Perspectives

La menace de fermeture de la frontière des États-Unis avec le Mexique

La menace de l'administration Trump de fermer la frontière de 3 220 kilomètres avec le Mexique, la frontière internationale la plus fréquentée de la planète, avec environ 350 millions de passages documentés chaque année, est un symptôme évident de la crise intense d'un système capitaliste mondial qui se dirige vers la dictature et la guerre.

Le prétexte de cette provocation internationale est une prétendue « urgence nationale » créée par des réfugiés d’Amérique centrale fuyant une violence et une pauvreté aberrantes. Les conditions de vie dans ce qu’on appelle le Triangle Nord, le Salvador, le Honduras et le Guatemala, sont l'héritage d'un siècle d'oppression impérialiste américaine, marqué par des guerres anti-insurrectionnelles quasi génocidaires et des dictatures militaires brutales installées avec l'appui de Washington.

Trump s'en est pris aux gouvernements droitiers et corrompus soutenus par les États-Unis en Amérique centrale, tweetant qu'ils avaient « pris notre argent pendant des années et ne font rien ». Il a fait suivre ce tweet de l'ordre de couper toute aide américaine aux pays du Triangle Nord.

Il a également accusé le Mexique de « ne rien faire pour arrêter le flux d'immigrants illégaux dans notre pays » et a menacé de fermer la frontière entre les États-Unis et le Mexique.

Il veut que ces gouvernements mettent en œuvre une politique de répression sanglante suffisante pour terroriser les demandeurs d'asile potentiels, c'est-à-dire rendre évident qu'ils vont plus sûrement mourir s'ils tentent de quitter leur pays d'origine que s'ils restent.

Trump, qui a déployé quelque 4700 soldats américains à la frontière et s'est vanté d'en faire une zone de guerre, a confié la semaine dernière à Sean Hannity de Fox News qu'ordonner aux troupes d'utiliser de mitrailleuses contre les hommes, femmes et enfants demandeurs d'asile serait « un moyen très efficace », mais qu’« on ne pouvait pas le faire ». Il suffit d'ajouter la pensée tacite « du moins, pas encore. »

La fermeture de la frontière vise à punir le Mexique pour n'avoir pas empêché les réfugiés d'Amérique centrale d’aller vers le nord. En réalité, le gouvernement du président Andrés Manuel López Obrador (AMLO), entré en fonction en se présentant comme une alternative « de gauche », collabore étroitement avec Washington ; il militarise des sections de la frontière de son propre côté et parque les migrants dans des camps de concentration.

Il a également acquiescé à la politique dite des Protocoles de protection des migrants ou « Restez au Mexique » du Département américain de la Sécurité intérieure, imposée unilatéralement et forçant les demandeurs d'asile à rester au Mexique jusqu'à ce que leur cas soit entendu, un processus qui peut prendre des mois, voire des années. Appliquée d'abord au point d'entrée de San Ysidro-Tijuana, cette politique est maintenant étendue à d'autres postes frontaliers. Elle oblige les familles de réfugiés à vivre de façon misérable et dangereuse dans les villes frontalières du Mexique.

Cette politique cruelle a été mise en œuvre alors que les centres de détention des migrants américains débordent, où plus de 13 000 enfants sont détenus dans des conditions effroyables.

Il y a des signes que la fermeture est en train d'être progressivement mise en place ; la secrétaire à la Sécurité intérieure Kirstjen Nielsen a donné l'ordre de transférer 750 agents des points d'entrée aux unités de la police des frontières qui raflent les familles de réfugiés tentant d'entrer aux États-Unis dans des zones plus reculées. Ce nombre pourrait être porté à 2 000, ce qui forcera la fermeture de voies d'entrée et un ralentissement spectaculaire pour ceux qui tentent de traverser la frontière.

La prétendue « crise » est le fait des autorités d'immigration elles-mêmes, qui ont introduit une politique de ralentissement pour les demandeurs d'asile aux points d'entrée, appelée « comptage », et qui a obligé ceux-ci à chercher à passer la frontière et se présenter aux autorités ailleurs.

Alors que les médias capitalistes ont traité la menace de fermer la frontière avec leur fatuité typique – le reportage le plus souvent diffusé porte sur le danger d'une pénurie d'avocats – le coût humain et économique d'une fermeture est incalculable.

Dans un pays où 36 millions de personnes sont d'origine mexicaine, où environ un million de personnes et près d'un demi-million de véhicules traversent la frontière chaque jour, la séparation des familles, des travailleurs de leur emploi et des étudiants de leur école causerait d'énormes difficultés. Quant à l'économie, la Chambre de commerce américaine a averti qu'une fermeture de la frontière provoquerait « une débâcle économique absolue », affectant quelque 1,7 milliard de dollars de commerce quotidien entre les deux pays.

Mardi, Trump a lancé un ultimatum aux démocrates du Congrès : seule leur approbation de changements radicaux aux lois sur l'immigration pourrait l'empêcher d'ordonner la fermeture de la frontière. « Nous devons nous débarrasser de la migration en chaîne, des prises et remises en liberté, et de la loterie des visas, et nous devons faire quelque chose au sujet de l'asile, et, pour être honnête avec vous, nous devons nous débarrasser des juges », a-t-il dit. Autrement dit, Trump exige un régime d'expulsion sommaire pour quiconque ose mettre le pied sur le sol américain, faisant fi des lois internationales protégeant les réfugiés et le droit d'asile, et des principes constitutionnels de procédure régulière.

Interrogé par des journalistes si l'impact économique d’une fermeture l'inquiétait, Trump a répondu: « La sécurité est plus importante pour moi que le commerce. Nous allons donc avoir une frontière forte ou nous allons avoir une frontière fermée. »

L'irrationalité de cette approche est à couper le souffle. L'intégration globale de l'économie capitaliste mondiale n'est nulle part plus évidente qu’à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. La rupture des chaînes d'approvisionnement reliant les usines maquiladoras à bas salaires qui produisent des pièces du côté mexicain de la frontière pour les usines automobiles du côté américain entraînerait une paralysie de la production à court terme, forçant des fermetures d'usines et, à terme, menacerait de faillite les constructeurs automobiles américains.

Une irrationalité qui ne réside pas seulement dans l'esprit tordu et criminel de Donald Trump, mais dans le système capitaliste lui-même et dans la contradiction inconciliable entre l'intégration mondiale de la production et le système capitaliste de l’État-nation.

Trump n'est pas une exception absurde. L'Europe a effectivement fermé ses frontières aux migrants désespérés fuyant les effets de 17 années de guerres ininterrompues menées par les Etats-Unis au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie centrale. La Méditerranée a été transformée en une zone interdite où 34 000 personnes ont perdu la vie. Les États membres de l'Union européenne ont depuis 1989 construit presque mille kilomètres de murs frontaliers et déployé 10 000 gardes armés supplémentaires pour empêcher toute personne qui se rend sur le continent d’y entrer ou pour la déporter.

La fermeture des frontières, la mise en place de murs de barbelés et de camps de concentration pour les réfugiés et les efforts pour rameuter des forces d'extrême droite xénophobes et fascistes font partie d’une réaction internationale qui rappelle les jours les plus sombres des années 1930. Cette accumulation des frontières militarisées et des forces de répression est dirigée non seulement contre les migrants et les réfugiés, mais contre la classe ouvrière dans son ensemble. Aux Etats-Unis, au Mexique, en Amérique latine, en Europe, au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Asie, les travailleurs sont entrés dans des luttes explosives, apparues pour la plupart hors du contrôle des partis et syndicats pro-capitalistes officiels.

Ce mouvement mondial s’est manifesté avec force dans la grève, commencée en janvier, de quelque 70 000 travailleurs des maquiladoras de Matamoros, à quelques kilomètres de la frontière américaine, et dirigée contre les syndicats pro-entreprises et contre Morena, le parti au pouvoir de López Obrador. La grève a souligné le caractère objectif de la classe ouvrière en tant que classe internationale, unie dans un processus unique de production intégrée à l'échelle mondiale où les arrêts de production au Mexique ralentissent la production dans l'industrie automobile nord-américaine.

Quand les travailleurs de Matamoros ont cherché à forger de nouvelles organisations de base pour mener leurs luttes, ils ont fait appel au soutien des travailleurs américains et ont exprimé leur solidarité avec les travailleurs de l'automobile confrontés aux fermetures d'usines en Amérique du Nord.

Cette lutte pour l'unification de la lutte de classe à travers les frontières nationales que les gouvernements capitalistes cherchent à transformer en zones de guerre impénétrables montre la voie à suivre aux travailleurs de chaque pays.

La crise à laquelle sont confrontés les travailleurs immigrés et toute la classe ouvrière ne peut être résolue que par la lutte pour l'unification internationale de la classe ouvrière, fondée sur la perspective stratégique de la révolution socialiste mondiale. Cela exige une défense inconditionnelle du droit des travailleurs de toutes les parties du monde de vivre et de travailler dans le pays de leur choix, et une lutte implacable contre toute tentative de diviser les travailleurs nés dans le pays et les travailleurs immigrés.

(Article paru en anglais le 3 avril 2019)

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