et un gouvernement travailliste dirigé par lui ne serait pas dans l'intérêt des Juifs britanniques ».

Le refus de Corbyn de combattre la cinquième colonne blairiste, quand bien même elle collaborent ouvertement avec les conservateurs et les médias et procèdent à l’expulsion de certains de ses principaux partisans, résume son rôle politique dans la démobilisation de la classe ouvrière.

Le gouvernement conservateur est en train de s'effondrer. La Grande-Bretagne est en proie à une crise constitutionnelle majeure. Et pourtant, Corbyn et sa clique pro-capitaliste empêchent les travailleurs et les jeunes de placer la vie politique sur l’axe de la lutte des classes, lui faisant quitter les conflits de factions qui déchirent l’élite dirigeante.

Le Brexit a provoqué une lutte intestine entre des ultra-réactionnaires dont les divergences sur l'adhésion à l'UE sont entièrement subordonnées à leur objectif commun :imposer de nouvelles attaques brutales aux travailleurs et poursuivre un programme militariste agressif dans les intérêts nationaux et mondiaux de l'oligarchie financière. La lutte pour une alternative progressiste dépend de ce que les travailleurs et les jeunes les plus clairvoyants tirent les conclusions nécessaires, à savoir rompre avec le Labour sur la gauche et mener une véritable lutte pour le socialisme en Grande-Bretagne et dans toute l'Europe.

(Article paru en anglais le 20 mars 2019)

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