Le profit avant la sécurité:

La déréglementation au cœur de l’incendie qui a enlevé la vie à sept enfants réfugiés syriens en Nouvelle-Écosse

En février dernier, la famille Bahro, qui a fui la Syrie en 2017 pour échapper à la guerre avant de s’établir dans la banlieue de Spryfield aux abords d’Halifax, a été décimée par un terrible incendie. Le feu, qui a complètement détruit la résidence, a enlevé la vie aux sept enfants en plus de blesser grièvement le père, laissant la mère en état de choc émotionnel. Une vague de sympathie pour les parents en deuil a traversé la population.

Les services d’incendie ont commencé à recevoir des appels à 12h41 dans la nuit du 18 février et les pompiers sont arrivés six minutes environ après le début des appels. Malgré la rapidité des premiers répondants, aucun des sept enfants, y compris les 4 plus vieux âgés de 8 à 15 ans, n’a réussi à s’extirper des flammes. Bien que le feu ait rapidement été maîtrisé, les voisins et les pompiers ont témoigné de l’intensité et de la rapidité de la propagation de l’incendie.

La maison, ravagée par les flammes, où ont péri les sept enfants de la famille Bahro

L’enquête du service d’incendie d’Halifax est en cours, mais la rapidité de propagation du brasier sur l'ensemble de la maison témoigne d’un type de feu qui est de plus en plus fréquent, particulièrement pour les résidences relativement neuves. La maison où vivaient les Barho avait été bâtie en 2014.

Vince Mackenzie, le chef de pompier de Grand Falls-Windsor à Terre-Neuve et membre du Conseil d’administration des chefs des pompiers des Maritimes, a indiqué qu’en raison des matériaux de construction utilisés et des objets en plastique, les feux peuvent brûler de 8 à 9 fois plus rapidement que lorsqu’il a débuté sa carrière il y a 35 ans.

Pour Mackenzie et de nombreuses associations de pompiers, comme l’Association canadienne des chefs de pompiers, l’installation obligatoire de gicleurs automatisés dans toutes les résidences est primordiale et il a été régulièrement démontré qu’elle sauve des vies. De nombreuses recommandations ont été faites en ce sens dans les dernières années pour exiger des changements au Code du bâtiment, mais elles se heurtent au système de profit.

Phil Rizcallah, le directeur de la recherche et du développement pour le secteur de la construction au Conseil national de recherches du Canada, a évoqué la possibilité que des changements soient apportés au Code du bâtiment suite à la tragédie. Mais il a clairement indiqué que ce qui primait, c’était les immenses profits des entrepreneurs de la construction. Faisant référence aux gicleurs, il a dit: «Ce n’est pas la sécurité coûte que coûte, c’est la sécurité à un coût raisonnable, parce que tu peux rendre cela inabordable, et si personne ne peut plus se payer de maison alors tu as manqué le bateau.»

Une telle déclaration vise à induire la population en erreur dans un contexte où les prix des maisons au Canada ont explosé ces dernières années. Le prix médian d’une maison à deux étages, bien que moins élevé dans une ville comme Spryfield, est de 715.000 dollars au pays. Et même si des gicleurs automatisés coûteraient seulement, selon Mackenzie, 1 à 2 pour cent du prix d’une nouvelle construction et 5 pour cent pour en ajouter à une maison déjà construite, les entrepreneurs ne veulent pas réduire leurs juteuses marges de profit.

Ce sont les mêmes considérations de profits qui sont défendues par les entreprises et les pouvoirs en place dans le choix des matériaux et la conception des maisons. Ils cherchent à utiliser des matériaux qui réduisent le temps de pose ou les coûts reliés à l’achat. Leur faible résistance au feu n’est pas prise en compte.

Pourtant, au sein des services d’incendie, c’est bien connu que les nouvelles maisons sont fabriquées avec des matériaux qui favorisent la propagation du feu. Selon Dave Meldrum, le chef des pompiers de Halifax, «les nouvelles maisons sont construites avec des matériaux légers: une fois que des barrières coupe-feu ont été franchies, le feu peut se propager rapidement.»

Par exemple, les entrepreneurs utilisent du bois d’œuvre de qualité inférieure ou des matériaux composites tels que les panneaux de copeaux au lieu du contre-plaqué. Au niveau du revêtement intérieur, ils remplacent les feuilles de gypse qui sont lourdes et plus difficiles à manipuler avec des panneaux en préfini moins coûteux et plus légers. Au niveau de la structure, les poutrelles de bois en I, plus pratiques à installer, remplacent les colonnes et poutres de bois massives d’autrefois, qui avaient la capacité de résister plus longtemps aux flammes.

Même au niveau de la plomberie, le PVC remplace désormais les tuyaux en fonte et on pourrait extrapoler dans chacun des corps de métiers, du revêtement extérieur à l’électricité. L’industrie des meubles utilise aussi des matériaux plus inflammables dans la fabrication de leurs produits.

Au niveau de la conception, les maisons comportaient traditionnellement de nombreuses pièces, séparées par des portes. Les nouvelles habitations comportent plutôt de nombreuses aires ouvertes, ce qui favorise la propagation des flammes.

La résidence de Spryfield comportait divers matériaux énumérés ci-haut et avait été conçue avec des aires ouvertes.

La tragédie de Spryfield en rappelle plusieurs autres survenues au cours des dernières années qui avaient aussi un lien direct avec l’insuffisance ou le non-respect des normes en vigueur. En 2014, 32 personnes ont perdu la vie dans une résidence pour personne âgées à l’Isle-Verte au Québec. La résidence comportait une section récente avec des gicleurs et une section ancienne qui n’en comportait pas. Alors que la partie avec gicleurs a été relativement épargnée des flammes, les résidents dans l’autre section n’ont eu aucune chance.

Un autre cas tristement célèbre est celui de la Tour Grenfell au Royaume-Uni qui a enlevé la vie à 72 personnes. Le revêtement extérieur de la tour, qui était le principal responsable de la propagation très

rapide du vaste brasier, avait été choisi pour économiser 5000 euros mais ne respectait même pas les exigences déjà insuffisantes du code du bâtiment britannique.

Dans tous les cas énumérés, ces tragédies auraient pu être évitées puisque les connaissances techniques nécessaires pour prévenir les incendies, et ralentir leur propagation s’ils surviennent, sont suffisamment avancées. Sur la base de ces connaissances, le code du bâtiment devrait être énormément renforcé en mettant la sécurité des occupants au centre des préoccupations.

Mais, cela est impossible sous le système de profit. Les nouvelles constructions reflètent plutôt la déréglementation en cours, exigée par la grande entreprise et implantée par les pouvoirs en place. Si on ajoute à cela les attaques sur les services publics, comme les services de sécurité incendie, c’est encore une fois les travailleurs qui payent le prix d’un système qui subordonne les droits sociaux de la classe ouvrière – y compris l’accès à des logements sécuritaires et abordables – aux profits de la minorité de super-riches.

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