Le Financial Times salue les quatre ans de règne de Syriza en Grèce

Lundi, avant les élections européennes de dimanche, le premier ministre grec Alexis Tsipras a été salué dans le Financial Times, le journal des affaires basé à Londres.

L’interview avec le dirigeant de Syriza, l'ancien chouchou des groupes de la pseudo-gauche du monde entier, a constitué la pièce maîtresse d'un supplément intitulé «Investir en Grèce». Sa page de couverture montrait Tsipras dans une posture d'homme d'État, à côté de la mention, «D’agitateur à réformateur de l’économie».

Ce supplément était une vitrine destinée aux investisseurs mondiaux pour les superprofits potentiels qui pourraient être réalisés en Grèce à la suite de l'attaque menée depuis une décennie contre le niveau de vie de la classe ouvrière. Parmi les sujets abordés figuraient les opportunités d'investissement dans le tourisme de luxe haut de gamme, les start-ups technologiques, ainsi que le secteur de l'énergie.

Le fait d'être favorablement représenté dans l'un des principaux porte-parole de l'aristocratie financière mondiale témoigne de la haute estime dont Tsipras fait l'objet dans les cercles dirigeants. L'attitude anti-austérité qu'il avait adoptée avant son élection en janvier 2015, dans le cadre d'un énorme mandat anti-austérité, a maintenant été bel et bien oubliée.

Tsipras: «Il faut plus de réformes»

Comme l'article l'affirmait avec approbation: «De nos jours, les alliés et partenaires de la Grèce, de Bruxelles à Washington, sont plus susceptibles d'applaudir Tsipras comme un politicien qui éteint les feux au lieu de les attiser.»

En plus d'imposer une austérité encore plus écrasante à une population déjà appauvrie, Tsipras et Syriza ont rendu aux élites dirigeantes le service crucial de renforcer le rôle de la Grèce en tant qu'État client fiable des puissances impérialistes occidentales. «Les liens entre les États-Unis et la Grèce sont devenus plus cordiaux que jamais depuis l'effondrement de la dictature militaire grecque en 1967-1974», déclare l'article. «Aux yeux des États-Unis et de l'UE... la plus grande réalisation de Tsipras est le règlement du différend entre la Grèce et la Macédoine du Nord.»

Malgré l'opposition des forces nationalistes des deux côtés de la frontière à ce règlement, l'objectif de l'accord était d'ouvrir la voie à l'adhésion de la Macédoine à l'Union européenne et à l'OTAN, soutenant le renforcement militaire dirigé par les États-Unis contre la Russie. En parlant de l'accord, Tsipras s'est exclamé: «Imaginez, la Macédoine du Nord est un petit pays de 2,5 millions d'habitants. Si nos relations sont normales, ce pays pourrait être un partenaire stratégique pour la Grèce, un terrain d'investissement, pour ouvrir les marchés.»

Alors que les élections législatives doivent avoir lieu le 20 octobre au plus tard, Tsipras se vante du bilan économique de Syriza qui, selon l'article, «devrait rassurer les créanciers de la Grèce – l'UE et le FMI [Fonds monétaire international] – sur le fait que la discipline budgétaire ne se relâche pas en prévision des élections: une réserve de liquidités du gouvernement de 45 milliards €, une performance supérieure de 400 millions € aux objectifs en termes des recettes pendant les quatre premiers mois de cette année et une chute du chômage qui est passé à 18 %».

Toute baisse du chômage est alimentée par la chute brutale du niveau de vie. Le FT l'admet aussi dans un autre article du supplément, qui explique qu’«à mesure que le coût de la main-d'œuvre a diminué, quelques multinationales ont mis en place des centres de développement et des unités de soutien à la clientèle en Grèce».

C'est à la classe ouvrière grecque, dont le revenu moyen des ménages a chuté de 30 pour cent depuis 2010, qu'il incombe de maintenir une «réserve de liquidités» et de dépasser les «objectifs de revenu».

La Grèce est devenue un paradis pour les entreprises mondiales qui cherchent à exploiter une main-d'œuvre bon marché. Au cours de l'entretien, M. Tsipras a «défendu le bilan de son gouvernement en matière d'investissement, notant que 2018 a apporté le plus haut niveau d'investissements directs étrangers – 3,6 milliards d'euros en plus d'une décennie. D'autres projets sont en cours, dit-il, après l'achèvement réussi, sous sa direction, de plusieurs projets de privatisation lancés par les administrations précédentes.»

L'investissement étranger direct n'est qu'un euphémisme pour la vente des actifs publics de la Grèce – comme l'exigent l'UE et le FMI – au centre duquel se trouve l'imposition de conditions d'ateliers de misère comme ceux du port du Pirée, où l'opérateur maritime chinois Cosco est l'actionnaire majoritaire depuis 2016.

Après avoir renoncé à ses promesses précédentes de mettre fin à la vente des actifs publics, Syriza est allée plus loin dans sa campagne de privatisation que les précédents gouvernements conservateurs et sociaux-démocrates en Grèce. Selon les chiffres du dernier rapport budgétaire, un montant record de 2,1 milliards d'euros d'actifs publics a été vendu l'année dernière, dont 1,1 milliard pour prolonger de 20 ans la concession actuelle accordée aux actionnaires privés exploitant l'aéroport d'Athènes.

Ce n'était pas suffisant, Tsipras ayant déclaré au Financial Times qu'il fallait faire plus pour rendre la Grèce plus amicale envers les investisseurs: «Bien sûr, je reconnais qu'il y a encore des problèmes, que nous devons [faire] plus de réformes – et les réformes sont comme un vélo: si on ne pédale pas, on tombe.»

La dernière «réforme» est une législation adoptée en fin mars à la demande de l'UE et du FMI, qui vise à faciliter la saisie des résidences principales pour le remboursement des arriérés hypothécaires ou fiscaux. En vertu du nouveau régime, seuls ceux qui étaient en retard de trois mois ou plus avant la fin de 2018 peuvent demander jusqu'à la fin de 2019 la restructuration de leurs dettes. L'agence de notation de crédit Fitch a salué la nouvelle mesure pour avoir réduit «la possibilité pour les défaillants stratégiques de demander la protection».

Du point de vue de l'élite financière, il n'y a pratiquement rien qui distingue Tsipras et Syriza du principal parti d'opposition, la Nouvelle démocratie conservatrice. Seamus Mac Gorain, gestionnaire d'actifs pour J.P. Morgan, a déclaré au FT à propos des prochaines élections législatives: «En général, les investisseurs n'aiment pas vraiment les élections, mais dans ce cas, vous avez le choix entre ce gouvernement, qui a répondu aux attentes, ou l'opposition, qui est plus favorable aux affaires, alors nous nous attendons à une potentielle hausse plutôt qu’une baisse.»

Voilà: le verdict sur quatre ans de la pseudo-gauche au gouvernement, tout droit sorti de la bouche de l'aristocratie financière.

Tsipras s'est tellement détaché de la classe ouvrière qu'il ne se donne même plus la peine de garder une distance sociale prudente entre lui et les super-riches. L'un des candidats de Syriza aux élections européennes de ce mois-ci est l'homme d'affaires Petros Kokkalis, fils du milliardaire Sokratis Kokkalis.

Tsipras entretient les liens les plus étroits avec l'oligarchie. Le 5 mai, une tempête médiatique s'est abattue sur la Grèce après que le journaliste de Skai TV Aris Portosalte eut publié sur Twitter des photos de Tsipras se promenant sur le yacht du magnat grec de la navigation Periklis Panagopoulos l'été dernier. La fortune de Panagopoulos s'élevait à 755 millions de dollars au moment de son décès en février. Parmi les commentaires désobligeants postés par les utilisateurs de Twitter, on peut citer «Voilà la gauche du peuple de Tsipras» et «combattre le capital à bord d'un yacht».

C'est la trahison commise par la pseudo-gauche partout, dans la réalisation de leurs programmes procapitalistes, qui a permis à l'extrême droite – qui se présente comme une alternative à l'austérité et à «l'establishment» – de faire des gains dans un pays après l’autre. Qu'il s'agisse de Syriza, du Bloc de gauche au Portugal, de Podemos en Espagne, de Bernie Sanders aux États-Unis ou de Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne, ils suivront tous la même trajectoire que Tsipras une fois au pouvoir.

L'année dernière, après que Tsipras ait déjà imposé l'austérité pendant trois ans et demi, Corbyn a adopté ses politiques. Son bureau a demandé conseil à Syriza sur la manière de gagner le pouvoir, invitant le ministre d'État de Syiza Dimitris Tzanakopoulos à assister à la conférence du Parti travailliste en septembre. S'adressant à l'agence de presse d'Athènes à l'époque, M. Tzanakopoulos a déclaré que les travaillistes «sont très intéressés à avoir une idée claire de ce que signifie pour Syriza être au pouvoir, des problèmes auxquels nous sommes confrontés, des défis et des obstacles que nous devons surmonter, en particulier en raison de la balance négative des forces politiques en Europe.»

(Article paru en anglais le 25 mai 2019)

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