Les signes d'une récession mondiale s’accumulent

L'économie mondiale témoigne des symptômes d'une croissance nettement plus faible, voire d'une récession pure et simple, et les signes d’alerte se trouvent autant sur les marchés financiers que dans l'économie réelle.

Au cours de la semaine écoulée, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans a fortement chuté et, à certaines occasions, il est descendu sous le taux des bons du Trésor à court terme. Il s’agit là d’un événement révélateur car, dans des circonstances «normales», les taux des obligations à long terme sont plus élevés que ceux obtenus sur la dette à court terme. «L’inversion de la courbe des taux d’intérêt» indique une incertitude financière croissante alors que les investisseurs sont à la quête d’une plus grande sécurité, et est considérée comme un indicateur de récession.

D'autres taux d'intérêt, notamment sur les obligations allemandes qui, comme les bons du Trésor américain, sont considérées comme un refuge, ont également baissé et, dans certains cas, sont en territoire négatif. Mercredi, le gouvernement allemand a émis 2,4 milliards d'euros d'obligations à 10 ans à un taux d'intérêt de -0,05 %. L'émission a été sursouscrite 2,6 fois, ce qui signifie qu'ils auraient pu en émettre pour une valeur de 6,3 billions d'euros.

La nervosité croissante des marchés financiers est également indiquée dans un rapport de Bloomberg publié plus tôt cette semaine, selon lequel le montant des obligations mondiales à rendement négatif a dépassé 10 billions de dollars.

Il y a rendement négatif lorsque le prix de l'obligation augmente à un tel point, en raison de la demande de titres par les investisseurs, que s'il était détenu jusqu'à échéance, il entraînerait une perte sur l'investissement.

Le point de départ immédiat de ce changement a été l’annonce de la Réserve fédérale américaine à la suite de la réunion de son Federal Open Market Committee (FOMC) plus tôt ce mois-ci qu'elle n'envisageait aucune hausse des taux d'intérêt cette année, ce qui constitue une volte-face par rapport à la situation à la fin de l'année dernière, où au moins deux augmentations du taux directeur étaient prévues pour 2019.

Le changement de décision de la Fed a commencé en janvier avec la publication d'une déclaration très prudente sur les taux d'intérêt en réponse à une forte baisse des marchés boursiers américains pour le mois de décembre, lorsque ceux-ci ont connu le pire résultat pour ce mois depuis décembre 1931.

La déclaration qui a suivi la réunion du FOMC a clairement montré que la Fed n'était pas simplement engagée dans un renversement temporaire de son programme précédent. Il s'agissait pratiquement d'un aveu qu'il n'y aurait pas de retour en arrière de ses achats massifs d'actifs dans le cadre du programme d'assouplissement quantitatif qui a vu son bilan passer d'environ 800 milliards de dollars avant la crise financière à 4,5 billions de dollars.

La Fed avait commencé à liquider ses avoirs de 50 milliards de dollars par mois et le président de la Fed, Jérôme Powell, a indiqué à la fin de l'année dernière que cette politique se poursuivrait à l'avenir comme si elle était en «pilote automatique». Cela a provoqué une opposition furieuse de la part de sections clés des marchés financiers qui ont maintenu que la politique de la Fed avait un impact négatif sur leurs opérations.

Lors de la réunion de la semaine dernière, le ralentissement a en effet été abandonné. M. Powell a indiqué que la Fed ralentirait la réduction des avoirs du Trésor à 15 milliards de dollars par mois à compter de mai et qu'elle prévoyait conclure la réduction progressive à la fin septembre. Cela signifie que le bilan de la Fed serait d'environ 3,5 billions de dollars, soit 17% du PIB, contre environ 6% avant la crise de 2008.

La caractéristique la plus importante de la décision de la Fed est ce qu'elle indique sur l'avenir de l'économie américaine et mondiale. Elle souligne le fait que plus de dix ans après le krach financier mondial, tout retour à ce qui était considéré comme une politique monétaire «normale» est plus éloigné que jamais et que l'économie et le système financier mondiaux dépendent entièrement de liquidités à très bas prix par les grandes banques centrales.

Commentant la dernière initiative du FOMC, Greg Ip, du Wall Street Journal, a noté que l'économie américaine devrait croître cette année et que le chômage officiel reste faible. «Ce qui est inquiétant, c'est que le maintien de ces conditions exige une politique monétaire aussi expansionniste. Il suggère que des forces sous-jacentes puissantes, telles que la faible croissance démographique et la diminution des possibilités d'investissement, continuent de peser sur la croissance économique et l'inflation dans le monde entier».

Il a souligné que si l'économie américaine trébuchait à nouveau, la Fed n'aurait pas beaucoup de munitions pour réagir parce qu'elle pourrait tout au plus réduire les taux d'intérêt d'un peu plus de deux points de pourcentage «moins de la moitié de ce qui est requis dans la plupart des récessions».

Des rapports récents suggèrent que le prochain ajustement des taux de la Fed pourrait être à la baisse plutôt qu'à la hausse.

Peu après la décision de la Fed, un autre choc est venu sous la forme de données européennes sur l'état sous-jacent de l'économie de la zone euro. Le PIM (indice des directeurs d’achats) pour le secteur manufacturier de la zone euro est tombé à 47,7 en mars contre 49,4 en février, un niveau inférieur à 50, indiquant une contraction. En Allemagne, économie clé de la zone euro, l'indice du secteur manufacturier a chuté à 44,7 en mars, contre 47,6 en février, pour atteindre son plus bas niveau en 79 mois.

Mercredi, lors d'une conférence à Francfort, le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, a fait le point sur l'état de l'économie de la zone euro à la suite de la décision prise par la BCE au début de ce mois d'annuler sa politique de léger durcissement monétaire et de prendre de nouvelles mesures de relance.

Il a déclaré que l'année dernière, il y a eu «perte de la dynamique de croissance» qui s'est prolongée jusqu'en 2019. Le principal facteur à l'œuvre est le ralentissement de la demande des marchés extérieurs, ce qui indique un ralentissement de l'économie mondiale. La faiblesse du commerce mondial s'était poursuivie et «la croissance des importations mondiales de biens en janvier a atteint son plus bas niveau depuis la Grande Récession, en raison de l'incertitude croissante concernant les différends commerciaux et du ralentissement des économies de marché émergentes, en particulier la Chine».

La production industrielle a chuté de 4,2% en décembre avant de se redresser quelque peu en janvier, mais les indicateurs, tels que les nouvelles commandes à l'exportation, qui ont toujours été étroitement liées à la production industrielle, sont restés en «territoire négatif».

Draghi a noté que la zone extra et intra euro ont fortement ralenti l'année dernière et qu'un tel ralentissement simultané «n'a pas eu lieu depuis le début de la crise financière mondiale».

M. Draghi a tenté de mettre le meilleur visage sur une situation qui s'aggravait de plus en plus, affirmant que jusqu'à présent, la baisse de la demande extérieure ne s'était pas répercutée sur la demande intérieure, mais que les risques s'étaient accrus au cours des quelques derniers mois.

Il a conclu ses remarques en donnant l'assurance que la BCE était prête à faire face aux risques futurs et que «nous ne manquons pas d'instruments pour nous acquitter de notre mandat».

Cette affirmation a fait l'objet d'une réponse cinglante de la part d'Ashoka Mody, ancien directeur adjoint des départements de la recherche et de l'Europe du Fonds monétaire international et aujourd'hui professeur à l'Université de Princeton, dans le Telegraph, basé au Royaume-Uni.

«Quels instruments ?» a-t-il demandé. «À part son fouillis de mots, la BCE n'a rien d'autre à offrir.»

Mody a déclaré que la BCE était déchirée par des «conflits nationaux», qu'elle agissait toujours trop tard, avec des retards et des demi-mesures qui étaient l'antithèse de la gestion des risques.

Jusqu'à présent, la position officielle aux États-Unis est que l'économie continuera de croître cette année. La Fed a revu à la baisse ses prévisions de 2,3 % en décembre dernier à 2,1 %, mais, selon Powell, elle reste dans une «bonne position» bien que la croissance ait ralenti par rapport au «taux solide» du quatrième trimestre de 2018.

Plus tôt ce mois-ci, le chroniqueur du New York Times, David Leonhardt, a donné un aperçu de la situation à long terme en soulignant que la vigueur de l'expansion économique américaine était exagérée.

«Voici la vérité: il n'y a pas de boom. Depuis la fin de la crise financière en 2010, l'économie s'est enlisée dans un marasme prolongé. La croissance du PIB n'a pas encore atteint 3 % par an, et 3 % ne sont pas une barre très haute.»

Il a écrit que si les prévisions des experts sur la croissance de l'économie américaine s'étaient effectivement concrétisées, elle serait supérieure de 6% à ce qu'elle est aujourd'hui et produirait 1,3 billion de dollars de plus en biens et services.

L'une des raisons qu'il a mentionnées, c'est que les grandes entreprises, malgré tout l'argent disponible, se retenaient. Un rapport publié plus tôt cette semaine a mis en lumière l'une des raisons de cette situation. Les sociétés du S&P 500 ont dépensé un montant record de 806 milliards de dollars pour racheter leurs propres actions en 2018, soit près de 56% de plus qu'en 2017 et un record de 589 milliards de dollars établi en 2007.

Ces chiffres soulignent le fait que les diverses mesures de relance mises en place par les banques centrales et les gouvernements – le programme d'assouplissement quantitatif et les réductions d'impôt de Trump pour les entreprises – ont eu pour principal effet d'alimenter le parasitisme et la spéculation, alors que des signes de récession indiquent qu'une nouvelle crise se prépare.

(Article paru en anglais le 29 mars 2019)

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