Au milieu des décapitations en masse, Wall Street se rue sur les profits saoudiens

Les horribles décapitations publiques de 37 hommes en une seule journée en Arabie saoudite mardi dernier ont provoqué peu de protestations de la part des gouvernements occidentaux et des médias capitalistes.

Les mêmes journaux et réseaux de télévision qui ont exprimé leur indignation morale face aux abus, réels ou fabriqués, des gouvernements de Russie, de Chine, d'Iran, de Syrie ou du Venezuela, sont manifestement insensibles à ces exécutions criminelles. Ils gardent leur silence de plomb alors même que ceux qui ont été décapités à l'épée comprenaient trois jeunes hommes arrêtés alors qu'ils étaient mineurs, torturés pour signer des aveux et reconnus coupables de «terrorisme» pour avoir osé se joindre aux protestations contre la dictature monarchique du pays.

L'un d'entre eux, Abdulkarem al-Hawaj, fut décapité et avait été arrêté alors qu'il n'avait que 16 ans par les forces de sécurité saoudiennes pour avoir participé à une manifestation dans la province orientale du pays, où habite la majorité de la minorité chiite d'Arabie saoudite. À partir de 2011, cette province riche en pétrole a été le théâtre de protestations contre la discrimination et l'oppression systématiques contre les chiites de la part d'une monarchie dont le pouvoir est lié à la doctrine religieuse officielle du wahhabisme, une secte sunnite ultra-conservatrice et qui est la religion officielle du pays.

Le véritable «crime» d'Abdulkarem était apparemment d'utiliser les médias sociaux pour encourager la participation à une manifestation. Il a été mis en cellule d'isolement, battu, torturé avec des câbles électriques et pendu par les poignets avec des chaînes jusqu'à ce qu'il accepte de signer de faux aveux.

Mujtaba al-Sweikat, qui avait 17 ans lorsqu'il a été arrêté dans un aéroport alors qu'il s'apprêtait à prendre l'avion pour les États-Unis, où il devait étudier à l'Université Western Michigan, a également été assassiné dans cette exécution barbare. Son crime est aussi celui d'avoir osé manifester contre la dictature royale saoudienne.

Son père, qui l'a représenté dans un faux procès, a accusé l'État de créer «l'illusion» d'une «cellule terroriste», là où il n'en existait pas. «Il a subi des sévices psychologiques et physiques qui ont épuisé ses forces», a déclaré le père de Sweikat à la cour. «L'interrogateur a dicté les aveux à Sweikat et l'a forcé à les signer pour que la torture cesse. Il a signé.»

Comme dans toutes les autres affaires, le tribunal a ignoré les preuves de torture et d'aveux forcés et a imposé la peine de mort par décapitation déjà dictée par la Maison des Saoud.

Le gouvernement américain n'a pratiquement rien dit sur ces atrocités. Un porte-parole du département d'État a fait une déclaration en ces termes: «Nous avons vu ces rapports. Nous exhortons le gouvernement de l'Arabie saoudite et tous les gouvernements à s'assurer que les procès garantissent l'absence de détention arbitraire et extrajudiciaire, la transparence, la primauté du droit et la liberté de religion et de conviction.»

Au cours des deux mêmes jours après les décapitations publiques saoudiennes, qui comprenaient la crucifixion de l'une des victimes et l'exposition d'une tête coupée sur une broche pour intimider quiconque songe à s'opposer de facto au souverain du royaume, le Prince héritier Mohammed bin Salman, le même département d'État a osé publier des déclarations condamnant la Russie pour «violations flagrantes des droits de l'homme» en Tchétchénie, au Venezuela pour «intimidation et emprisonnement» contre l'opposition de droite financée par les États-Unis et à La Havane pour «action visant à supprimer les droits humains du peuple cubain».

L'indifférence patente de Washington aux exécutions massives en Arabie saoudite révèle le cynisme et l'hypocrisie sans bornes de toutes les prétentions de l'impérialisme américain en matière de «droits de l'homme» et son indignation feinte face aux crimes présumés commis par des gouvernements qu'il considère comme des rivaux stratégiques ou qu'il cherche à renverser. Les États-Unis considèrent depuis longtemps l'Arabie saoudite comme un pilier de la domination et de la réaction impérialistes au Moyen-Orient, et l'administration Obama a manifesté une réaction similaire à l'exécution massive de 47 hommes en janvier 2016.

Mais tout aussi flagrante que la complicité du gouvernement américain avec les crimes du régime saoudien est l'acceptation de la dictature monarchique sanglante par Wall Street et le capital financier mondial.

En octobre de l'année dernière, un nombre important de magnats de Wall Street et de chefs de maisons financières internationales ont annulé leur voyage à une conférence annuelle sur l'investissement saoudien connue sous le nom de «Davos dans le désert». Cette rencontre, à laquelle ont assisté certains de leurs collaborateurs, a eu lieu quelques semaines seulement après le meurtre brutal et le démembrement du célèbre journaliste saoudien Jamal Khashoggi au consulat d'Arabie saoudite à Istanbul.

Initié du régime qui avait été l'assistant du chef du renseignement saoudien et un interlocuteur semi-officiel entre la Maison des Saoud et les médias occidentaux avant de se brouiller avec Riyad, le sombre sort de Khashoggi aux mains d'un escadron de la mort militaire et des services de renseignement saoudiens a été attribué par la CIA et d'autres agences de renseignement directement à un ordre donné par le Prince héritier Bin Salman.

Alors que la mort du journaliste bien placé, qui avait été embauché en tant que chroniqueur dans le Washington Post après s'être exilé aux États-Unis, a suscité une brève période d'attention et de protestations de la part des médias et des politiciens américains, six mois ont passé et le crime a été largement oublié. Les responsables américains parlent vaguement de la nécessité de déterminer une «responsabilité», tout en ignorant studieusement que l'auteur de cet assassinat macabre et éhonté n'est autre que leur plus proche allié, bin Salman.

Six mois ont été plus que suffisants pour permettre à Wall Street de mettre de côté toute inhibition et de sauter à pieds joints dans la dernière «Financial Sector Conference» saoudienne, qui s'est tenue au King Abdul Azziz International Conference Center. Alors que son ouverture a eu lieu dans le sillage immédiat des exécutions en masse, le centre de conférence se trouve à quelques kilomètres de la Deera Square de Riyad où les bourreaux coupent la tête avec des épées, de sorte que les PDG de Wall Street n'ont pas eu à se soucier de souiller leurs chaussures Prada de sang.

L'ambiance de la conférence était une reprise de l'accueil enthousiaste que Bin Salman a reçu lors de sa visite aux États-Unis il y a tout juste un an, lorsqu'il a été accueilli comme un visionnaire et un «réformateur» par des milliardaires comme Jeff Bezos, Bill Gates, Mark Zuckerberg et Oprah Winfrey.

«Nous sommes enthousiasmés par le rôle que nous pouvons jouer ici», a déclaré John Flint, PDG de HSBC, lors de la conférence de Riyad de cette semaine. «C'est une économie en laquelle nous avons beaucoup confiance. Je pense que l'avenir est prometteur.»

Il s'est vanté du fait qu'un certain nombre d'anciens banquiers de HSBC avaient rejoint le régime saoudien. «Ce fut un privilège pour nous de voir tant de nos anciens collègues dans l'auditoire servent leur pays actuellement.»

Parmi les autres participants à la conférence figuraient Larry Fink, PDG de BlackRock Inc., Daniel Pinto, directeur général de JPMorgan, Akihiko Nishio, vice-président de la Banque mondiale chargé du financement du développement, ainsi que des représentants de diverses autres banques et fonds d'investissement.

Fink de BlackRock était parmi les plus enthousiastes. Il a balayé tout scrupule au sujet des crimes odieux du régime saoudien, qui comprennent non seulement les exécutions massives de cette semaine et l'assassinat de Khashoggi, mais aussi la guerre quasi-génocidaire soutenue par les États-Unis qui a tué des dizaines de milliers de Yéménites et amené des millions au bord de la famine.

«Le fait qu'il y ait des problèmes dans la presse ne me dit pas que je dois fuir un endroit. Dans bien des cas, cela me dit que je devrais courir et investir parce que ce qui nous effraie le plus, ce sont les choses dont nous ne parlons pas», dit-il, ne disant pas un mot de plus sur les «choses dont nous ne parlons pas.»

L'aimant qui attire tous les parasites capitalistes de la finance est Aramco, la compagnie pétrolière publique d'Arabie Saoudite, dont les revenus sont égaux à ceux des cinq plus grands conglomérats énergétiques du monde et dépassent les profits nets combinés d'Apple et Google.

De nombreuses banques et sociétés financières représentées à Riyad, dont JPMorgan, HSBC, Citigroup et Goldman Sachs, ont participé ce mois-ci à l'émission obligataire de 12 milliards de dollars d'Aramco.

Le ministre saoudien de l'énergie, Khalid Al-Falih, a déclaré à la conférence de Riyad que la vente des obligations d'Aramco n'était «qu'un début», laissant entrevoir que le géant pétrolier pourrait lancer une introduction en bourse dès l'année prochaine.

«Il y en aura d'autres», a-t-il ajouté. «Je ne vous dirai pas quoi et quand, et il n'y aura pas que des obligations. Aramco, plus tôt que vous ne le pensez, aura accès aux marchés boursiers.»

M.Fink de Blackrock, qui a qualifié les «réformes» de la monarchie saoudienne d'«étonnantes», a déclaré qu'il voyait «de très grandes opportunités» au Moyen-Orient, insistant sur le fait que la région «devient plus sûre».

Décrire le Moyen-Orient, après un quart de siècle de guerres impérialistes américaines, dont les victimes se comptent par millions, et qui ont détruit des sociétés entières, comme étant «plus sûr», est illusoire.

Pour Fink et ses collègues oligarques financiers, les décapitations massives de «terroristes» - synonymes d'agitateurs, de fauteurs de troubles et de dissidents - ne sont sans doute pas un problème, mais plutôt une attraction. Ils estiment que la défense de leur vaste richesse dans des conditions d'inégalités sociales sans précédent et d'une classe ouvrière de plus en plus combative exigera des mesures similaires au pays et à l'étranger.

(Article paru en anglais le 27 avril 2019)