Pologne: grève prévue de 40.000 travailleurs sociaux, les syndicats se démènent pour endiguer celle des enseignants

La grève nationale de 300 000 enseignants polonais qui a conduit à la fermeture de trois quarts des jardins d'enfants et des écoles du pays, au milieu d’un black-out quasi total des médias à l‘international, pourrait bientôt être rejointe par celle plus de 40 000 travailleurs sociaux. C’est la plus récente d'une série de grèves des enseignants dans le monde entier, la première grève nationale en Pologne depuis 1993 et l'une des plus importantes depuis la restauration, en 1989, du capitalisme dans ce pays.

Des pourparlers entre le gouvernement et les représentants du plus grand syndicat en grève, le Syndicat des enseignants polonais (ZNP), ont de nouveau échoué jeudi dernier. Le parti ultra-nationaliste Droit et Justice (PiS) au pouvoir refuse la revendication de 30 pour cent de hausse de salaire des enseignants. Il insiste pour imposer le même contrat que celui accepté par le syndicat Solidarnosc, contre l‘avis de ses membres, et qui prévoit une augmentation salariale progressive de 15 pour cent, liée à une augmentation de 18 à 24 du nombre de cours hebdomadaires à donner. La ligne gouvernementale du « zéro compromis » est largement motivée par la crainte que toute concession aux enseignants ne déclenche une rébellion d'autres secteurs de la classe ouvrière en Pologne ou ailleurs dans le monde.

Les enseignants polonais gagnent des salaires de misère allant de 1 800 à 3 000 zlotys (420 à 700 euros/470 à 780 dollars) par mois dans un pays où les frais de subsistance sont similaires à ceux d'Europe occidentale. Ania, une enseignante de 21 ans originaire de Knurów, une ville industrielle de la région minière de Haute-Silésie, a déclaré au WSWS qu'elle et son mari travaillaient comme enseignants mais devaient avoir un emploi supplémentaire pour subvenir aux besoins de leurs deux enfants. « J'ai obtenu une licence, puis une maîtrise et j'ai ensuite étudié la pédagogie surdité, je suis donc qualifiée pour enseigner aux enfants ayant des problèmes auditifs. Je connais deux langues étrangères et j'ai suivi beaucoup d'autres cours, la plupart à mes propres frais. Je gagne environ 700 euros par mois. Mon mari également. Le politicien moyen gagne 3 000 euros ».

La colère des enseignants n'a fait qu'augmenter ces dernières semaines devant l’intransigeance du gouvernement PiS et sa campagne extraordinaire contre les enseignants. Ses politiciens droitiers ont employé contre les enseignants le langage de la guerre. Patryk Jaki, vice-ministre de la Justice et l'un des représentants les plus connus du parti au pouvoir, a provoqué un tollé général lorsqu'il a comparé les enseignants aux soldats de la Wehrmacht allemande qui envahit la Pologne en 1939 et fut responsable du meurtre d'un cinquième environ de la population du pays. Une déclaration qui montre que le gouvernement considère les enseignants comme rien moins qu'un ennemi en guerre contre l'État.

Une enseignante âgée de 35 ans a déclaré sur Facebook qu'elle n'avait jamais vu un tel venin versé contre les enseignants par la télévision contrôlée par l'État. Les médias ont également révélé que le gouvernement a utilisé sur les réseaux sociaux de faux comptes, usurpant l'identité d'élèves du secondaire sur le point de passer leurs examens, afin de calomnier les enseignants en grève.

Des milliers d'enseignants et de travailleurs se sont joints à l'appel du syndicat ZNP pour une manifestation nationale très limitée qui n'a duré qu'une heure, mardi. Selon un enseignant s’adressant au WSWS, la principale manifestation, à Varsovie, a attiré des milliers de personnes. Les informations polonaises ont cherché à minimiser la participation à la plus grande manifestation publique depuis le début de la grève. D'autres manifestations ont eu lieu dans plusieurs grandes villes de Pologne comme Lublin, Opole, Łódź et Cracovie. Au total, il y eut des manifestations dans 22 villes.

Tout indique que l'écrasante majorité de la classe ouvrière polonaise soutient pleinement la grève des enseignants et que des sections plus larges de travailleurs se préparent à la rejoindre, malgré les tentatives désespérées des syndicats pour contenir le mouvement. Dans ces conditions, la direction du syndicat ZNP se démène pour garder le contrôle du mouvement de grève.

Se sentant incapable de poursuivre les négociations avec le gouvernement étant donné l'indignation et la colère des enseignants, le ZNP et d'autres syndicats ont annoncé qu'ils ne participeraient pas à une nouvelle table ronde du gouvernement. Le présidium du ZNP devait décider hier de la poursuite de la grève. Dans deux interviews, Sławomir Broniarz, le chef du ZNP, a effectivement déclaré qu'il était impossible pour le syndicat de mettre fin à la grève à ce stade en raison de la grande combativité des travailleurs.

Mardi, Broniarz a déclaré à la chaîne de télévision TVN24: « Si l'on regarde l'ambiance, ce qui se passe dans les écoles, les tensions, certaines déclarations de politiciens ces derniers jours, je serais extrêmement sceptique quant à la possibilité de mettre fin à la grève aujourd'hui. C'est une énorme protestation du milieu enseignant avec un très grand soutien des parents. » Il a qualifié la situation d' « extrême » et a déclaré qu'il serait favorable à la poursuite de la grève telle qu'elle a été menée et qu’elle pouvait durer jusqu'à début septembre.

Dans une interview antérieure au journal conservateur Rzeczpospolita, Broniarz avait exprimé sa préoccupation au sujet d'une escalade de la grève. Il a critiqué le gouvernement pour s'être comporté comme « un éléphant dans un magasin de porcelaine » et a déclaré que « les émotions des enseignants dans de nombreuses écoles montrent que des grèves pouvaient être déclenchés dans le pays indépendamment des décisions des dirigeants syndicaux ». Les enseignants disaient dans tout le pays « qu'ils allaient faire grève jusqu'au bout ».

Les craintes des syndicats et du gouvernement que la grève des enseignants ne déclenche un mouvement de grève plus large de la classe ouvrière sont bien fondées. Trente ans après la restauration du capitalisme, d’incroyables inégalités sociales et des salaires de misère dans de vastes pans de la classe ouvrière ont créé une poudrière sociale prête à exploser, alors que la lutte des classes s'intensifie dans le monde entier.

Le journal Rzeczpospolita rapportait en une mardi que plus de 40 000 travailleurs sociaux allaient rejoindre la grève fin avril ou début mai. Les travailleurs sociaux gagnent en moyenne 1900 zlotys par mois (495 dollars ou 440 euros). S’il se mettaient en grève, a averti ce journal, des prestations sociales comme les versements de plus de 500 zlotys aux familles ayant plusieurs enfants seraient interrompus. Le gouvernement s'est appuyé sur ces versements modestes, distribués surtout dans des districts ruraux très pauvres, pour maintenir une base de soutien qui vacille. Les répercussions politiques d'une telle grève pour le parti PiS pourraient être immenses et pourraient facilement déclencher dans la classe ouvrière polonaise un mouvement de grève bien plus large.

Commentant la nouvelle de la grève imminente des travailleurs sociaux, une jeune Polonaise étudiant pour devenir enseignante a déclaré au WSWS: « Attendez encore un peu et tout le monde va faire grève. Ce sera la pagaille en Pologne et le gouvernement aura un gros problème. »

Le plus grand obstacle à une telle évolution sont les syndicats. Ils travaillent délibérément non seulement pour contenir la grève, mais aussi pour empêcher les enseignants de soulever des questions et des revendications politiques. Dans son discours devant la manifestation des enseignants à Varsovie mardi, Broniarz a insisté pour dire que « les enseignants ne [voulaient] pas de politique, ils [voulaient] de meilleures écoles ».

En réalité, la grève des enseignants est confrontée à des questions politiques majeures: les résultats de la restauration du capitalisme en 1989 après des décennies de stalinisme; les attaques contre les droits démocratiques et sociaux par le gouvernement PiS et ceux de la Plate-forme civique (PO) avant lui ; et les préparatifs de guerre contre la Russie. La classe dirigeante polonaise soutient qu'il n'y a « pas d'argent » pour les enseignants alors qu’elle dépense des milliards de dollars au renforcement des moyens militaires.

La grève des enseignants polonais doit être élargie au plus grand nombre possible de travailleurs, en Pologne et en Europe, et liée aux grands enjeux politiques de la classe ouvrière: la lutte contre les inégalités sociales, la défense des droits démocratiques et la lutte contre la guerre. Cela nécessite la formation de comités de base indépendants de tous les syndicats et partis bourgeois, dans le cadre du développement d'un mouvement politique de masse de la classe ouvrière guidé par un programme socialiste.

(Article paru en anglais le 24 avril 2019)

Loading