May propose à Corbyn des pourparlers « d’unité nationale » sur l’accord du Brexit

May est sortie mardi d’une âpre réunion de sept heures de son cabinet conservateur avec une proposition sans précédent de collaboration avec le chef du parti travailliste Jeremy Corbyn en vue de parvenir à un accord sur le Brexit qu'ils pourraient conjointement recommander au Parlement. Si l’accord était accepté, il serait soumis à l'Union européenne.

May a fait front à la menace de vingt membres de son cabinet de soutenir une motion de censure contre le gouvernement si elle acceptait un «Brexit doux» – le maintien de l’accès au marché unique européen dans une union douanière. Menace accompagnée d’une lettre signée de la moitié des parlementaires conservateurs exigeant un Brexit sans accord.

Cependant, elle a finalement obtenu l'accord de son Cabinet pour lancer à Corbyn un appel «d’unité nationale afin de défendre les intérêts nationaux».

May a déclaré qu'elle utiliserait tout accord conclu pour demander, au sommet d'urgence de l'UE le 10 avril, une extension de l'article 50 permettant la sortie de l'UE au-delà de la date du 12 avril. Cela aurait été accepté par le Cabinet seulement après que le ministre pro-Brexit Michael Gove a réussi à convaincre des collègues de changer un vote initial négatif de 14 contre 10. May a toutefois souligné qu’aucun délai ne devait aller au-delà du 22 mai, pour éviter que le Royaume-Uni ne prenne part à l’élection européenne. «Il est nécessaire que nous sachions à quoi sert une telle prolongation: faire en sorte que nous sortions rapidement et de manière ordonnée, » a-t-elle déclaré.

Toute négociation avec Corbyn porterait sur les relations futures avec l'UE après le Brexit, sur la base de la précondition que l'accord de retrait qu'elle a négocié avec les 27 États de l'UE, qui ne pourrait pas être «renégocié rapidement», soit accepté.

Si aucun accord qu’ils « pourraient recommander ensemble à la Chambre » n’est possible, May accepterait une nouvelle série de votes parlementaires sur d’autres options convenues avec Corbyn. Cette fois, les votes actuellement programmés pour lundi prochain, ne seraient pas simplement « consultatifs ». Le gouvernement accepterait comme contraignant toute proposition d’arrangement qui obtiendrait une majorité et le présenterait à l'UE, à condition que le parti travailliste fasse de même.

May court le risque de s'aliéner une grande partie des conservateurs, vu que toute discussion porterait sur un Brexit plus doux que son propre accord. Celui-ci s’était déjà révélé inacceptable pour un noyau de 30 conservateurs partisans d’un « Brexit dur », dénommés «Spartans», et les 10 députés du Parti unioniste démocratique (DUP) dont elle dépend pour sa majorité parlementaire.

Qu'elle soit disposée à prendre un tel risque – celui de diviser définitivement les conservateurs – montre la gravité de la crise politique de pouvoir à laquelle fait face l'impérialisme britannique. May a explicitement averti que «l'impasse» et les délais constants du Brexit « endommag[eaient] notre politique».

Le fait qu'elle envisage un accord avec Corbyn comme moyen de s’en sortir constitue une condamnation politique du rôle du leader travailliste durant des mois au cours desquels le parti conservateur s'est déchiré.

Corbyn a répondu en moins d'une heure à l'appel de May, déclarant à la Press Association qu'il était « très heureux » de « rencontrer la première ministre ». Il a ajouté, « nous reconnaissons qu'elle a changé de position, je reconnais ma responsabilité de représenter les électeurs qui ont soutenu le Labour à la dernière élection et ceux qui ne l’ont pas soutenu mais souhaitent néanmoins certitude et sécurité pour leur avenir, et c’est sur cette base que nous la rencontrerons et aurons ces discussions. »

Plutôt que de chercher à mobiliser les millions de travailleurs qui avaient soutenu son appel à mettre fin aux régimes d’austérité pro-business de Blair, Brown, Cameron et May, Corbyn a apaisé la droite travailliste, adopté sa politique et permis que ses partisans se fassent expulser du parti. Lui et son ‘ministre fantôme’ des Finances John McDonnell ont passé des mois à promettre de défendre «l’intérêt national» avancé par May, lors de discussions avec le patronat et la City londonienne.

La collusion avec May est l'aboutissement logique de cette trahison politique. La semaine dernière, le chef adjoint du Labour Tom Watson a déclaré au laboratoire d’idées blairiste Prospect qu'il était prêt à participer à un gouvernement d'union nationale avec des conservateurs pro-UE. Le porte-parole de Corbyn avait qualifié un tel gouvernement d’« intrigue de l’establishment » pour « empêcher la majorité des électeurs de ce pays de se faire entendre ». Quelques jours après, il était réuni en conciliabule privé avec May.

Interrogé pour savoir s’il avait l’intention maintenant de déposer une motion de censure contre May, Corbyn a répondu qu’il gardait cela «en réserve».

Rien ne garantit que cette dernière manœuvre réussira. May a perdu à jamais le soutien de certains députés conservateurs partisans d’un Brexit sans accord, qui chercheront le moyen de garantir leur option privilégiée. Le candidat potentiel à la direction du parti, Boris Johnson, a déclaré que c’était « une grande déception que le Cabinet ait décidé de confier le traitement final du Brexit à Jeremy Corbyn et au parti travailliste » et qu'il ne serait jamais d'accord avec une union douanière avec l'UE.

Corbyn n'est pas mieux placé pour garantir un accord de tout son parti. La députée blairiste Yvette Cooper a déposé lundi un projet de loi visant à prévenir toute possibilité de sortie sans accord et à prolonger l’article 50 bien plus longtemps. Cooper collabore avec l’ancien ministre conservateur Sir Oliver Letwin et un groupe de députés représentant plusieurs partis et voulait faire adopter hier ce projet de loi d’une ligne pour qu’il soit soumis à la Chambre des Lords avant le sommet de l'UE.

Des blairistes comme Hilary Benn cherchent à faire que tout plan de Brexit d’alternative voté lundi aille de pair avec l’acceptation d’un «second référendum» de confirmation. Cela mettrait en ballotage tout accord conclu contre le choix de rester membre de l’UE.

Si les choses tournent mal, l’UE a clairement fait savoir qu’un Brexit sans accord était prévu. Lors de sa rencontre avec le premier ministre irlandais Leo Varadkar, le président français Emmanuel Macron a déclaré que seul un plan « crédible » soutenu par une majorité parlementaire avant le 10 avril permettrait de l'éviter. « L'UE ne peut être durablement l'otage de la crise politique au Royaume-Uni », a-t-il déclaré.

Quoiqu’il advienne, l’affirmation que l’élection de Corbyn à la direction du Parti travailliste était une voie en avant pour la classe ouvrière a été réduite à néant. Son rôle a été depuis le début de réprimer la lutte des classes et d’émasculer politiquement la classe ouvrière.

Durant cette dernière semaine, sa recherche obsessionnelle d’un chemin entre les factions pour et contre le Brexit dans son propre parti a été l’apprentissage pour un bien plus gros boulot : celui d’empêcher que la rupture entre les cercles dirigeants ne déstabilise l'impérialisme britannique et ne provoque une offensive sociale et politique révolutionnaire de la classe ouvrière.

La seule voie vers l’avant pour les travailleurs et les jeunes est de rompre avec le parti travailliste, de construire le Parti de l'égalité socialiste et d'adopter la perspective de la lutte des classes sur la base d'un programme socialiste.

La réponse à l'imposition sans fin de l'austérité, du militarisme et des mesures autoritaires par toutes les factions en conflit autour du Brexit n'est ni un nouvel arrangement avec l’UE, ni un maintien dans celle-ci, mais la construction d'un mouvement unifié de la classe ouvrière britannique et européenne pour les États socialistes unis d'Europe.

(Article paru en anglais le 3 avril 2019)

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