La visite de Pompeo révèle l'aggravation des tensions entre l'Allemagne et les États-Unis

La visite du secrétaire d'État américain Mike Pompeo à Berlin, vendredi, a été dominée par de vifs conflits politiques. Cela ne pouvait pas être dissimulé par des phrases creuses du ministre allemand des affaires étrangères Heiko Maas sur une «amitié profonde» entre les États-Unis et l'Allemagne, ou par l'affirmation de la chancelière Angela Merkel que les États-Unis sont «le partenaire le plus important de l'Allemagne en dehors de l'UE».

Les circonstances entourant la visite montrent clairement à quel point les relations entre les deux pays sont devenues tendues et fragiles. Pompeo avait été en fonction pendant plus d'un an avant de se rendre à Berlin. Il y a trois semaines, il a annulé une visite prévue de longue date dans un court délai pour s'envoler pour Bagdad. Lorsqu'il est finalement arrivé à Berlin vendredi, sa visite s'est limitée à une brève rencontre avec le ministre des affaires étrangères Heiko Maas, à une rencontre de 45 minutes avec Mme Merkel et à deux courtes apparitions devant la presse avec les deux hommes.

La visite à Berlin visait essentiellement à réitérer des divergences et des menaces connues de longue date. Il n'y avait aucun signe de réconciliation ni d'accord. Les différences allaient des questions liées au commerce, à la politique militaire et à l'orientation de la politique étrangère.
Les États-Unis menacent d'imposer des droits de douane sur les voitures importées d'Europe, ce qui frapperait l'économie allemande, qui dépend des exportations, plus que la plupart de pays européens. Le président américain Donald Trump a reporté l'imposition des droits de douane de six mois, période pendant laquelle les Européens sont censés envisager d'imposer des quotas d'exportation volontaires.

Le gouvernement américain tente également de bloquer la construction du gazoduc NordStream 2 à travers la mer Baltique, même s'il est presque achevé. Le ministre américain de l'énergie, Rick Perry, a annoncé des sanctions à l'encontre des entreprises participant au projet.

Les États-Unis poussent aussi fortement l'Europe à exclure l'entreprise technologique chinoise Huawei du réseau 5G européen, ce qui ferait reculer l'Europe de deux ans dans son développement technologique.

Un jour avant la visite de Pompeo, la chancelière Merkel a prononcé un discours à l'université de Harvard dans lequel elle a critiqué les politiques nationalistes et protectionnistes de Trump sans le nommer.

Mais Pompéo n'y prêta guère attention, n'offrant aucune concession. Au lieu de cela, il a de nouveau accusé l'Allemagne de ne pas dépenser 2 % de son PIB pour l'armée, même si Berlin a massivement augmenté son budget militaire.

L'Iran était au cœur des différents conflits. L'Allemagne, comme la plupart des puissances européennes, s'en tient à l'accord nucléaire avec l'Iran, que les États-Unis ont unilatéralement abrogé, et s'oppose aux sanctions et menaces de guerre plus sévères de Washington contre Téhéran.
Ces derniers jours, les États-Unis ont considérablement intensifié leurs préparatifs de guerre contre ce pays de 82 millions d'habitants.

Le conseiller américain pour la sécurité nationale, John Bolton, a accusé l'Iran mercredi à Abu Dhabi d'être responsable du «sabotage» de quatre pétroliers au large des côtes des Émirats arabes unis et a affirmé qu'il y avait eu une tentative jusque-là inconnue d'attaquer également le port pétrolier de Yanbu. Il a menacé d'une «réponse très forte» de la part des États-Unis. Selon Bolton, Pompeo a l'intention de présenter des preuves de la culpabilité de l'Iran aux Nations Unies au cours de la semaine prochaine.

Au cours des dernières semaines, les États-Unis ont dépêché un porte-avions et un navire de débarquement lourd dans la région et ont augmenté de 1500 soldats supplémentaires leurs effectifs déployés dans la région entourant l'Iran. Le Pentagone a également élaboré des plans pour déployer 120.000 soldats supplémentaires dans la région. Il s'agit du même nombre de soldats envoyés au Moyen-Orient avant la guerre en Irak en 2003.

Pompéo voyage à travers l'Europe pour mettre au pas les alliés de l'OTAN. Outre l'Allemagne, il s'est rendu aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et en Suisse, où il a assisté à une réunion de la conférence Bilderberg, un rassemblement secret de personnalités influentes des milieux économiques, politiques, militaires, des médias, des universités, de la noblesse et des services de renseignement.

Washington menace d'exclure du marché américain les entreprises européennes et internationales qui refusent de suivre les sanctions américaines contre l'Iran. Juste avant l'arrivée de Pompeo à Berlin, l'agence de presse Bloomberg a également rapporté que le département du Trésor américain préparait des sanctions contre l'INSTEX, le mécanisme européen de règlement financier, qui a été établi par l'UE pour permettre aux entreprises d'échapper aux sanctions américaines. Selon ce principe, l'INSTEX, et toute personne ayant des liens avec lui, serait exclue du système financier américain. À Berlin, qui s'efforce de maintenir l'accord nucléaire, cela a été interprété comme une provocation.

Cependant, l'opposition de l'Allemagne à la politique américaine à l'égard de l'Iran n'a rien à voir avec le pacifisme ou des préoccupations humanitaires par rapport à la population iranienne. Elle est plutôt motivée par la reconnaissance du fait que la volonté de Washington de s'assurer son hégémonie sur le Moyen-Orient empiète sur les intérêts politiques, économiques et géostratégiques de la bourgeoisie européenne.

Maas a donc lancé un appel à son collègue américain pour qu'il coopère. Il a répété à plusieurs reprises à Pompeo que les États-Unis et l'Allemagne poursuivaient le même objectif dans leur politique envers l'Iran. «Nous sommes d'accord sur la nécessité d'empêcher l'Iran d'obtenir des armes nucléaires», a-t-il dit. Les différences ne portent que sur les moyens d'y parvenir, a-t-il ajouté.

Le ministre allemand des affaires étrangères a souligné à plusieurs reprises que l'Allemagne et les Etats-Unis sont dépendants l'un de l'autre dans leur conflit avec la Russie. «Beaucoup des conflits qui nous concernent ne peuvent être résolus que par des accords germano-américains», a-t-il dit, en citant l'exemple de l'Ukraine. Il a également attaqué la Chine, que les États-Unis considèrent comme leur principal rival, en disant qu'elle doit adhérer aux normes internationales.

En 2003, lorsque de vives divergences ont éclaté entre l'Allemagne et la France d'une part, et les États-Unis d'autre part, à propos de la guerre en Irak, le WSWS a publié un commentaire de David North intitulé Comment traiter avec l'Amérique? Le dilemme de l'Europe. Il vaut la peine de relire cet article aujourd'hui, car les prédictions qu'il contient ont été confirmées à un niveau beaucoup plus élevé.

North a souligné que l'alliance entre les États-Unis et les puissances d'Europe occidentale après la Seconde Guerre mondiale représentait un écart par rapport à la norme historique. Il a écrit: «Du point de vue de la France et de l'Allemagne, le comportement des États-Unis est franchement provocateur et soulève le danger d'un effondrement total de ce qui reste de toute la structure légale et institutionnelle qui régissait les affaires du capitalisme mondial.», a-t-il poursuivi.

«Du point de vue de la France et de l'Allemagne, le comportement des États-Unis est franchement provocateur et soulève le danger d'un effondrement total de ce qui reste de toute la structure légale et institutionnelle qui régissait les affaires du capitalisme mondial», a-t-il poursuivi.

«Si les Européens de l'ouest devaient se soumettre aux diktats des États-Unis, ce serait accepter d'être ramenés au rang de «simple protectorat des États-Unis», pour reprendre les mots du quotidien conservateur français, le Figaro. Mais une résistance ouverte amènerait le risque d'une confrontation militaire potentiellement catastrophique avec les États-Unis. Chacun des termes de l'alternative, ou même un quelconque milieu entre les deux, déstabiliserait profondément les rapports entre pays européens. De plus, les conséquences sociales d'un conflit entre les États-Unis et la "vieille" Europe intensifieraient inévitablement les tensions de classe internes.»

Aujourd'hui, cette évolution est beaucoup plus avancée. L'Allemagne, la France et d'autres puissances mettent en œuvre des programmes de réarmement massif pour faire valoir violemment leurs intérêts mondiaux, indépendamment des États-Unis et en opposition à ceux-ci. L'Union européenne est déchirée par des divisions internes et les tensions de classe atteignent leur point de rupture. Dans ces conditions, seule une offensive socialiste unie de la classe ouvrière européenne et internationale peut empêcher la chute du continent et du monde entier dans la barbarie et la guerre.

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