Les dessous de la véhémente réaction raciste contre Green Book

Le film Green Book, de Peter Fratelly, s’est avéré très populaire après son lancement fin 2018, aux États-Unis mais aussi dans le reste du monde. Une bonne partie de son succès est dû à de fortes audiences en Chine, où il a été largement discuté sur les réseaux sociaux, faisant des scores de 9 sur 10.

La décision prise par la Motion Picture Academy de décerner un Oscar pour le meilleur film à Green Book avait déclenché une réaction furieuse de la part de larges sections de l’establishment politique et des milieux universitaires et culturels officiels.

Le New York Times, le Los Angeles Times, le Washington Post, ABC et NBCavaient déclaré à l’unanimité que l’Académie avait commis une erreur impardonnable en sélectionnant ce film pour la plus haute distinction en raison de sa vision « rétrograde » de la race et de l’identité raciale des gens impliqués dans sa production.

Le principal crime du film, déclarent les critiques, est l’idée que le préjugé racial est un problème social qui peut être résolu par l’éducation, la raison et l’empathie et que la haine raciale n’est pas une composante essentielle de la condition humaine.

La réaction contre Green Book est de nature raciste et droitière. Elle vient de parties de la classe moyenne qui considèrent la promotion de narratifs raciaux et de l’animosité raciale comme essentielle à leurs intérêts sociaux et d’un parti démocrate qui voit l’unité de la classe ouvrière comme une menace politique existentielle.

Viggo Mortensen et Mahershala Ali dans Green Book

Dans Green Book, le célèbre pianiste classique et de jazz Don Shirley (Mahershala Ali) engage un homme italo-américain d’origine ouvrière, Tony Vallelonga (Viggo Mortensen), comme chauffeur et garde du corps pour l’accompagner pendant une tournée de concerts à travers le Sud. Shirley, pianiste formé à la musique classique, voit cette tournée comme une gifle à la ségrégation. Subissant d’innombrables insultes et affronts et harcelé par la police, il annule finalement le dernier concert de sa tournée parce qu’on ne lui permet pas de dîner dans le même restaurant que son public.

Pendant la tournée, Vallelonga ne développe pas seulement un immense respect pour Shirley (« il est comme un génie ») mais lie une profonde amitié avec le musicien. Le « doc » initie l’ancien chauffeur de camion poubelle borné à la musique classique et au jazz. Shirley lui enseigne à s’exprimer dans des lettres qui font fondre le cœur de sa femme. Après que Vallelonga répond par des coups de poing à un agent de police qui lui lance une insulte raciste, Shirley lui explique qu’il faut garder la dignité et le sang-froid dans la lutte contre l’oppression.

Toutefois, Shirley est profondément seul et déprimé, ayant le sentiment de n’avoir sa place nulle part. « Je ne suis pas accepté par mon propre peuple… je ne suis pas assez noir, je ne suis pas assez blanc, je ne suis pas assez homme ! » Par son amitié avec Vallelonga, Shirley abat bon nombre des barrières personnelles qu’il a construites autour de lui et finit par apprécier non seulement son expérience avec la « classe ouvrière », mais, ironiquement, son « expérience noire ».

« Toute l’histoire traite de l’amour » a dit le metteur en scène Peter Farrelly. « Elle nous dit de nous aimer malgré nos différences et de découvrir la vérité sur qui nous sommes. Nous sommes les mêmes gens. »

Green Book réussit précisément parce que le film dessine ses personnages comme des caractères et non pas comme des stéréotypes raciaux. Shirley est un artiste de génie très cultivé qui a été invité à étudier au Conservatoire de Leningrad à l’âge de neuf ans. Vallelonga n’est pas un « homme blanc », mais un homme – un homme qui est aussi chaleureux qu’il est inculte.

En effet, c’est un film remarquable incluant une comédie de haut niveau qui vient du fond du cœur et qui rappelle celles de Charlie Chaplin. C’est un film « populaire » dans le meilleur sens du terme, abordant de hauts idéaux sociaux et politiques sans prétention, d’une manière qui est accessible et attractive pour un public de masse.

La presse toutefois traite sa réception chaleureuse comme un acte quasi criminel.

Le Los Angeles Times appelle le film « désinvolte et colporteur au point d’être insultant, un truc de n’importe quoi auto-satisfait qui se donne l’air d’une branche d’olivier ». Le critique du journal dénonce le film, chose surprenante, comme colportant « un idéal de réconciliation raciale usé jusqu’à la corde ».

Il continue en disant : « Il réduit la longue histoire barbare et pas terminée du racisme américain à une question, une formule, une équation dramatique qui peut être équilibrée et résolue. » En d’autres termes, le racisme est un problème insolvable qui ne pourra jamais être surmonté.

Dans le New York Times, Brooks Barnes appelle le film « terriblement rétrograde et à la limite de la bigoterie ».

En contraste avec Green Book,Barnes fait l’éloge de Black Panther, un blockbuster présentant un super héros qui glorifie un État ethnologique africain de fiction appelé Wakanda.

Comme tout ce que Marvel Studios entreprend, Black Panther est un navet, nonobstant l’ethnicité de sa distribution et son équipe. Mais il a aussi des connotations clairement fascistes, ce qui mène le Washington Post à observer : « Les nationalistes blancs ont accaparé ‘Black Panther’, le blockbuster de Marvel Comics, pour promouvoir en ligne leur argument que des États-nations devraient être organisés en fonction de groupes ethniques. »

Green Book a aussi été comparé au BlacKkKlansman de Spike Lee, un drame policier qui opère sur la base de stéréotypes raciaux. Comme Black Panther, lesvues de Leereflètent essentiellementcelles des racistes d’extrême droite. En effet, d’après John David Washington, star de BlacKkKlansman, l’ancien dirigeant du Ku Klux Klan David Duke aurait déclaré: « J’ai toujours eu du respect pour Spike Lee. »

Il serait prématuré de tenter d’expliquer les forces sociales qui ont été à l’œuvre dans la décision de l’Académie de rejeter la campagne raciste larvée qui s’est poursuivie pendant des mois contre Green Book. Mais une série d’interviews menés par le Times avec des membres votants donnent une piste : « Un membre votant, un directeur de studio quinquagénaire, a admis que son soutien pour ‘Green Book’ était dû à sa colère [par ‘colère, le Times entend désaccord avec ses opinions]. Il a dit qu’il en avait assez de se faire dire quels films il devait aimer ou non. »

Faisant référence à Black Panther, un autre « vieux membre votant grincheux a comparé les films de super-héros à ‘ce qui suinte des décharges derrière les fast-food’ ».

Mais selon le Times, ces opinions – que des films ne devraient pas être choisis selon des critères raciaux – montrent clairement que l’Académie a besoin d’une rééducation. Ou, comme l’a dit au journal un « professeur en sciences du cinéma et des médias … qui se concentre sur la culture populaire et la race », « nous pouvons voir quelques signes de changement, mais une transformation complète n’a pas eu lieu ».

Quelle est la « transformation » de l’Académie que le Times veut voir ?

Il s’agit, tout d’abord, de faire de l’essentialisme racial et des stéréotypes, de la réaction politique et des ordures artistiques qui en découlent, un prérequis pour qu’un film reçoive un prix. Des films qui montrent des relations d’humanité entre des gens de race différente doivent dorénavant en être bannis.

Cette « transformation » introduirait un test racial pour les films, les prix étant décernés non pas sur la base de la qualité de l’œuvre évaluée, mais de la couleur de la peau des personnes qui l’ont produite.

Où cela mène-t-il ? Pourquoi ne pas établir deux académies différentes et deux séries de prix – une pour le meilleur film « noir » et l’autre pour le meilleur film « blanc » ? Et pourquoi s’arrêter aux films ? Pourquoi ne pas avoir des écoles et des collèges séparés ? Pourquoi ne pas séparer les fontaines d’eau potable ?

La maladie du racisme s’est emparée de fractions substantielles de la classe moyenne supérieure et de sections dominantes de l’establishment politique, du monde universitaire et des commentateurs culturels officiels. Les 10 pour cent supérieurs de la société, extrêmement jaloux de l’énorme richesse accumulée par l’oligarchie financière mais craignant les masses, voient dans une politique raciale et identitaire une manière de poursuivre leurs intérêts sociaux, non pas seulement contre ceux qui sont situés au-dessus d’eux mais avant tout contre ceux situés en-dessous.

Cette vision raciste de la politique a été investie d’une signification politique immense et est devenue la stratégie électorale centrale du parti démocrate qui craint, plus que toute autre chose, tout effort d’unir les travailleurs de nationalités différentes dans une lutte commune.

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