Pologne : le gouvernement déclare la lutte aux hausses de salaire alors que les enseignants entament leur deuxième semaine de grève

Le gouvernement polonais dirigé par le parti d'extrême droite Droit et justice (PiS) refuse d'accéder aux demandes des enseignants pour des augmentations de salaire et de meilleures conditions dans les classes. Des centaines de milliers d'enseignants mènent une grève nationale depuis le 8 avril, une des plus grandes luttes de la classe ouvrière contre les décennies d'austérité qui ont suivi la restauration du capitalisme il y a 30 ans.

Quelque 80 pour cent des 400 000 enseignants polonais ont voté pour la grève nationale. La semaine dernière, les trois quarts environ des écoles et jardins d'enfants du pays étaient fermés. Il s’agit de la première grève nationale des enseignants en Pologne depuis 1993. Si, d’après des informations locales, certains ont repris le travail dans certaines écoles, surtout des jardins d'enfants, la grande majorité des enseignants est toujours en grève. Le Syndicat des enseignants polonais (ZNP), le plus important des syndicats en grève, demande une augmentation de 30% des salaires.

Les enseignants ne reçoivent aucun salaire ou indemnité d'un fonds de grève et comptent sur les dons pour compenser en partie leur perte de salaire. Comme ils vivent déjà avec des salaires de misère entre 1800 et 3000 zlotys (de 415 à 690 euros), ils font d'importants sacrifices financiers pour continuer la grève.

Des manifestions spontanées d'étudiants ont eu lieu dans tout le pays. Vendredi, des universitaires et des étudiants de l'Université de Białystok, dans le nord-est, une des villes les plus pauvres de Pologne, ont manifesté en faveur des enseignants. Depuis des jours, des banderoles disant « Nous soutenons les revendications des enseignants » sont accrochées dans le bâtiment de l'université.

Mardi, parents, élèves et enseignants ont manifesté dans le centre-ville d'Olsztyn, une ville du nord-ouest du pays. Samedi dernier, les collégiens et lycéens ont appelé à une manifestation à Łódź, la troisième plus grande ville industrielle. Selon les sondages, environ 80 pour cent des élèves des écoles intermédiaires et secondaires soutiennent la lutte de leurs enseignants pour de meilleurs salaires.

Les parents ont eux aussi exprimé leur soutien à la grève. Après des jours de dénonciations des enseignants par le gouvernement et les médias, un parent de Varsovie a écrit une lettre furieuse au ministère de l'Éducation, vue des milliers de fois sur Facebook. « Vous voulez nous faire croire, à nous les parents, que les enseignants ont provoqué cette crise. Mais la vérité c'est que c’est vous et pas les professeurs qui avez abandonné les élèves! », écrit-il. Dans un commentaire sur une vidéo de la manifestation d’Olsztyn, une mère écrit: « Je suis pour les enseignants. Eux aussi méritent une vie digne. J'ai des professeurs dans ma famille et ils reçoivent des salaires de famine. »

Ce large soutien populaire aux enseignants est l'expression d'un profond mécontentement social et politique dans la classe ouvrière. Trois décennies après la restauration du capitalisme par la bureaucratie stalinienne, collaborant avec la direction du syndicat Solidarność, la Pologne est l’un des pays les plus inégaux d'Europe ; les inégalités sociales y sont similaires à celles de l'Allemagne et du Royaume-Uni.

Selon un rapport, entre 1989 et 2015 le revenu réel du un pour cent le mieux rémunéré a augmenté de 458 % et celui des 10 pour cent les mieux rémunérés de 190 %. Le revenu du 0,1 pour cent tout en haut de l'échelle a augmenté, de façon ahurissante, de 1019 pour cent. En revanche, le revenu de la moitié la plus pauvre de la population n'a augmenté que de 31 %.

Une étude réalisée en 2017 a révélé que la période de croissance économique 2004-2008, suite à l'adhésion de la Pologne à l'UE, avec au pouvoir le parti pro-UE Plate-forme civique (PO), avait vu la plus forte hausse de concentration des revenus élevés; 5 pour cent des revenus obtenant la moitié de la hausse du revenu réel total et les 95 pour cent d'en bas l'autre moitié.

Le gouvernement PiS insiste pour dire qu'il n'acceptera pas d'autres conditions que celles acceptées la veille de la grève par le syndicat Solidarność, qui collabore étroitement avec lui. Le contrat accepté par Solidarność prévoit une augmentation misérable et graduelle de 15 % des salaires et une augmentation de 18 à 24 du nombre de leçons hebdomadaires à donner par enseignant.

Alors que le gouvernement dépense des milliards de dollars pour le renforcement militaire dirigé par les Etats-Unis et l'OTAN contre la Russie, la ministre polonaise de l’Éducation Anna Zalewska, qui a publiquement nié la participation de Polonais aux pogroms anti-juifs après la Seconde guerre mondiale, a insisté pour dire qu'il n'y avait « pas de fonds dans le budget 2019 pour des hausses plus grandes».

Le gouvernement polonais est déterminé à ne pas céder aux revendications enseignantes précisément parce qu'il reconnaît que la grève fait partie d'une résurgence générale des luttes de classe au niveau international, le début d'une contre-offensive de la classe ouvrière contre des décennies d'austérité. Elle craint que toute concession aux enseignants n'encourage d'autres secteurs de la classe ouvrière à passer à l'offensive.

La stratégie du gouvernement polonais consiste à dénigrer publiquement les enseignants en s’appuyant sur les syndicats pour isoler leur grève et les affamer. En même temps, il tente de minimiser les effets de la grève en organisant les examens comme prévus, avec pour les superviser des professeurs religieux, des prêtres catholiques, des nonnes et d’autres briseurs de grève. Il semble aussi que le gouvernement se prépare à victimiser les enseignants en grève. La semaine dernière, le ministère de l'Éducation a demandé aux directeurs d'école de lui fournir les noms de tous les enseignants grévistes.

Pratiquement tout ce que les syndicats ont fait jusqu'à présent a fait le jeu de cette stratégie.

Le syndicat Solidarność, dont le chef, Ryszard Proksa, a récemment révélé qu'il gagnait 130 000 zlotys par an (plus de 30 000 euros, soit plus de cinq fois le salaire moyen d’un enseignant), a signé, la veille de la grève, un accord avec le gouvernement sans aucune autorisation de ses membres.

Solidarność a dit à ses membres de ne pas se joindre à la grève. Le syndicat traverse une crise profonde, d'innombrables enseignants ont remis leur démission.

Exprimant l’avis de milliers de gens, un enseignant a déclaré aux médias locaux: « Il[Proksa] vit de nos cotisations. S'il est si bien payé, pas étonnant qu'il n’ait rien à faire de notre lutte pour des salaires décents. Il nous a trompés pour son intérêt personnel. C'est une trahison totale, il nous a poignardés dans le dos ! »

Le syndicat ZNP qui a soutenu les politiques d'austérité sur des décennies, s'efforce de contenir la grève et de la faire cesser dès que possible. Sachant pertinemment que les enseignants sont fortement soutenus, les syndicats n'ont pas fait appel à d'autres sections de travailleurs polonais et n'ont pas non plus organisé de grandes manifestations nationales.

Les principaux représentants du ZNP ont poursuivi la stratégie réactionnaire consistant à dresser les enseignants contre les paysans et d'autres couches de la population pauvre. Les syndicats se sont plaints des subventions, très faibles, que le gouvernement du PiS a accordées aux pauvres des zones rurales, disant que l'argent devrait aller aux enseignants. A aucun moment ils n'ont exigé que les riches paient pour financer une éducation publique de qualité.

Le ZNP a également facilité les efforts du gouvernement pour atténuer l'effet de la grève en permettant aux enseignants de superviser les examens des collèges sur une base individuelle.

Alors que les enseignants sont violemment confrontés à la crise sociale produite par la restauration du capitalisme, à l'agenda nationaliste de droite, révisionniste au plan historique, du PiS et aux efforts de la bourgeoisie pour faire payer la classe ouvrière pour ses préparatifs de guerre, les syndicats ont délibérément proscrit de la grève toutes les questions politiques.

Le dirigeant du ZNP Sławomir Broniarz a annoncé qu'une nouvelle série de pourparlers avec le gouvernement aurait lieu jeudi dans le cadre du « Conseil pour le dialogue social ». Le mardi 23 avril, le présidium du ZNP se réunira pour discuter de la poursuite de la grève.

Il y a parmi les enseignants en grève des signes d'insatisfaction croissante à l'égard du ZNP. Un enseignant de Varsovie a déclaré ainsi au journal Wyborcza : « Personnellement, je pense que la grève doit être intensifiée. Le gouvernement joue avec nous et fait ce qu'il veut, et nous n'y réagissons pas. »

Les enseignants et les étudiants polonais doivent être avertis: le ZNP se prépare à vendre la grève. En étroite collaboration avec le principal parti d'opposition, la Plate-forme civique (PO) qui, au pouvoir, imposa des mesures d'austérité de vaste portée, notamment dans l'éducation, le ZNP espère se servir de la grève comme d’une manœuvre pour affaiblir le gouvernement PiS avant les élections européennes de mai et les législatives de cet automne. Mais comme le PiS et toute la classe dirigeante polonaise, il n’y a rien que la direction du ZNP craigne plus qu'un large mouvement de la classe ouvrière polonaise et européenne.

La lutte des enseignants polonais ne peut réussir que s'ils se tournent vers les couches les plus larges de la classe ouvrière, en Pologne et dans toute l'Europe, et s’ils lient cette lutte à celle contre les inégalités sociales, les préparatifs de guerre et les atteintes aux droits démocratiques. Cela nécessite la formation de comités de base, indépendants des syndicats et des partis bourgeois, et le développement d'un mouvement politique de masse de la classe ouvrière guidé par un véritable programme socialiste.

(Article paru en anglais le 17 avril 2019)

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