Les conservateurs unis remportent les élections en Alberta et le vote néo-démocrate s'effondre

Le parti populiste de droite United Conservative Party (UCP, Parti conservateur uni), dirigé par l'ancien ministre fédéral Jason Kenney, s'est emparé du pouvoir lors des élections provinciales de mardi dernier en Alberta, remportant 63 des 87 sièges de l'Assemblée législative.

Ce résultat est principalement le résultat de l'opposition populaire au bilan de droite du gouvernement néo-démocrate (NPD) de la province, qui n'a gouverné que pour un seul mandat, et de l'unification récente des partis de droite de l'Alberta, les progressistes-conservateurs et Wildrose, sous la bannière UCP, qui a été promue par la grande entreprise.

L'arrivée au pouvoir de l'UCP servira à pousser non seulement l'Alberta, mais aussi tout l'establishment politique canadien encore plus à droite. En même temps, le triomphe de l’«Alberta d’abord» de l’UCP va intensifier les tensions régionales au sein de la classe dirigeante canadienne et de son État fédéral.

Tout en se faisant passer pour un défenseur des gens ordinaires ravagés par la crise qui secoue le secteur énergétique de la province, M. Kenney s'est engagé à réduire les impôts et la réglementation pour les grandes entreprises et à imposer un gel des dépenses gouvernementales pendant quatre ans. Les appels au régionalisme albertain et de l'Ouest ainsi qu'au chauvinisme anti-québécois ont également été au cœur de la campagne de l’UCP.

Les médias de la grande entreprise n'ont pas tardé à affirmer que l'UCP a été porté au pouvoir par une vague de soutien à son programme réactionnaire. Il s'agit d'un mensonge visant à délégitimer la résistance qui émergera bientôt au sein de la classe ouvrière aux mesures d'austérité du gouvernement.

Malgré une couverture médiatique extrêmement favorable et l'appui quasi unanime de l'élite corporative de la province, M. Kenney n'a remporté qu'un modeste gain de voix comparativement au total combiné obtenu par les partis progressistes conservateurs et Wildrose en 2015. Lors de cette élection, qui a mis fin à 44 ans de gouvernement progressiste-conservateur, les conservateurs avaient obtenu 27,8 % des voix, tandis que Wildrose en avait obtenu 24,2 %, pour un total de 52 %. Cette fois-ci, l'UCP de Kenney a reçu l'appui de 55 % des électeurs. Dans l'ensemble, cela équivaut à une augmentation d'un peu plus de 100.000 voix.

La grande majorité parlementaire de l'UCP est attribuable à la baisse de 8 points de pourcentage de l'appui au NPD, parti soutenu par les syndicats. La part du vote du NPD est passée de 40,6 % en 2015 à 32,1 %. Cinq ministres ont perdu leur siège, la représentation du parti à l'Assemblée législative ayant chuté de plus de la moitié, passant de 54 à 24 sièges.

Le NPD a remporté une victoire surprise en 2015 en se faisant passer pour le défenseur des travailleurs contre l'industrie pétrolière de l'Alberta, qui vaut des milliards de dollars, et en profitant de l'hostilité généralisée envers le gouvernement conservateur corrompu et propatronal. Au cours de la campagne de 2015, la chef du NPD, Rachel Notley, s’était engagée à augmenter les impôts des sociétés pétrolières, à investir davantage dans les services sociaux et à appliquer des normes environnementales plus strictes aux producteurs de pétrole de la province.

Ces promesses ne valaient rien. En tant que première ministre, Notley et son NPD ont maintenu le soi-disant «avantage albertain» des impôts très faibles pour les sociétés et les super riches, imposé l'austérité capitaliste, y compris le gel des salaires dans le secteur public et les compressions dans l'éducation et les soins de santé, et alimenté sa propre forme de régionalisme albertain. Cette situation a atteint un sommet lorsque Notley a menacé de bloquer temporairement les expéditions de pétrole vers la Colombie-Britannique en protestation contre la promesse, subséquemment rompue, du gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique de s'opposer à l'expansion de l'oléoduc Trans Mountain, qui augmentera considérablement la quantité de bitume non traité envoyée de l'Alberta vers la côte de la Colombie-Britannique.

À la suite de ces politiques de droite anti-travailleurs, Kenney et l’UCP ont pu se faire passer pour des amis des Albertains ordinaires et des travailleurs qui souffrent, du moins c'est ce qu'on dit, à cause des politiques du NPD en matière de changements climatiques, du refus de tenir tête aux libéraux de Trudeau et de ses restrictions au «potentiel créatif» des grandes entreprises. La défaite du NPD avait depuis longtemps été annoncée dans les sondages, le UCP de Kenney ayant une avance à deux chiffres depuis des mois.

Dans son discours de victoire de mardi soir, M. Kenney a clairement indiqué qu'il dirigerait un gouvernement de droite déterminé à attaquer la classe ouvrière, à défendre les intérêts des entreprises et à faire avancer le régionalisme de son programme de l’«Alberta d’abord». À l'instar du premier ministre populiste de droite de l'Ontario, Doug Ford, qui a réduit les dépenses publiques de plusieurs milliards de dollars au cours de sa première année au pouvoir, Kenney a déclaré l'Alberta «ouverte aux affaires». «Il y a une profonde frustration dans cette province, un sentiment que nous avons contribué massivement au reste du Canada, mais que quoi que nous fassions, on nous bloque et on nous immobilise», a affirmé M. Kenney. «Aujourd'hui, nous commençons à nous défendre.»

La victoire de l’UCP n'est pas un simple retour au pouvoir conservateur traditionnel en Alberta, comme l'ont laissé entendre des médias comme le Toronto Star. Après la victoire électorale de Ford en juin dernier et l'arrivée au pouvoir de la Coalition Avenir Québec au Québec en octobre, la victoire de l'UCP marque un nouveau tournant à droite dans la politique bourgeoise canadienne.

Les liens du parti avec des éléments très à droite et des forces carrément fascistes sont bien documentés, y compris les liens étroits des membres dirigeants de l'UCP avec le média d'extrême droite pro-Trump, Rebel Media. Des représentants des Soldats d'Odin, un groupe suprémaciste blanc, ont également participé à plusieurs événements de l'UCP ces derniers mois. De plus, les membres de l’UCP ont joué un rôle de premier plan dans les manifestations d'extrême droite qui ont eu lieu dans plusieurs villes de l'Alberta à la fin de l'année dernière sous la bannière des «Gilets jaunes du Canada», qui a exigé que le gouvernement libéral fédéral rejette le Pacte des Nations Unies sur les réfugiés, déporte les réfugiés et renforce la frontière du Canada.

Sur toute une gamme de questions, de la politique fiscale et des dépenses sociales en passant par l'adaptation encore plus étroite de l'immigration aux besoins des grandes entreprises, M. Kenney sera d'accord avec Ford et le premier ministre du Québec, François Legault, pour réclamer l'intensification de la guerre des classes contre les travailleurs.

La défaite du NPD de Notley, qui s'est aligné étroitement sur le gouvernement Trudeau, y compris dans la course aux oléoducs, affaiblira davantage les libéraux fédéraux avant les élections fédérales de cet automne.

Répondant aux demandes de la grande entreprise pour une affirmation plus agressive des intérêts impérialistes canadiens sur la scène internationale et contre la classe ouvrière au pays, le gouvernement Trudeau a fait des pieds et des mains au cours des six derniers mois, criminalisant la grève des postiers, réduisant davantage les impôts des entreprises, aidant la campagne américaine de changement de régime au Venezuela et s'en prenant aux droits des réfugiés.

La tirade de l’«Alberta d’abord» de Kenney, le soir des élections, soulignait que son gouvernement se fera le champion des grandes entreprises albertaines qui exigent de profonds changements politiques aux dépens des sections rivales de la classe dirigeante, intensifiant ainsi les tensions régionales dans la politique capitaliste canadienne qui ont été exacerbées ces dernières décennies par la mondialisation de la production.

Les attaques de Kenney contre d'autres provinces, en particulier le Québec, reflètent les frustrations de longue date des barons du pétrole de l'Alberta au sujet des ententes fiscales fédérales-provinciales, des politiques énergétiques et d'autres politiques. Les sociétés d'énergie de l'Alberta sont irritées par le fait qu'Ottawa n'a pas réussi à faire avancer la construction de nouveaux pipelines vers la mer, dans des conditions où le boom du pétrole et du gaz de schistes aux États-Unis a sapé le principal marché pétrolier de la province et fait des États-Unis un concurrent direct.

Les attaques contre d'autres provinces sont liées à la volonté de droite de l’UCP de décimer le peu qui reste des programmes fédéraux de dépenses sociales et d'aide sociale et de privatiser les soins de santé et autres services publics.

Cela se traduit par l'hostilité du parti à l'égard de la péréquation, le système selon lequel Ottawa verse des fonds aux provinces dont le revenu par habitant est inférieur à la moyenne nationale. En raison des profits de plusieurs milliards de dollars du secteur de l'énergie de l'Alberta, qui ont profité de façon écrasante à l'élite des super riches et des entreprises de la province, l'Alberta a été pendant des décennies une «perdante nette» de la péréquation au profit du Québec et des provinces maritimes. M. Kenney s'est engagé de façon démagogique à tenir un référendum sur la péréquation, qu'il utilisera pour réclamer des changements radicaux au programme imposé par la Constitution, sinon son abolition. L'objectif de toute renégociation serait d'éliminer toute norme nationale pour les services publics comme les soins de santé et d'ouvrir la voie à leur privatisation en bloc.

Dans le même ordre d'idées, le programme électoral de l’UCP préconise la conversion des transferts fédéraux en points d'impôt, ce qui permettrait à l'Alberta et à d'autres provinces d'échapper aux limites fédérales en matière de privatisation des soins de santé et minerait rapidement la capacité des provinces les plus pauvres de maintenir les niveaux actuels de couverture par l'assurance maladie publique.

M. Kenney s'oppose aussi avec virulence au projet de loi des libéraux fédéraux sur l'évaluation environnementale (C-69), qui comprend certaines dispositions environnementales très limitées en guise de concessions pour obtenir l'appui des dirigeants des Premières nations à des projets d'exploitation des ressources. Au lieu de cela, l'UCP veut donner carte blanche aux sociétés pétrolières pour aller de l'avant avec les projets de pipeline et d'exploration des ressources, sans égard aux coûts environnementaux et sociaux.

(Article paru en anglais le 20 avril 2019)

Loading